Nigeria : Muhammadu Buhari, le démocrate converti


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Depuis mardi il est à la tête du pays le plus peuplé d’Afrique avec 180 millions d’habitants. C’est haut la main que Muhammadu Buhari a remporté l’élection présidentielle face à Goodluck Jonathan, par la voix des urnes. Celui qui prône la démocratie n’a pas toujours été démocrate, mais un putschiste à la poigne de fer. Qui est le nouveau président du Nigeria ? Retour sur son parcours.

« Muhammadu Buhari a ce côté sec, propre à une certaine élégance intellectuelle et signe d’une certaine discipline propre aux grands hommes ». Cette phrase postée par un internaute, fin observateur du Nigeria, résume ce que ses partisans pensent de lui. Mais le nouveau Président nigérian toujours vêtu d’élégants boubous, aux dents du bonheur qui ne passent pas inaperçues, aux lunettes rondes tendances, va devoir faire ses preuves. A la tête du pays le plus peuplé d’Afrique, sa tâche est immense, notamment dans le nord, abandonné dans la misère par les gouvernements successifs.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les populations du nord portent tous leurs espoirs en lui. Muhammadu Buhari, issu de la communauté peul, de confession musulmane, est lui-même originaire du nord. Il a vu le jour le 17 décembre 1942 à Daura, dans l’Etat de Katsina situé au nord du Nigeria à la frontière avec le Tchad. Issu d’une famille nombreuse, il n’est pas l’aîné, mais le petit dernier d’une fratrie de 23 enfants. Lui-même est le père de famille d’une ribambelle d’enfants : 10 en tous, issus de deux mariages différents.
S’il a remporté la Présidentielle par la voix des urnes, il n’a pas toujours été démocrate comme en témoigne le passé de l’ancien militaire. Cette phrase du candidat de l’All Progressive Congress (Congrès progressiste) prononcée lors d’un discours, quelques semaines avant sa victoire, parle d’elle même :« Je ne peux pas changer le passé, mais je peux changer le présent et le futur. Vous avez devant vous un démocrate converti ».

Un tyran sans concessions

Un démocrate converti au passé de putschiste en effet. Le 31 décembre 1983, l’officier d’infanterie d’alors, formé notamment au Royaume-Uni, renverse Shehu Shagari. Dès lors, il dirige le pays d’une main de fer. Il n’hésite pas à expulser environ 1,7 million d’immigrés, Nigériens, Béninois, Camerounais ou Tchadiens, vivant au Nigeria alors que la crise alimentaire mine le continent. Il va jusqu’à bafouer les droits de l’Homme pour faire régner son ordre, ordonnant par exemple l’exécution publique de trois trafiquants de drogue présumés sur une plage de Lagos. Les manifestations sont aussi interdites dans le pays. La presse habilement muselée. Et gare à ceux qui sont accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Pour ceux-là, c’est directement la case prison. En mars 1984, il décide de mener une guerre contre les fonctionnaires « paresseux », leur infligeant les châtiments les plus humiliants : flagellés ou contraints d’enchaîner en public des « sauts de grenouilles ».

Pourtant lui, qui veut passer pour un homme intègre, a été éclaboussé dans plusieurs affaires de corruption. C’est le cas dans les années 1970, au temps où il dirigeait la société pétrolière nationale NNPC. Ses détracteurs l’accusent alors d’être à l’origine de la disparition inexpliquée de 2,8 milliards de dollars. Il est aussi cité dans « le scandale des 53 valises » suite à l’importation illégale, par l’émir de Gwandu, d’une fortune provenant d’Arabie Saoudite. Ce n’est finalement qu’en août 1985 que les Nigérians sont libérés de sa politique rude, sans concessions, lorsqu’il est à son tour renversé. S’en suit alors pour lui un passage dans la vie carcérale. Après cette traversée du désert, il renaît de ces cendres et dirige l’agence gouvernementale chargée de financer des projets de développement, grâce à la manne pétrolière.

Une position ambiguë face à Boko Haram

Sa proximité et son indulgence face au groupe terroriste Boko Haram a aussi longtemps été pointée du doigt. Le chef du groupe terroriste Abubakar Shekau avait même cité son nom parmi les personnalités qui pouvaient faire office de médiateurs entre Boko Haram et les autorités fédérales. Il a toutefois mis un terme à cette ambiguïté, clarifiant sa position vis-à-vis de l’insurrection armée, affirmant qu’elle est composée « de bigots sans cervelle déguisés en musulmans». Une position qui met en rogne le groupe armé qui tente contre lui un attentat-kamikaze meurtrier, auquel il échappe, en juillet 2014. Muhammadu Buhari a aussi ardemment défendu l’instauration de la charia dans tout le pays. « Si Dieu le veut, nous n’arrêterons pas l’agitation pour la mise en œuvre totale de la charia dans le pays », avait-il déclaré, en 2011, publiquement lors d’un séminaire. Il fait finalement volte-face, en janvier 2015, en pleine campagne électorale, prônant la liberté de culte, rappelant au passage n’avoir jamais imposé la charia lorsqu’il était au pouvoir, entre 1983 et 1985.

Pour pouvoir remporter la Présidentielle mardi, Muhammadu Buhari a dû gravir plusieurs échelons. Il a été candidat malheureux à trois reprises ! En 2003, il tente un retour en politique en se présentant contre l’ancien général Olusegun Obasanjo, mais perd l’élection. Idem en 2007 et en 2011, le fauteuil présidentiel lui file à nouveau entre les doigts face à Umaru Yar’Adua puis Goodluck Jonathan. Seulement, sa défaite en 2011 n’est pas sans douleur. Elle se transforme vite en bain de sang, après des violences qui font près de 1 000 morts.

Course acharnée pour le fauteuil présidentiel

En 2014, rebelote. Il retente sa chance dans la course à la magistrature suprême. Il est alors désigné candidat en décembre 2014 par le principal parti d’opposition, le Congrès progressiste (APC), avec 3 430 voix, loin devant l’ancien vice-président Atiku Abubakar qui n’a obtenu que 954 voix. Il obtient même le soutien de l’ancien Président Olesegun Obasanjo, profitant d’une sévère brouille entre ce dernier et Goodluck Jonathan. Olusegun Obasanjo est allé jusqu’à publiquement déchirer sa carte de membre du Parti démocratique populaire (PDP) au pouvoir, en février dernier. Il faut dire que Olusegun Obasanjo et Muhammadu Buhari, tous deux d’ex-généraux, sont en de bons termes bien qu’ils aient été adversaires le temps d’une Présidentielle. D’autant que l’ancien Président nigérian avait nommé, en 1976, Muhammadu Buhari au poste très stratégique de ministre du Pétrole et des Ressources naturelles.

Désormais, le nouveau Président élu appelle tous les Nigérians à lui faire confiance pour redresser le pays. Il a salué, ce mercredi, dans sa première allocution en tant que Président, son élection, « qui marque la première alternance démocratique du pays depuis l’indépendance, comme vraiment historique ». Il a aussi tenu à rendre hommage au chef de l’Etat sortant, Goodluck Jonathan. « Notre pays a rejoint la communauté des nations qui remplacent par les urnes un Président en place au cours d’un scrutin libre et honnête », a-t-il dit. Selon lui, « M. Jonathan peut être certain de toute notre compréhension, de notre entière coopération, et du respect de mon équipe comme de moi-même ».

Un discours rassurant certes, mais c’est dans ses actes concrets que le démocrate converti prouvera qu’il a vraiment fait peau neuve.

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