Nora Hamdi, cinéaste universelle aux racines algériennes


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Nora Hamdi © Jean-François Paga
Nora Hamdi © Jean-François Paga

Avec ses trois longs-métrages, Des poupées et des anges (2008), La Maquisarde (2020) et La Couleur dans les mains (2024), Nora Hamdi s’affirme comme une réalisatrice engagée, revisitant les luttes intérieures et sociales des femmes maghrébines.

À travers une écriture visuelle, Nora Hamdi raconte des histoires en offrant une représentation nuancée de leur identité. A travers ses personnages, elle soulève leur part sombre pour en extraire leur lumière. Sa méthodologie cinématographique mêle réalité brute et poésie, transformant chaque récit en un espace de réflexion sur la condition féminine et l’héritage culturel.

De la plume à l’écran : l’art de l’adaptation selon Nora Hamdi

Nora Hamdi s’illustre par sa capacité à transposer ses romans à l’écran, transformant des récits littéraires introspectifs en œuvres visuelles. Sans prétendre donner l’exemple ni parler au nom des autres, elle préfère offrir à chacun la liberté de se retrouver dans ses récits. Auteure de cinq romans, avec ses trois adaptations, Des poupées et des anges, La Maquisarde et La Couleur dans les mains, elle démontre  une maîtrise de l’adaptation, en tirant parti des forces narratives de ses écrits tout en exploitant le langage cinématographique pour enrichir les émotions et les enjeux de ses personnages.

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Chaque film conserve l’intensité et l’authenticité des œuvres originales, tout en les traduisant dans un univers visuel empreint de poésie et de réalisme. Sa démarche d’adaptation repose sur un équilibre délicat entre fidélité à l’esprit du texte et liberté créative, utilisant la caméra pour révéler ce qui échappe parfois à l’écriture : les silences, les regards, et la profondeur des paysages intérieurs de ses protagonistes. Cette approche permet à Nora Hamdi de tisser un lien puissant entre ses lecteurs et ses spectateurs, tout en affirmant une identité artistique entrée sur les luttes et aspirations féminines.

Des poupées et des anges (2008): le réalisme urbain sublimé par la poésie

Des poupées et des anges Leïla Bekhti, Karina Testa, Samy Naceri, Dalia Serradj, Fejria Deliba
Des poupées et des anges Leïla Bekhti, Karina Testa, Samy Naceri, Dalia Serradj, Fejria Deliba

Dans Des poupées et des anges, Nora Hamdi déploie un style qui mêle réalisme brut et envolées poétiques, ancrant son récit dans un décor urbain chargé de tensions. Les cités de banlieue et les rues parisiennes deviennent un prolongement des émotions des personnages, reflétant leur isolement et leurs aspirations.

À travers l’histoire de Lya, 16 ans, et de ses sœurs Chirine et Inès, confrontées à un père violent et à des choix de vie douloureux, la réalisatrice plonge au cœur des fractures sociales et familiales. La réalisatrice sublime ce cadre réaliste par une approche esthétique qui donne voix à l’intériorité des personnages. Le recours au slam et à la voix off crée un espace de respiration poétique, permettant aux héroïnes de révéler leurs espoirs et leurs douleurs face aux contraintes oppressantes de leur environnement.

Par des plans serrés et une caméra qui capte les gestes du quotidien avec une intensité presque documentaire, Nora Hamdi traduit l’authenticité de leur vécu tout en transcendant les duretés de leur réalité par une narration empreinte de sensibilité et d’humanité.

La Maquisarde (2020) : Le choix du huis clos comme force artistique

La Maquisarde : Photo Sawsan Abès, Emilie Favre-Bertin © Nora Hamdi
La Maquisarde : Photo Sawsan Abès, Emilie Favre-Bertin © Nora Hamdi

Pour son film La Maquisarde , Nora Hamdi fait du huis clos un levier narratif puissant. En concentrant l’intrigue dans des espaces confinés, comme une forêt rappelant les maquis algériens ou une prison évoquant les geôles coloniales, elle renforce l’atmosphère oppressante du film. Ces décors, minimalistes mais chargés de symbolisme, traduisent l’enfermement physique et psychologique des personnages.

