Nigeria : organisation d’élections sous un système fédéral défaillant


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« Le Nigeria n’est pas une nation, mais un simple assemblage géographique », disait en 1947 Obafemi Awolowo, un des pères fondateurs du Nigeria, lors d’une campagne contre le pouvoir colonial britannique. Le 14 avril prochain, les Nigérians éliront leurs nouveaux représentants et le 21, ils choisiront leur nouveau président de la République et leurs représentants fédéraux.

Près de soixante six ans après, alors que le pays se prépare à aller aux élections nationales et régionales, le système fédéral actuel se bat toujours pour maintenir une sorte de cohésion nationale.

« Au fil des années, nous avons assisté à de nombreuses tentatives visant à gérer la grande diversité ethnique du Nigeria, mais aucune n’a donné des résultats satisfaisants », a déclaré Yinka Babalola, professeur de sciences politiques à l’université de Lagos. « Aujourd’hui, le pays est plus instable que jamais, la méfiance mutuelle entre les ethnies est encore plus forte et le sentiment de marginalisation est très marqué, surtout parmi les groupes ethniques minoritaires ».

Les 140 millions d’habitants que constituent les quelque 250 groupes ethniques du Nigeria vivent dans 36 Etats ayant chacun à sa tête un gouverneur et ses propres lois. Le 14 avril prochain, les Nigérians éliront leurs nouveaux représentants et une semaine plus tard, ils choisiront leur nouveau président de la République et leurs représentants fédéraux. Avec près de 64 millions d’électeurs inscrits, les prochaines élections seront les plus grandes consultations jamais organisées en Afrique.

La Constitution confère aux Etats et au gouvernement fédéral du Nigeria des pouvoirs de contrepoids permettant de maintenir un juste équilibre entre les intérêts régionaux et ceux de la fédération. Ce système de gouvernement est inspiré de celui des Etats-Unis. Les gouverneurs des 36 Etats et leur parlement respectif ont le pouvoir de légiférer et de fixer des orientations politiques locales.

Toutefois, les forces de sécurité, dont la police, sont encore sous l’emprise du gouvernement central. Pour beaucoup de responsables politiques, c’est l’une des nombreuses ambigüités de l’Etat fédéral que la prochaine administration devra résoudre.

Selon les détracteurs du gouvernement actuel, le président Olusegun Obasanjo, qui avait déjà dirigé le pays en tant que général et chef d’Etat militaire, de 1976 à 1979, a dérogé aux principes du système fédéral en exerçant un contrôle strict et centralisé sur l’ensemble du pays.

Le gouvernement central contrôle la quasi-totalité des richesses du pays et verse chaque mois des allocations budgétaires aux gouverneurs des Etats de la Fédération. Pour de nombreux élus locaux, la gestion par le gouvernement fédéral de ces allocations est un moyen de contrôler leurs Etats, alors que les autorités fédérales pensent que les Etats ont trop de pouvoir, ce qui rend difficile l’application des lois fédérales.

Selon certains analystes, à la veille des prochaines échéances électorales, très peu de candidats à la présidentielle souhaitent une modification du système actuel, car ils sont les premiers à bénéficier de la situation ne veulent en aucun cas que les choses changent.

Une fédération qui tient grâce aux revenus du pétrole

De l’avis des plusieurs analystes, le système fédéral actuel est un pur produit des anciens régimes militaires qui ont dirigé le pays. « De nouveaux Etats ont souvent été créés non pas pour promouvoir le développement du pays, mais pour permettre à l’armée de contrôler la répartition des revenus du pétrole, s’assurer des appuis politiques et renforcer le pouvoir du gouvernement central, étant donné que les Etats devenaient moins viables économiquement », a affirmé l’éditorialiste et analyste politique, Richard Nwabuaeze. « En conséquence, le système est devenu complètement corrompu ».

Comme de nombreux autres observateurs, M. Nwabuaeze pense que le système fédéral n’aurait pas survécu sans l’importante manne pétrolière du pays. « C’est grâce à l’argent du pétrole que le pouvoir tient », a dit l’avocat constitutionnaliste nigérian Iste Sagay. « Sans cet argent, il n’y aurait plus de gouvernement ».

Plutôt que d’être au service du développement du pays, le système fédéral du Nigeria, sous les régimes militaires, s’est retrouvé empêtré dans une bureaucratie étroitement contrôlée par la hiérarchie militaire et caractérisée par l’apathie et l’inefficacité, ont fait remarquer plusieurs analystes politiques.

Les musulmans du Nord occupant la plupart des postes clés au sein de cette hiérarchie militaire et du gouvernement central, les sudistes ont longtemps considéré le système comme un moyen de réduire leur pouvoir politique.

