Les Nigérians ont élu un nouveau Président. Pour la première fois depuis la restauration de la démocratie, en 1999, un candidat de l’opposition défait un Président sortant. Malgré son nom, le sort politique du Président Goodluck Jonathan a mal tourné. Muhammadu Buhari, ancien dictateur de 72 ans, récidiviste candidat à la Présidentielle, prendra ses fonctions le 29 mai.
Pays le plus peuplé d’Afrique et ayant la plus grande économie du continent, le Nigeria est confronté à une kyrielle de problèmes: insurrection islamiste virulente, armée inefficace et brutale, corruption généralisée, perte de débouchés économiques, et pauvreté créée par le gouvernement. Malgré les bonnes intentions et les promesses fréquentes, apparemment sincères, l’ex-Président Jonathan n’a pas réussi à résoudre ces problèmes et bien d’autres. Après l’échec à trois courses présidentielles en une douzaine d’années, Buhari a gagné avec un écart de deux millions de voix. Ses partisans ont célébré dans l’espoir de beaux jours à venir.
La réussite ne sera pas facile. Le Nigeria affronte la plupart des grands défis de l’Afrique. L’instabilité et les conflits étaient presque inévitables après l’indépendance de l’ancienne colonie britannique avec des frontières arbitraires qui encerclaient des tribus et des groupes ethniques antagonistes. Le Nigeria fait face à ce qu’on a appelé la malédiction des ressources, notamment la manne pétrolière qui a alimenté un système de prédation politique et de corruption généralisée. Le pays a connu une guerre civile amère et a souffert sous plusieurs dictatures militaires, dont une dirigée par Buhari.
Naturellement, les Nigérians attendent désespérément le changement. Beaucoup voient ce qu’ils veulent dans Buhari : il va relancer l’économie, créer des emplois, mettre fin à la corruption, et éliminer Boko Haram. Buhari a répondu dans le même sens : « Votre vote affirme que vous croyez que l’avenir du Nigeria peut être amélioré ». Et d’ajouter: « Vous avez voté pour le changement, et maintenant le changement est arrivé ». Oui, mais dans quel sens ?
Buhari s’est fait quelques amis lorsqu’il était au pouvoir, il a gouverné 20 mois avant d’être détrôné par un autre Général. Le journal The Economist avait noté: « Il a emprisonné des milliers d’opposants, fait taire la presse, interdit les réunions politiques et avait exécuté des personnes pour des crimes qui n’étaient pas des crimes capitaux quand ils ont été commis ». Ses soldats fouettaient même les gens quand ces derniers arrivaient en retard au travail.
Buhari, reconnaît désormais la démocratie comme étant la meilleure option. Et en tant que Président, elle peut lui procurer des avantages importants. Étant lui-même musulman, il pense être le mieux placé pour combattre Boko Haram, même s’il a opté pour une gouvernance laïque et a choisi un chrétien comme colistier. Buhari a cultivé une image austère et une réputation de probité pour lutter contre la corruption. L’ancien Général peut également être en mesure à la fois de réformer et dynamiser l’armée.
Cependant, la dynamisation de l’économie peut s’avérer plus difficile. Il y a une longue transition jusqu’au retour de Buhari au pouvoir, le 29 mai, période durant laquelle les élites du PDP (Parti Démocratique Populaire) pourraient tenter de tirer un dernier avantage de leur influence. Pire, Yvonne Mhango de Renaissance Capital expliquait que « le décrochage de l’activité économique en raison de la première moitié du mandat du Président tend à se prolonger, car elle implique nécessairement la constitution de nouveaux cabinets et éventuellement la restructuration des ministères et des départements ». En fait, Buhari n’a pas été en fonction pendant plus de trois décennies et son parti n’a jamais détenu le pouvoir, ce qui rendra plus difficile de mettre sur pied une administration compétente.
Pourtant le candidat Buhari a beaucoup promis. Inquiet, Zoran Milojevic d’Auerbach Grayson, considère que Buhari « parlait de manière utopique de nouveaux emplois pour tout le monde ». Bien qu’il existe certains défenseurs du marché libre dans sa coalition, la majorité de son entourage ne l’est pas et Buhari lui-même est considéré comme un « étatiste impénitent », selon le Financial Times. Cela n’est pas un bon présage pour l’avenir économique. À titre d’exemple, notait The Economist « il a expulsé 700 000 immigrés avec l’illusion que cela créerait des emplois pour les Nigérians. Ses politiques économiques, qui comprenaient le contrôle des prix et d’inutiles interdictions sur les importations, ont été inefficaces ». Le Nigeria ne peut se permettre la reproduction de telles erreurs.
Le succès du Nigeria suggère que le pays a développé une société civile plus consistante et un engagement plus fort pour l’État de droit que l’on pourrait le penser. De plus, cette expérience donnera de l’espoir à d’autres pays africains. Au cours des deux dernières décennies, la démocratie a pris une plus grande place sur le continent, mais récemment, elle reste au point mort. Deux douzaines de pays africains sont censés tenir des élections au cours des 18 prochains mois. Les observateurs craignent que plusieurs de ces votes soient peu libres. Mais puisqu’une société africaine aussi compliquée et fragmentée que le Nigeria a pu surmonter de nombreuses difficultés à tenir une élection pacifique et assurer un transfert démocratique du pouvoir, alors d’autres États africains peuvent aussi y arriver.
Le Nigeria est une tragédie, pas tant à cause des mauvais événements qui se sont produits, mais pour ses nombreuses occasions ratées et son grand potentiel inexploité. Malheureusement, le gouvernement à Abuja semble ne jamais manquer une occasion de rater une occasion. Espérons que cette fois la présidence de Muhammad Buhari sera différente. L’avenir du Nigeria en dépend.