Le cinéma Arlequin de Paris a été cette semaine du 30 mai au 2 juin le lieu de rencontre de cinéastes, d’acteurs et spécialistes du cinéma nigérian, à l’occasion de la première édition de Nollywoodweek organisée à Paris. Un moment qui a permis de mettre à nu les difficultés liées à une industrie cinématographique en plein boom.
Distribution, piratage, collecte de fonds, absence de locaux…les spécialistes ont tenté de disséquer les différents problèmes auxquels Nollywood est confronté, pour ensuite apporter des solutions. Tunde Kelani, cinéaste nigérian, fait le point pour Afrik.com.
Nollywood fait encore rêver, mais a du plomb dans l’aile. Deuxième industrie cinématographique au monde en termes de nombre de films produits (devant les Etats-Unis), le modèle cinématographique nigérian fait aujourd’hui rêver le continent africain. L’industrie Nollywood est née vers la fin des années 80, au moment où la télévision nigériane traversait des moments particulièrement difficiles. De nombreux artistes et techniciens, victimes de licenciements, ont alors décidé de se lancer dans les films indépendants.
Le budget n’était pas colossal. Mais la passion et la détermination de certains cinéastes finissent par obtenir gain de cause. Pour cause, le succès est devenu aujourd’hui incontestable. Mais derrière un tel succès, se cache une autre réalité. Une réalité parfois méconnue par le spectateur lambda, qui se soucie de regarder son film, de le commenter et de le recommander à ses amis.
Dans un pays où apparaissent chaque mois plus de 200 nouvelles créations au format vidéo, les ennuis commerciaux ne sont évidemment jamais loin. Le piratage et les problèmes liés à la distribution ou à la collecte de fond annihilent tout effort consenti par les spécialistes. La toute-puissante industrie cinématographique nigériane n’est plus infaillible.
«1 cinéma pour 3.000.000 de personnes»
Mais alors, de quoi souffre Nollywood ces dernières années ? Comment s’explique cette faiblesse récente qui rend cette industrie presque léthargique ? Pourquoi est-il si difficile pour le producteur nigérian de trouver des fonds pour financer ses films ? L’Etat joue-t-il sa partition en aidant les artistes et professionnels du secteur ? Tunde Kelani nous livre son opinion sur la question.
Interrogé sur les difficultés de Nollywood, Tunde Kelani rétorque : « Il y a un sérieux problème de structure. Nollywood n’a pas été institutionnalisé. C’est une responsabilité énorme de l’Etat. Celui-ci n’a commencé à s’y intéresser que lorsqu’il a vu les retombées économiques ». Tunde Kelani déplore l’absence de cinémas dans ce pays. Il note le sérieux manque d’investissement dans ce domaine.
« Il existe 1 cinéma pour 3.000.000 de personnes. L’Etat doit construire des cinémas dans les quartiers. Ce qui n’est malheureusement pas le cas ».
Tunde Kelani déplore notamment les difficultés liées à la distribution et à la collecte de fonds pour les artistes. Un problème de distribution qui est la conséquence d’un sérieux piratage qui tue à petit feu l’industrie cinématographique nigériane.
En août dernier, les données préliminaires estimaient à 1,2 billion naira (soit 7,5 milliards de dollars US) par an la contribution des industries du Droit d’auteur au Nigeria. Une situation lourde de conséquences. Tunde Kelani suggère à l’Etat de fournir des plateformes alternatives et un environnement favorable pour attirer les investisseurs et combattre le piratage.
Mais ce n’est pas tout. Le problème du financement est devenu une autre pierre d’achoppement pour les réalisateurs nigérians. Des réalisateurs qui ont recours à tous les moyens possibles pour financer leurs films. « J’ai recours à tout pour le financement de mes films. Je vois mes amis, mes frères et sœurs … pour trouver de l’argent. Evidemment, je vois aussi les banques pour faire des prêts et rembourser à long terme. Mais j’avoue que ce n’est pas évident ».
Mais Tunde Kelani se veut aussi optimiste et avoue que Nollywood a connu un grand succès. Mais il admet qu’il est difficile d’évaluer un tel succès en raison de l’absence de données et de statistiques. « C’est très difficile à dire. Il n’y a aucun chiffre pour étayer nos propos. Je vous l’ai dit. Nollywood n’a pas été institutionnalisé ».
Liberté d’expression, clef du succès de Nollywood ?
Sur les raisons de ce succès, Tunde précise : « L’une des raisons de ce succès est liée à la liberté d’expression. A Nollywood, on attaque toutes les thématiques. Politique, société … tout ! Avant, c’est vrai que de nombreux artistes et écrivains se sont heurtés aux régimes en place. Mais de nos jours, le Nigeria a changé de visage. L’artiste nigérian est très libre. Les artistes osent tout dire maintenant, parfois allant même jusqu’à faire du tort au gouvernement ». Tunde Kelani ajoute également que la détermination de certaines personnes a contribué au succès de Nollywood.
Nollywood est en bonne marche. Mais il se caractérise par des hauts et des bas. Face à un certain nombre de difficultés, l’industrie marche au ralenti. Mais les acteurs ne veulent rien lâcher dans leur volonté de faire de Nollywood l’unique vitrine culturelle et cinématographique du continent africain, même si le chemin reste encore parsemé d’embuches.
Phone Swap, meilleur film du public
La semaine de Nollywood, qui s’est tenue du 30 mai au 2 juin à Paris, est l’une de ces nombreuses initiatives prises pour faire connaître le cinéma dans le monde entier. De nombreux films étaient en concurrence dont Tango with me du réalisateur Mahmoud Ali-Balogun, Man on the Ground d’Aki Omotoso, Last flight to Abuja d’Obi Emelonye, Maami de Tunde Kelani et Phone Swap de Kunle Afolayun. Ce dernier a finalement remporté le Prix du meilleur film du public.