Expulsions, prise 5… ça tourne. La Préfecture de Police a procédé vendredi à l’évacuation de deux familles vivant dans un bâtiment vétuste du 20ème arrondissement de Paris. Les locataires avaient pourtant trouvé un accord avec la mairie pour quitter leurs logements le 15 octobre. Comme lors des expulsions précédentes, les élus dénoncent la mise en scène et la communication faite autour de ces opérations.
Il est près de 16 heures 30, vendredi dernier, dans le quartier de Belleville, quand six véhicules de police se postent dans la rue de Tourtille, dans le 20ème arrondissement de Paris. Ils ont pour objectif d’expulser deux familles qui logent dans des appartements vétustes. Les larges terrasses de ce quartier populaire sont bondées, les gens commencent à sortir du travail et les parents vont chercher leurs enfants à l’école maternelle qui fait face au 40, rue de Tourtille, l’immeuble incriminé. Les élus d’arrondissement, écharpe Bleu-Blanc-Rouge en bandoulière, arrivent. Tout est en place pour une énième expulsion.
Celles-ci se sont multipliées depuis que le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, suite aux incendies à répétition qui ont frappé Paris, a demandé aux Préfets de «recenser les immeubles insalubres et les squats» pour les évacuer «lorsque la sécurité des personnes l’exige». Les deux logements « à risque » se situent au troisième étage. L’un abrite un couple et ses quatre enfants, l’autre deux hommes célibataires. Les locataires, en règle, payent une petite fortune leur appartement dans ce coin de plus en plus couru de la capitale. Eclats de voix, bris de vitre, les familles refusent de sortir.
Le départ court-circuité
Comme lors des expulsions de la rue de la Fraternité (vendredi 2 septembre, 19e), de la rue de la Tombe Issoire (2 septembre,15e) ou de la rue du Maroc (vendredi 16 septembre, 19e), ce qui énerve Fabienne Giboudeaux, adjointe au maire du 20ème et chargée de l’urbanisme, c’est que des discussions étaient en cours pour le relogement des familles. Le dossier du 40 rue de Tourtille était suivi depuis trois ans par la mairie et la Société immobilière d’économie mixte de la Ville de Paris (Siamp) avait fini par participer au financement des travaux que les propriétaires refusaient d’entreprendre. Depuis, des familles ont progressivement quitté leurs appartements, après que des solutions de relogement leur aient été proposées. De nombreuses portes sont ainsi recouvertes d’un film plastique entre le rez-de-chaussée et le troisième étage.
Les locataires des appartements visés devaient quitter les lieux le 15 octobre, afin que leur propriétaire, la Caixa banque, effectue des travaux. Une solution de relogement avait été trouvée en attendant un retour hypothétique – que la mairie dit assuré – dans les appartements. Mais mercredi matin, puis jeudi soir, un architecte de la Préfecture de police a effectué une visite et confirmé «l’imminence du risque d’effondrement». La Préfecture de police indique être « chargée de la sécurité et pas du relogement. Nous ne pouvions pas attendre. Nous ne voulons pas d’un nouveau Vincent Auriol. L’opinion ne l’accepterait pas et le ministère de l’Intérieur encore moins ».
Sur l’heure choisie pour intervenir, au moment où les enfants sortent de l’école : « Lorsque nous y allons le matin, on nous demande pourquoi (l’expulsion de la rue de la Fraternité s’était produite tôt le matin, quand les enfants, endimanchés, s’apprêtaient à faire leur rentrée scolaire, ndlr) lorsque nous y allons l’après-midi, on nous demande pourquoi… Pour se faire évacuer, il n’y a pas de bons horaires. Je ne crois pas que le moment ait été délibéré, il a été choisi en fonction des disponibilités des fonctionnaires ». Lorsque l’on demande à l’un des chargés de la communication si la Préfecture a dialogué avec les locataires avant de se rendre sur place, celui-ci répond le plus sérieusement du monde que les habitants, qui « vivent dans le dénuement, attendaient sans doute qu’on aille les chercher ».
Des films plastique noirs pour protéger les sièges des bus
L’expulsion de vendredi soir n’avait rien à voir avec la mise en scène médiatique de la rue de la Fraternité. Seule une caméra de France 2 (télévision publique) a pu happer quelques images de la colère des habitants du quartier. Grâce au soin que la préfecture de police avait pris d’avertir les médias, des millions de Français avaient pu assister, le 2 septembre, dans les journaux télévisés de 13 et 20 heures, au spectacle des portes du squat détruites de l’intérieur. Bertrand Delanoë, le Maire de Paris, avait alors dénoncé le « cynisme du ministre de l’Intérieur qui expulse pour les caméras », en prenant le risque de mettre à mal des années de dialogue.
Lors de l’expulsion de la rue du Maroc, Clémentine Autin, adjointe communiste au maire du 19e, s’inquiétant du fait que les enfants allaient être « marqués toute leur vie », avait dénoncé « une mise en scène scandaleuse, un acte de racisme, du nettoyage ». Un nettoyage au sens propre comme au figuré : les sièges des bus chargés du convoyage entre l’immeuble évacué et l’hôtel étaient recouvertes d’un film plastique noir, ce qui a rendu les personnes expulsées folles de colère.
Vendredi, les bus étaient petits, blancs, discrets, presque charmants. Les familles ont été évacuées vers 19 heures. Quatre enfants, voisins des locataires expulsés, sont restés sans électricité (leur mère étant à la recherche d’aide) car les policiers ont détruit le boîtier EDF commun à l’étage. Les habitants du quartier ont continué à manifester en bloquant la rue de Belleville jusqu’à près de 23 heures. Les enfants dansaient en ronde, main dans la main, et chantaient, hilares, des textes hostiles au ministre de l’Intérieur.