Le film suit Neïla, une jeune femme engagée dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, capturée par les autorités françaises. Tandis qu’elle résiste aux interrogatoires et aux sévices, elle croise le chemin de Suzanne, une infirmière française en quête de rédemption après des années passées à soutenir l’effort colonial. Leur confrontation révèle les dilemmes éthiques et les douleurs personnelles nées du conflit. Ce huis clos permet également de développer un face-à-face intense entre Neïla et Suzanne, deux femmes que tout semble opposer.

Ce dialogue offre une réflexion nuancée sur les contradictions et les convergences humaines en temps de guerre. Dans ses films, la réalisatrice utilise la lumière, le son, et même les silences comme outils narratifs. Le silence accentue la tension dans les scènes de résistance et offre des moments de réflexion où les personnages réévaluent leurs choix.

La Couleur dans les mains (2024) : une métaphore visuelle sur l’identité

Dans La Couleur dans les mains, Nora Hamdi approfondit son utilisation des métaphores visuelles pour traduire les luttes intérieures de ses personnages. Le film raconte l’histoire de Yasmine, une artiste peintre qui, après avoir perdu ses parents pendant la période du terrorisme en Algérie, se voit contrainte de fuir son passé et s’installer à Paris sous une nouvelle identité. À travers son art, elle se lance dans une quête de réconciliation avec ses racines, tout en explorant les secrets enfouis de sa famille.

Au fur et à mesure de son parcours, elle se confronte aux défis de l’intégration en France, notamment le poids du racisme institutionnel et l’injonction à effacer son identité pour mieux s’adapter à la société. La méthodologie de Hamdi repose sur un langage cinématographique où les couleurs et les textures jouent un rôle clé. Les tons sombres, présents dans les scènes où Yasmine affronte des pressions sociales, contrastent avec les explosions de couleurs vives dans ses moments de création artistique. Ce dialogue entre les éléments visuels devient une façon subtile de raconter l’histoire, sans avoir recours à un discours explicatif.

La Couleur dans les mains: Kenza Moumou © B&Films Production
La Couleur dans les mains: Kenza Moumou © B&Films Production

La représentation des femmes maghrébines au cinéma

Nora Hamdi a toujours été une défenseuse de la représentation des femmes maghrébines authentiques au cinéma pour éviter les clichés. Dans ses films, elle rejette les stéréotypes souvent véhiculés par l’industrie cinématographique, qui réduisent les femmes issues du Maghreb à des rôles passifs ou subordonnés. Elle cherche à offrir une vision nuancée et complexe de ces femmes, les montrant non seulement comme des figures actives dans leurs propres récits, mais aussi comme des femmes fortes, déterminées en phase avec leur héritage familial et culturel en se confrontant à l’adversité pour en sortir une force.

À travers ses personnages non manichéens, qu’il s’agisse de Lya dans Des poupées et des anges, de Neïla dans La Maquisarde ou de Yasmine dans La Couleur dans les mains , elle met en lumière leurs luttes internes et leurs aspirations profondes. Pour Nora Hamdi, il s’agit avant tout de rendre hommage à des histoires de femmes trop souvent éclipsées, de leur offrir une voix et une place dans un cinéma qui tend à les invisibiliser. Ce faisant, elle questionne aussi les frontières entre identité culturelle et individuelle, tout en interrogeant les normes sociales imposées aux femmes maghrébines, dans une démarche qui s’inscrit dans un courant du féminisme arabo-musulman.

Michel Bampely
Michel Bampély est docteur en sociologie à l'École des hautes études en sciences sociales. Sur Afrik.com ses chroniques traitent de l'Afrique contemporaine et de sa diaspora.
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