Noir, mexicain et invisible


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photo mexique

Les données historiques et statistiques concernant les mexicains Afrodescendants et vivant au Mexique ne sont pas répertoriées dans les registres des recensements qui ont eu lieu au cours de l’histoire. Il n’est pas fait mention des noirs mexicains, en tant que groupe homogène dans l’histoire mexicaine, à tel point que de nombreux mexicains disent que ceux-ci n’existent pas.

Les mexicains se définissent comme étant des indiens ou des métisses (un mélange européen et autochtone). Ou ceux qu’on appelle Latinos, et rien d’autre. Depuis que l’Espagne a colonisé le Mexique en 1500 et presque exterminé les autochtones indiens, certains osent dire que le Mexique est un pays espagnol. Les noirs sont très rarement associés à l’histoire de cette terre.

Cependant, 9% de sa population est Afro-Mexicaine, sur un total qui oscille autour de 90 millions d’habitants. De nos jours, les noirs habitent dans chaque coin de la planète et constituent la base de nombreuses civilisations, Mais pour quelles raisons ceux parmi eux qui sont nés au Mexique manquent-ils de considération, pourquoi sont-ils marginalisés et relégués à la quasi invisibilité ?

Dans une entrevue accordée par deux institutrices noires d’une école de Guerrero, au Mexique, celles-ci nous disent que l’histoire ne donne pas une image juste des noirs ; ils sont présentés comme des ivrognes, des bouffons et ils sont habituellement dénigrés pour la couleur de leur peau.

Et comble de malheur, ils se retrouvent au bas de l’échelle sociale comme l’indien. Les deux éducatrices interviewés m’ont indiqué que de nombreux noirs rejettent leur descendance noire.

Que s’est-il passé ? La réponse est souvent la même que pour les autres africains esclavisés, emmenés dans le Nouveau Monde et vendus aux enchères. Il y a cependant une différence particulière au Mexique.

Ted Vincent relate dans son œuvre « Afro-Mexico » que depuis la guerre d’indépendance faite à l’Espagne en 1800, un général non espagnol avait négocié le « plan des trois garanties. » (plan de trés garantías).

La première était la garantie de l’indépendance, et la deuxième et la troisième étaient la garantie de protection de l’église, de la position économique des nantis, et de l’équité sociale pour la majorité des noirs.

Plus tard, le premier Congrès du Mexique a transformé la clause d’équité en une clause de prohibition (interdiction), celle de mentionner la race ou les données historiques de l’église dans les documents officiels de l’État.

Comme conséquence, le fait ethnique fut rayé des données historiques présentes et futures. Cette Loi importante reste en vigueur de nos jours.

Vicent indique qu’un recensement incluant les différents groupes ethniques n’a pas été effectué depuis 1930.

Les africains capturés et emmenés en Amérique en tant qu’esclaves sont arrivés au Mexique en 1500 avec les espagnols pour travailler avec les indiens, proches de l’extermination, en tant que constructeurs, esclaves dans les mines d’argent et les immenses plantations de canne à sucre.

Comme nous indique le renommé Vicent, 300 000 à 500 000 africains furent emmenés au Mexique durant cette époque, et plus tard, plus de 100,000 esclaves furent importés des Philippines, de Bornéo, de la Nouvelle Guinée, de Malaisie et de Chine.

Il en résulte une grande population non espagnole qui constitue désormais une part très importante de la société.

Certains noirs connaissent bien leur histoire. Elle importe peu pour d’autres. Certains racontent que leurs ancêtres sont arrivés sur ces côtes avec Hernán Cortes en 1519 ou avec les conquistadors espagnols en 1521.

La ville de Veracruz dans le Golfe du Mexique était le port d’entrée du commerce des esclaves durant le XVIème siècle, et comme conséquence de ce vil trafic, de nombreux descendants africains se trouvent dispersés dans la région.

En 1609, un militant du nom de Gaspar Yanga s’échappa des griffes l’esclavage et développa sa communauté de noirs marron dans les montagnes de VeraCruz. Les habitants de la localité ont élevé une statue en son honneur et ont mis sur pied un « festival annuel de Yanga » pour rappeler sa victoire dans la lutte pour la liberté de sa communauté.

Un autre grand nombre d’Afro-Mexicains vit regroupé sur la Côte du Pacifique Mexicain dans des hameaux construits il y a 300 ans. Sur la « Costa Chica », dans des États tels que Guerrero et Morelos vivent également de nombreux afro descendants.

Au cours des siècles, ils se sont mélangés avec les races indigènes (qui ont également été violemment discriminés) et ont formé de nombreuses nouvelles communautés.

Par conséquent, l’Africain et l’Indien sont désormais membres de la même famille, comme le sont tous ceux de la diaspora.

De nombreux vestiges de la culture noire sont si forts qu’en plus de la couleur évidente de la peau pour certains et les traits de terre mère, l’écho de l’Afrique reste vivace dans la culture de l’Afro-Mexicain. Plusieurs éducateurs ont décidé de mentionner l’histoire des noirs dans en les salles de classe dans les régions où le fait négroïde est présent comme Cuajinicuilapa, Guerrero. On envisage la construction d’un centre culturel dédié à l’expérience Afro-Mexicaine.

Les mexicains Noirs sont identifiés sur la scène mondiale et leurs histoires sont promues sur toute la planète. Des chercheurs et certaines organisations y contribuent. Avec la pauvreté rampante, de plus en plus de noirs émigrent vers les États-Unis, même si beaucoup d’entre eux ont longtemps résidé en Californie.

Leur participation à la construction du Mexique a été supprimée des textes, leurs ancêtres africains ne sont pas mentionnés et leur culture unique a été promulgué exclusivement mexicaine par l’élite au pouvoir.

Leurs héros noirs tels que le président Vicente Guerrero au 19ième siècle (c’est lui qui aboli l’esclavage en 1829) n’est pas identifié comme tel dans l’histoire, ni dans les textes scolaires, le fameux « corrido » chanté par les muletiers noirs n’est pas identifié comme musique et danse orale traditionnelle africaine Les racines africaines de La Dansa del Diablo, (La Danse du diable) ne sont pas mentionnées. Malheureusement, la liste des omissions est interminable.

Mais, à présent, certains noirs-mexicains se réveillent peu à peu, et réclament fièrement leur ethnicité africaine, tout comme leur héritage mexicain..

Pour la première fois de l’histoire, ceux qui se trouvent sur la côte du Pacifique se sont réunis en 1997 et 1998 pour participer à la conférence intitulée « La Convention des Peuples Noirs. » En plus de discuter de leur héritage avec un professeur venu du Congo, ils évoquèrent également leur statut social et les problèmes qu’ils rencontrent dans le Mexique d’aujourd’hui.

Il ne faut pas non plus oublier que des historiens comme le Dr. Ivan Van Sertima raconte que des voyageurs africains sont arrivés au Mexique en tant que explorateurs durant l’antiquité et avaient noué des relations avec la population native des lieux comme par exemple les Olmèques. Il met un accent particulier sur les fameuses têtes aux traits africains taillées dans la roche, découvertes dans la région de Veracruz.

Ainsi, les mexicains invisibles deviennent peu à peu visibles, malgré la répression de la culture dominante la répression de la culture dominante.

Malgré la négation de leur existence en tant que groupe autonome par le gouvernement et leur auto-négation, les Afro-Mexicains réclament peu à peu leur place dans l’histoire du Monde. Comme d’autres africains de la diaspora, ceux du Mexique ont déclenché le mouvement vers la reconnaissance et le respect dans leur pays natal.

Par Lula N’zinga Strickland

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