Beaucoup de personnes pensent que la décision de redistribuer les recettes fédérales en fonction de la superficie des Etats et de la densité de la population était une mesure prise pour avantager les Etats du Nord. Toutefois, une bonne partie de ces recettes est générée par le pétrole produit dans la région du sud-est du pays.

Ressentiments et violences

Pendant la conférence constitutionnelle de 1995 organisée dans le but de restituer le pouvoir aux civils, des délégués, originaires pour la plupart du sud du Nigeria et de quelques régions minoritaires du Centre, avaient appelé à une révision du système fédéral.

Ils exigeaient notamment la création de six régions géopolitiques représentant les trois grands groupes ethniques du Nigeria, trois régions dans le centre du pays, peuplées de minorités ethniques, et la région pétrolière du sud-est.

Pour certains délégués comme l’ancien vice-président Alex Ekwueme, cette révision permettrait de créer des entités économiques plus viables et réduirait les coûts de gestion prohibitifs du système bureaucratique de chacun des 36 Etats de la Fédération.

Mais beaucoup de gouverneurs du nord s’y étaient opposés, arguant qu’il s’agissait d’une manœuvre destinée à réduire la part des recettes fédérales allouées à leur région et à affaiblir leur pouvoir politique.

La fin du régime militaire et l’élection du président Obasanjo ont vu resurgir les tensions ethniques, confessionnelles et communautaires qui ont dégénéré en de violents affrontements et fait des dizaines de milliers de morts. La plupart de ces conflits ont pour origine l’inimitié qui existe entre certains Etats et responsables fédéraux cherchant à asseoir leur pourvoir.

Par exemple, l’un des plus grands sujets de controverse a été la décision prise par 12 Etats du Nord, peuplés majoritairement de musulmans, d’appliquer la Charia, la stricte loi islamique. Cette loi prévoit une amputation des membres, en cas de vol, la flagellation, pour sanctionner la consommation d’alcool, et la lapidation à mort, en cas d’adultère.

Dans l’Etat de Kaduna, où le nombre de musulmans et de catholiques est sensiblement égal, le projet d’application de la Charia a provoqué en 2000 des vagues de conflits confessionnelles qui ont fait plus de 2 000 morts. Dans le sud-ouest et le sud-est, le mécontentement suscité par la mainmise de l’Etat fédéral sur les forces armées et de la police a donné lieu à la création de milices et de groupes de surveillance privés qui, pour combattre la criminalité, n’hésitent pas recourir aux exécutions extrajudiciaires.

Le Congrès du peuple d’Odua (OPC, Odua People’s Congres), créé dans la région du sud-ouest peuplée majoritairement de Yorubas, a indiqué que son principal objectif est de défendre les intérêts du groupe ethnique.
De même, les Bakassi Boys, un mouvement très actif dans la région du sud-est, ont affirmé qu’ils mènent campagne en faveur de la création d’une nouvelle République du Biafra.

Lles Etats dela région pétrolière du delta du Nigeront également été les premiers à exiger un meilleur contrôle des recettes du pétrole produit dans leur région. Ils exigent notamment le retour à la constitution de la période de l’indépendance du Nigeria, car elle permettait à chaque région de gérer directement 50 pour cent de ses ressources, ainsi que les taxes prélevées dans son territoire. Cette constitution a été abolie en 1966 lorsque le régime militaire en place a décidé de gérer toutes les recettes de la production de pétrole.

Vers un nouveau système fédéral

Sous le système fédéral actuel, la part des recettes du pétrole revenant aux Etats a augmenté de 13 pour cent. Toutefois, le gouvernement du président Obasanjo s’est dit opposé à toute augmentation de cette contribution sous prétexte que les gouverneurs des Etats de la région pétrolière en font un mauvais usage.

Mais ces gouverneurs font les mêmes reproches au gouvernement fédéral, et selon l’éditorialiste Nwabueze, les deux camps ont raison. « La corruption touche toutes les sphères du gouvernement au Nigeria et constitue un frein au développement », a-t-il affirmé. « Il faut l’éradiquer et exiger plus d’efficacité et de créativité au sein du gouvernement ».

Le principal défi que le prochain gouvernement devra relever sera de créer un nouveau cadre juridique qui accordera plus de liberté et de pouvoir aux Etats constituant la fédération, a fait remarquer Ladipo Adamolekun, un universitaire qui a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire des constitutions du Nigeria. « Une restructuration politique urgente est nécessaire. Elle devrait impliquer un renoncement au centralisme et à la prépondérance fédéraliste imposés pendant des décennies par les régimes militaires ».

Photo: David Hecht/IRIN : Affiches des candidats aux élections générales dans la ville de Jos, capitale de l’Etat du Plateau

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