« Noirs de France » : Une série documentaire en trois volets, dont le premier est diffusé dimanche 5 février à 22 heures sur France 5, retrace plus d’un siècle de lutte pour l’égalité de millions d’Africains, de Malgaches, d’Antillais, de Guyanais et de Réunionnais de France. Un pari risqué pour Juan Gelas et Pascal Blanchard, les auteurs de la série.
Parvenir à raconter une histoire aussi délicate sans faire de distinction est compliqué. Mais se refuser à le faire serait illogique dans un contexte où une catégorie de la population française était vue différemment. Un chef-d’œuvre historique illustré d’images d’archives entrecoupées de nombreux témoignages de Noirs de France tels que l’historien Pap Ndiaye, le comédien Pascal Légitimus ou encore la députée de Guyane Christiane Taubira.
Bien que la présence de Noirs dans l’hexagone remonte dès la fin du XVIIe siècle, Blanchard et Gelas rapporte un récit qui lui commença à la fin du XIXe siècle. Un combat mené par des générations de Français dont les livres d’histoires n’ont que trop rarement retenu les noms…
NOIRS DE FRANCE (Bande annonce) par Phares-Balises
Le temps des Pionniers (1899-1940)
Ils sont Noirs et luttent déjà au sommet des institutions de la République. Nous sommes en 1898. Alors que l’affaire Dreyfus fait la Une des journaux, un homme politique noir est élu député de Guadeloupe. A seulement 28 ans, Hégésyppe Légitimus, fils d’un marin pêcheur et d’une ouvrière agricole, est celui qui fondera le parti socialiste guadeloupéen. Seulement, pour de nombreux français il est un intrus au Parlement. Avant lui déjà une génération d’élus noirs et métis a défendu les valeurs de la République. C’est le cas, entre autre, de Jean-Baptiste Belley. Révolutionnaire français, il fut élu député Montagnard durant la Révolution française. Il représenta la colonie française de Saint-Domingue à la Convention nationale puis au Conseil des Cinq-Cents.
« Les Noirs sont des sauvages que la République doit emmener lentement vers la civilisation ». Ainsi pensaient la majorité des Français blancs de l’époque, et ce, même au sein des plus hautes institutions, là où est censée loger l’élite intellectuelle. Cette première partie du reportage offre des images stupéfiantes. En 1896, les Frères Lumières filment une baignade dans un bassin. Et pas n’importe laquelle. Celle des habitants du village nègre du Jardin d’Acclimatation. Des Noirs sautent dans l’eau d’un bassin et récupèrent des pièces jetées par « des promeneurs endimanchés ». Cela témoigne à quel point le rapport entre Blancs et Noirs est violent à cette époque. Et aujourd’hui, la France est-elle capable d’accepter que l’on puisse être Noir et Français ? C’est la question que se posent les auteurs du film. Les cultures d’origine africaine, antillaise ou bien comorienne sont à peine distinguées. Dans le regard de ces Blancs, une seule chose prône sur tout le reste : la couleur noire. Le siècle s’achève. Chocolat, le clown noir, est une icône populaire du music-hall, et alors que quelques élus noirs siègent au Parlement, des millions de femmes et d’hommes noirs sont traités comme des sauvages. Ils sont les indigènes de la République. Dans un même temps, des sportifs et des artistes noirs s’imposent à l’image de la danseuse Joséphine Baker, du cycliste Major Taylor ou du boxeur Jack Johnson qui tombe tous les tabous en se mariant à une Blanche.
