Comment intégrer le multiculturalisme dans l’enseignement de l’Histoire en France ? C’est à cette question délicate qu’a essayé de répondre l’historien François Durpaire dans un ouvrage publié en 2002, intitulé Enseignement de l’histoire et diversité culturelle, nos ancêtres ne sont pas Gaulois. Dans un entretien accordé à Afrik, il nous livre le fruit de sa réflexion quant à la place qui doit être faite à l’Afrique dans l’histoire de France.
François Durpaire est professeur agrégé en Histoire et, depuis peu, docteur en Histoire, spécialiste de l’Amérique du Nord. Sa carrière d’enseignant le confronte à des classes où se côtoient des élèves d’origines diverses : Afrique noire, Maghreb, Antilles… Adapter le contenu de son cours d’histoire afin qu’il soit le reflet de son audience est une préoccupation de toute acuité pour l’enseignant qu’il est. Dans ce contexte, faire une place de choix à l’enseignement de l’histoire de l’Afrique lui paraît primordial.
Afrik.com : Comment est née l’idée de cet ouvrage pédagogique ?
François Durpaire : Cette démarche m’a été inspirée par la loi de Christiane Taubira, député de la Guyane, (tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crimes contre l’Humanité, ndlr) auteur de l’avant-propos de mon ouvrage, qui prône, entre autres, l’enseignement de la traite négrière et de l’esclavage en France. Ce livre est l’occasion de faire le point sur la situation et de lancer quelques pistes de réflexion quant à l’enseignement de la diversité culturelle dans les programmes d’Histoire en France. D’où le titre « Nos ancêtres ne sont pas Gaulois ».
Afrik.com : De quoi est-il question dans votre ouvrage ?
François Durpaire : Je fais tout d’abord le point sur les rapports entre l’école et la diversité culturelle en France. Tout en faisant un parallèle avec la société nord-américaine puisque cette dernière a compris très tôt les enjeux liés à la prise en compte de cette problématique. Enfin, je propose des pistes de réflexion, plus que des solutions, sur la façon d’enseigner l’histoire de l’Afrique et l’histoire de la part de l’Afrique en France.
Afrik.com : Quels sont les constats que vous avez effectués ?
François Durpaire : On essaie plutôt d’uniformiser la culture française alors que nous sommes une nation diverse. Cette notion de « peuple français » doit être plus politique que culturelle. C’est un « vouloir vivre ensemble ». Notre histoire est une histoire métisse et complexe. Une histoire dans laquelle il faut introduire de la nuance pour intégrer la diversité des héritages qui sont les nôtres. On ne doit pas se priver d’une réflexion sur l’exemple américain. Les Américains jugent en fonction de la réalité des choses.
Afrik.com : Vous insistez plus particulièrement sur l’histoire de la communauté noire et de l’Afrique. Pensez-vous qu’un Africain s’assimile à un Antillais ?
François Durpaire : Comme je l’explique dans mon ouvrage, les enfants aujourd’hui se perçoivent de moins en mois comme Africains ou Antillais. Ils se fédèrent et se regroupent plutôt autour de l’idée qu’ils sont des Noirs d’ici.
Afrik.com : Vous déplorez le peu de place fait à l’enseignement de l’histoire de l’Afrique dans les programmes d’éducation en France…
François Durpaire : A compter de septembre prochain, le mot « Afrique » sera complètement absent des programmes d’Histoire au lycée. Evidemment, le continent est mentionné quand on évoque la colonisation en Première et quand on parle de la décolonisation en Terminale. Ces deux thèmes sont également un peu développés au collège. Ceci alors qu’à la rentrée prochaine, le tiers des nouveaux programmes d’Histoire et Géographie sera consacré à l’Europe dont l’existence ne s’appuie sur aucun corpus scientifique. Ce qui n’est pas le cas de l’Afrique. Jusqu’à cette année encore, on étudiait les grandes villes africaines. En somme, on assiste plutôt à une régression, dans le cas de l’Histoire et de la Géographie, dans les programmes de l’Education nationale.
Afrik.com : Quelles sont les solutions que vous proposez ?
