En 1962, un essai raté dans le Sahara algérien a provoqué l’irradiation de militaires et de civils vivant aux alentours du lieu de tir. 43 ans après, l’Etat français refuse toujours de reconnaître sa responsabilité. Vive la bombe !, un téléfilm diffusé vendredi soir sur Arte, revient sur cette histoire. A l’origine, le producteur Quentin Raspail. Interview.
Le producteur Quentin Raspail aime apparemment mettre le doigt là où ça fait mal. Dans Vive la bombe!, un téléfilm qu’il produit et dont il est le co-auteur, il revient sur un épisode des essais nucléaires français dans le Sahara algérien longtemps resté secret. Le 1er mai 1962, lors de l’un de ces tests souterrains, à In Ecker, dans la wilaya (préfecture)de Tamanrasset, de la lave s’échappe d’une fissure creusée dans la montagne, de même qu’un nuage atomique, qui irradie les militaires français et les populations alentours. L’histoire est relatée à travers le regard de quatre jeunes soldats, envoyés en mission près du lieu de tir et livrés à eux-mêmes après que l’accident a été constaté. 45 ans après, l’Etat français ne reconnaît toujours pas sa responsabilité envers les militaires et civils irradiés et fait même appel des décisions de justice prononcées à son encontre. Quentin Raspail explique à Afrik ce qui l’a poussé à produire le téléfilm, en collaboration avec Arte et France 2.
Afrik : Comment est né le projet de Vive la bombe ! ?
Quentin Raspail : J’ai entendu parler de cet essai raté il y a quelques années dans l’entrefilet d’un quotidien. J’ai commandé une étude, réuni de la documentation et j’ai eu une entrevue avec une association qui vise à la reconnaissance des droits des personnes irradiées durant les tests nucléaires du Sahara et du Pacifique. Des rendez-vous ont été pris pour rencontrer des vétérans, certains ont été interviewés pour nous… Nous avons fait une synthèse et nous avons vu qu’il y avait cette aventure de neuf soldats, dans laquelle il y avait la dramaturgie nécessaire pour faire un film.
Afrik : Au-delà de la dramaturgie, il y a aussi l’histoire d’un mensonge d’Etat…
Quentin Raspail : Ce qui m’animait était le thème de la raison d’Etat confrontée à l’individu. Il est illustré par cet Etat qui agit légèrement avec des gens dont il a la charge. Ca, c’est pour l’accident en lui-même. On peut en vouloir aux autorités, mais il n’y a pas une volonté de nuire, c’est assez complexe. Là où l’affaire est encore plus inacceptable, c’est qu’après, l’Etat, à travers l’armée, ayant connu cet accident, n’a aucun souci de réparation et de reconnaissance des droits des victimes. Certains sont morts, d’autres ont encore de graves problèmes. Et quand ces personnes intentent des procès pour que leurs droits soient reconnus, l’armée fait appel. Ils ont fait confiance, on les a trahi et en plus ça continue. Je pense que c’est cela qui choque le plus tous ces vétérans.
Afrik : Avez-vous eu accès à des documents officiels, avez-vous titillé les autorités pour obtenir le déclassement de certains d’entre eux ?
Quentin Raspail : Non, je ne suis allé titiller personne. Je voulais pouvoir écrire ce film en toute indépendance et j’ai donc pris un maximum d’informations là où je pouvais en trouver. Pourquoi me serais-je adressé aux autorités militaires…? Je ne l’ai pas fait dans la mesure où elles font encore appel des décisions de justice… Il ne faut quand même pas déconner. Si leur attitude avait été différente, je l’aurai peut-être fait.
Afrik : Vous avez produit une fiction tout en restant fidèle à l’histoire telle qu’elle s’est déroulée…
Quentin Raspail : Nous avons effectivement été extrêmement sévères avec toute l’information. La vérité historique est totale.
Afrik : Avez-vous pu tourner et enquêter en Algérie ?
Quentin Raspail : J’ai voulu tourner en Algérie mais pour des raisons que je ne connais pas, cela n’a pas été possible. Je me suis adressé aux autorités et un temps infini est passé… J’ai compris que ça ne se ferait pas (le film a finalement été tourné au Maroc, ndlr). Si quelqu’un pouvait d’ailleurs m’expliquer un jour pourquoi cela n’a pas été possible…
Afrik : Savez-vous si ce film est le premier sur les essais nucléaires français dans le Sahara algérien ?
Quentin Raspail : En fiction, je pense, oui, c’est le premier.
Afrik : Pensez-vous que Vive la bombe ! pourrait servir de catalyseur pour faire connaître et avancer le dossier des victimes des essais, comme Indigènes a pu le faire sur celui des pensions ?
Quentin Raspail : Je pense que le fait que le film existe ne sera pas neutre. On en parle beaucoup dans la presse. C’est Arte, c’est sérieux, avec ce que ça a de positif. Une fiction sur cette chaîne, c’est en moyenne un million de téléspectateurs, mais dans une seconde diffusion, sur France 2, ça sera peut-être 6 millions. Là, ça fait plus mal. Je ne sais pas, je pense que ça va servir au fait qu’ils puissent avoir des réponses. Comment ? Je ne le sais pas.
Afrik : Votre prochain film concerne une catastrophe minière qui coûta la vie à près de 1100 personnes, en 1906, dans le Nord de la France. Est-ce un hasard ou aimez-vous appuyer là où ça fait mal…
Quentin Raspail : Ca n’est pas dû au hasard. J’aime bien parler de mon époque, des gens, de la place de l’individu dans la grande Histoire et de la façon dont les systèmes fonctionnent pour que les hommes soient heureux.
Afrik : Dans ce sens, quels films avez-vous récemment produit ?
Quentin Raspail : Il y a eu La Volière aux enfants (2006), qui raconte le combat d’une femme en 1905 pour la construction des premières maternelles, et Allons petits enfants (2005), qui raconte celle d’un enfant dont le père est fusillé pour désertion durant la première guerre mondiale.
« Vive La Bombe !» (France, 2005, 86mn)
Réalisateur: Jean-Pierre Sinapi
Production: Raspail Production, ARTE France, France 2
Avec: Cyril Descours, Olivier Barthelemy, Matthieu Boujenah, Damien Jouillerot, Bernard Le Coq
Première diffusion vendredi 16 mars à 20h40, Arte