La guerre 1914-1918 a été un tournant important dans « l’acceptation » des Noirs en France. Le souvenir des célèbres tirailleurs sénégalais amène l’idée que la France est une nation ouverte au monde. Une idée qui attire les Afro-Américains et qui fait de Paris la deuxième capitale mondiale de la diversité. Mais il ne s’agit là que d’un leurre. L’Allemagne capitule et les Africains avec. Il faut ces indigènes de s’installer. Les voici donc rapatriés dans les colonies. Les années 30 marquent un retour sans précédent de la théorie de supériorité de la race blanche. Quelques nouvelles voix noires organisent la riposte : le guyanais Léon-Gontran Damas, écrivain, poète et homme politique français, le martiniquais Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais, ou encore celle du sénégalais Léopold Sédar Senghor, poète, écrivain et premier Président de la République du Sénégal (1960-1980). Tous les trois fondent le mouvement de la « Négritude » : « la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de « destin de Noir », de son « histoire » et de sa « culture. »
Le Temps des migrations (1940-1974)
C’est le temps des grandes mutations. L’Afrique participe à la libération de la France. En 1945, De Gaulle parade aux côtés des soldats… blancs. Mais où sont les Noirs ? Pourquoi les tirailleurs sénégalais ou marocains ne font-ils pas partie du défilé militaire ? Le public assiste au passage de troupes blanchies. Quelques années plus tard, les vieilles colonies deviennent des départements (1946) et l’Afrique connaît les indépendances (1960). La pensée noire s’affirme et notamment avec la tenue du premier Congrès des écrivains et artistes noirs à Paris en 1956, sous l’impulsion d’Aimé Césaire, Frantz Fanon et bien d’autres…
C’est aussi le temps des migrations venues d’Outre-mer et d’Afrique vers la métropole. Ces populations sont indéniablement les bases des Noirs français d’aujourd’hui. Et alors que les premières luttes ouvrières noires sont enclenchées, le choc pétrolier de 1973 provoque le ralentissement des migrations et une montée en puissance de la xénophobie…
Le Temps des passions (1975 à nos jours)
La crise pétrolière plonge la France dans une crise économique et le gouvernement de Giscard d’Estaing durcit le ton. Des primes de retour volontaire sont alors mises en places pour encourager le retour au pays. Africains et maghrébins deviennent les indésirables de la France. La victoire de 1945 semble tellement loin déjà… _ En octobre 1977, des réformes politiques vont profondément bouleverser le destin de nombreux résidents africains en France. Les réalisateurs du film nous offre une panoplie d’archives de ce qu’est la France à cette époque-là. On y aperçoit le secrétaire d’Etat chargé de la condition des travailleurs manuels (1974-1978), Lionel Stoléru, qui déclare : « Que les choses soient claires, on ne met personne à la porte mais on ne laisse plus la porte grande ouverte. »
Les années 80 sont marquées par une montée de la violence policière et des agressions racistes. La gauche, dans une logique sociale, participe à l’intégration de responsables politiques noirs au sein du gouvernement mais laisse s’installer « la ghettoïsation des quartiers populaires ». Le reportage montre à quel point le parti socialiste table sur la diversité pour gagner son électorat. Tout est politique. La droite, elle, creuse les différences. Le 19 juin 1991, lors du fameux dîner-débat RPR à l’occasion du Discours d’Orléans, Chirac, alors président du parti et maire de Paris, déclare : « Il est certain que d’avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d’avoir des musulmans et des Noirs » ; avant d’ajouter : « Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d’or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien le travailleur français sur le palier devient fou. » « Et ce n’est pas être raciste que de dire cela. », selon lui. Tant mieux alors, car toute la France a bien failli le croire.
« Noirs de France », un rendez-vous à ne surtout pas manquer. Juan Gelas et Pascal Blanchard se sont plongés dans un travail de fond pour offrir au public une bonne dose d’histoire. Le premier volet de cette fresque documentaire inédite sera diffusé dimanche 5 février à 22 heures sur France 5. La diffusion des deux autres est prévue pour les dimanche 12 et 19 février à la même heure.
Léopold Sédar Senghor disait : « Autrefois, j’étais complexé. Je haïssais les blancs qui me disaient que je n’avais pas de valeurs propres, que je n’avais pas de civilisation. Quand j’ai découvert que j’avais des valeurs propres, qu’il y avait une civilisation africaine, j’ai cessé de haïr les Blancs.»