François Durpaire : Intégrer l’Afrique à plusieurs niveaux du programme notamment lorsque des thèmes comme l’urbanisation, le sous-développement ou encore les climats sont abordés. Il est également nécessaire d’intégrer dans l’histoire de la France les différents contacts de notre pays avec l’Afrique. La France a été une puissance négrière puis coloniale. D’un point de vue plus pédagogique, il est important d’évoquer le continent dans le cadre de leçons et moins, comme cela se fait à l’heure actuelle, à travers des exposés. Les enfants sont conscients de la différence entre les leçons et les exposés. Par ailleurs, il faut relier les phénomènes entre eux. Notamment, l’immigration et la colonisation qui peuvent permettre aux jeunes de mieux comprendre la configuration actuelle de la France.
Afrik.com : Dans votre livre, vous expliquez que si cette prise en compte de la diversité culturelle n’est pas satisfaite, l’Histoire fait place au mythe. Ainsi vous estimez que les afrocentristes ne sont pas des historiens…
François Durpaire : Mon propos s’inscrit dans une réflexion plus large, il est tronqué et peut être source de polémique. L’afrocentrisme est une démarche militante. Les gens qui pensent que l’Afrique se dérobe à l’Histoire, comme on le disait avant, ne sont pas de bons historiens. Ceux qui pensent que l’Afrique est au centre de tout pratiquent une « histoire-revanche » qui n’est pas plus scientifique. C’est le cas des afrocentristes. Molefi Asante, l’un des pères de l’afrocentrisme aux Etats-Unis estimait, dans les années 60, que les Noirs américains étaient des Africains. En affirmant cela, il gommait ainsi des siècles de métissage culturel. A cette époque, les Africains américains qui entreprennent de retourner en Afrique se rendent déjà bien compte qu’ils sont différents des Africains. L’Histoire est une science humaine, la vérité historique doit être poursuivie sans concession. C’est ce que font les historiens de l’Afrique.
Afrik.com : En définitive, n’est-ce pas parce que les enfants se sentent différents qu’ils veulent en savoir plus sur leur histoire on plutôt sur celle de leurs parents ?
François Durpaire : Oui et non. On est en quête d’une identité quand on se sent tiraillé entre deux cultures. Dans ma classe, à Villeneuve-Le-Roi, j’avais la chance d’avoir une Marocaine qui venait juste d’arriver en France. Elle était passionnée par l’histoire des Mérovingiens parce qu’elle était à l’aise avec ce qu’elle était. Elle en savait déjà suffisamment sur son pays d’origine pour ne pas avoir à en réclamer plus en classe. A contrario, sa copine d’origine algérienne, née en France, s’intéressait plus à l’histoire de sa patrie originelle. Elle, en revanche, est confrontée à une réflexion identitaire. On ne revendique rien quand on se sent étranger. Quand ces enfants disent, par exemple, concernant la Révolution française, c’est l’histoire des Français, il faut comprendre « c’est l’histoire des Blancs ». Deuxième exemple, celui d’une élève qui lors d’un TPE (travaux personnels encadrés, ndlr) ne savait pas si elle devait mettre « l’Islam est la deuxième religion en France » ou « l’Islam est la deuxième religion des Français ». Cette dernière formulation inscrit plus fortement cette religion au cœur de la nation.
Afrik.com : Quel serait le programme idéal selon vous ?
François Durpaire : Tout n’est pas à jeter dans les programmes actuels. Le programme idéal n’existe pas ! Il doit seulement répondre à deux préoccupations majeures. A savoir quel projet civique on souhaite pour la France. Sous la IIIè République, c’était clair, on voulait bâtir une nation forte, capable de prendre sa revanche sur les Allemands. Aujourd’hui, il s’agit de savoir si nous souhaitons construire une nation riche parce que diverse. La deuxième préoccupation est d’ordre méthodologique. Il s’agit là d’être le plus proche possible d’une histoire scientifique et rigoureuse.
Enseignement de l’Histoire et diversité culturelle, nos ancêtres ne sont pas Gaulois CNDP Paris, Hachette Livre, mars 2002, 159 pages, Collection Ressources Formation.
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