Les travailleurs humanitaires disent lutter pour faire face aux retombées des affrontements sanglants entre chrétiens et musulmans qui ont fait des centaines de morts et de blessés et quelque 10 000 déplacés à Jos, une ville de l’Etat de Plateau, dans le centre du Nigeria.
Selon les chiffres provisoires de la police, environ 200 personnes ont trouvé la mort au cours des hostilités, déclenchées par les résultats des élections locales, mais le bilan serait en fait plus lourd.
Les travailleurs de la santé craignent que les cadavres qui jonchent encore les rues de la ville ne provoquent des infections, et ils disent parvenir à peine à traiter tous les blessés.
Jusqu’à 10 000 habitants de Jos Nord, théâtre des violences, se sont réfugiés dans les mosquées, les églises et les casernes locales de l’armée et de la police, selon Dan Tom, directeur de la Croix-Rouge nigériane à Jos. La Croix-Rouge prodigue des soins médicaux aux blessés dans les camps et les trois hôpitaux de la ville, qui d’après Ishia Pam, directeur médical en chef du Centre hospitalier universitaire de Jos, fonctionnent « bien au-delà de leurs capacités ».
« Nous manquons de matériel médical, et nous n’avons même pas assez de nourriture à donner aux patients car nous en avons tellement », a-t-il expliqué.
L’Agence nigériane de gestion des urgences (NEMA) distribue quant à elle des couvertures, des seaux, des bouilloires, des vivres et de l’eau aux familles déplacées.
Pourtant, « dans une caserne [de l’armée], 2 000 personnes dorment à même le sol et ne disposent pas des installations les plus essentielles. La plupart des magasins sont fermés et le prix des vivres est en train de grimper en flèche », a indiqué Francis Ayinzat, coordinateur de programme auprès de l’organisation non-gouvernementale (ONG) Oxfam, à Jos.
En outre, selon M. Ayinzat, il pourrait bientôt ne plus y avoir d’eau, puisque « personne ne tient les stations de pompage ».
Ibrahim Yahaya, un habitant hébergé à la mosquée centrale de Jos, a raconté à IRIN : « Ma maison a été entièrement brûlée et mes deux enfants sont toujours portés disparus. Je ne peux pas les chercher parce qu’on m’a tiré une balle dans la jambe. Ma vie a été complètement bouleversée ».
Jonathan Tawkek, de confession chrétienne, s’est quant à lui réfugié dans la caserne militaire de Rukba. « Heureusement, ma famille est saine et sauve, mais j’ai perdu tout ce que je possédais au cours de ces violences, et je me demande comment je pourrai jamais remplacer ce que j’ai perdu », a-t-il confié.
Selon Bala Kassim, porte-parole de la police, le bilan de 200 morts est uniquement « préliminaire ». Sama Ila Abdullahi Mohammed, député de la région touchée à la Chambre basse du Nigeria, a indiqué à IRIN que 444 corps avaient été enterrés jusqu’ici. Sur place, les observateurs estiment que le bilan pourrait être plus lourd.
Les observateurs ont expliqué à IRIN qu’un « calme précaire » était revenu à Jos le 1er décembre, en partie grâce à la présence de 3 000 soldats envoyés par les Etats voisins. Le président Umaru Yar’adua a donné ordre au chef de l’armée de déployer davantage de soldats, selon Sani Usman, porte-parole de l’armée.
Des élections à l’issue controversée
Les habitants ont fui lorsque des affrontements ont éclaté à Jos Nord, le 28 novembre, à la suite d’élections municipales entre les candidats du Parti de tous les peuples nigérians (ANPP) et du Parti démocratique du peuple (PDP), au pouvoir ; les membres de l’ANPP avaient accusé le PDP d’avoir truqué le scrutin.
À Jos, l’ANPP est dirigé par un musulman et le PDP, par un chrétien ; les allégations de fraude ont déclenché des violences sectaires, selon Adam Higazi, chercheur à l’université d’Oxford.
La fraude électorale est un phénomène courant au Nigeria, et de nombreuses allégations de pratiques frauduleuses ont été portées à la suite d’élections locales et fédérales, en 2007, selon M. Higazi.
« Quand des élections sont disputées entre confessions religieuses dans une région de Plateau où des tensions politiques se font sentir, les risques de trouble sont plus importants ».
Une équipe de parlementaires est arrivée à Jos le 1er décembre pour former une commission d’enquête afin de faire la lumière sur les massacres.
Un passé violent
Les dernières flambées de violence graves avaient eu lieu à Jos en 2002, et en 2001, les émeutes qui s’étaient déroulées dans la ville avaient fait jusqu’à 1 000 morts. Les élections du 27 novembre étaient les premières depuis les violences de 2001.
Dans l’Etat de Plateau, la politique s’est polarisée sur un axe ethnique et religieux, selon M. Mohammed, le député.
Cette polarisation est en partie due à la façon dont la politique nigériane est structurée, en ce que les droits des habitants sont définis en fonction de leur origine indigène. De nombreux musulmans ne sont pas considérés comme indigènes à Plateau, et se sentent marginalisés par un régime essentiellement chrétien, selon M. Higazi.
Le PDP a remporté 16 des 17 élections locales de Plateau, le 27 novembre, dont toutes ont eu lieu dans un calme relatif, bien que quelques cas d’irrégularités aient été signalés.
Selon bon nombre d’observateurs, au vu des risques de violence, les autorités de l’Etat de Plateau et le gouvernement fédéral auraient dû prendre davantage de mesures de protection pour éviter les troubles post-électoraux.
« Ils n’ont pas assuré la sécurité qu’il fallait ; ils n’ont pas bien réfléchi », a estimé un analyste, qui a souhaité conserver l’anonymat.
Selon lui, les autorités auraient dû assurer un suivi électoral plus étroit et déployer davantage de forces de sécurité dans les rues de Jos Nord avant, pendant et après les élections.
D’après M. Mohammed, les autorités de l’Etat auraient également dû fournir davantage d’efforts en vue de favoriser le dialogue entre les musulmans et les chrétiens avant les élections de novembre.
Désormais, pour M. Higazi, la priorité du gouvernement devrait être d’empêcher que les meurtres perpétrés en représailles ne s’étendent à d’autres régions de l’Etat de Plateau.
« Il est arrivé par le passé que des meurtres commis en représailles dans une région provoquent des violences dans d’autres régions de l’Etat ; c’est un danger tout à fait réel, aujourd’hui ».