Des dizaines de milliers de sub-sahariens migrent au Maghreb chaque année afin de trouver un travail qui leur permettra de nourrir leur famille. S’ils sont conscients des dangers de l’immigration clandestine, ils n’imaginent pas toujours l’hostilité et les mauvais traitements dont ils peuvent faire la cible. D’où les campagnes de sensibilisation.
La migration est depuis toujours un mécanisme de survie essentiel pour les populations du Sahara et du Sahel, des régions où le climat est peu clément et les conditions agricoles erratiques.
Selon plusieurs statistiques, environ un tiers des deux millions de personnes qui y vivent sont considérées comme des nomades. Des millions d’autres partent par monts et par vaux pour trouver du travail pendant la saison sèche, et envoient de l’argent aux membres de leur famille pour subvenir à leurs besoins, puis retournent chez eux pendant la saison des pluies, de juin à novembre, pour les travaux des champs et les récoltes.
Assis dans un fauteuil, dans les bureaux nigériens de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Moustapha Adamou, 34 ans, affirme pourtant vouloir mettre un terme à tout cela.
M. Adamou, mécanicien de sa profession, a récemment été rapatrié de la Libye au Niger ; tout en sirotant une tasse de thé, il raconte combien sa vie était dure à Tripoli, la capitale de la Libye, où en plus d’être peu rémunéré, il a également été confronté aux mauvais traitements de ses patrons et au paludisme, avant d’être volontairement rapatrié au Niger par l’OIM, en 2007.
M. Adamou effectue actuellement une tournée de quatre semaines, organisée par l’OIM, et qui l’a conduit à Niamey, la capitale du Niger, ainsi qu’à Tahoua, dans le nord-est, et à Maradi, dans le sud, deux régions dont sont originaires la plupart des migrants nigériens. « Vivre à Tripoli, c’est accepter toutes sortes de traitements inhumains et avilissants : la Libye est une terre de discriminations de tout type entre les gens ; ce n’est pas un endroit accueillant, c’est pourquoi j’ai saisi la chance de retourner au Niger », a-t-il expliqué.
Des dizaines de milliers de Nigériens travaillent en Libye. Entre 65 000 et 120 000 Africains subsahariens arrivent au Maghreb (Mauritanie, Maroc, Tunisie, Algérie et Libye) chaque année, selon les estimations recueillies par Hein de Haas, un chercheur de l’Institut international des migrations de l’université d’Oxford. Soixante-dix à 80 pour cent d’entre eux passeraient par la Libye et 20 à 30 pour cent par l’Algérie et le Maroc.
Si tant de Nigériens vivent aujourd’hui en Libye, selon M. Haas, c’est à la fois à cause de la longue frontière qui sépare les deux pays, et en raison de l’importante quantité de travail informel demandé dans le pays. Peu de Nigériens, moins de 10 000, poursuivent leur parcours vers l’Europe, a-t-il expliqué. Les fonds qu’ils envoient au Niger représentent une part considérable de l’économie nigérienne. En 2005, les versements officiels s’élevaient à quelque 60 millions de dollars, selon la Banque mondiale, et les transferts de fonds non déclarés à destination du Niger auraient atteint des sommes encore plus élevées.
Mais pour l’OIM, les risques auxquels sont exposés les migrants nigériens sont inacceptables. « Dans le cadre des actions menées pour réduire les taux élevés de migration clandestine au départ du Niger […] le gouvernement du Niger et l’OIM ont lancé une campagne d’information destinée à sensibiliser les populations aux dangers de la migration clandestine, afin de mieux prévenir ce phénomène », a déclaré l’OIM, au Niger, dans un communiqué annonçant le lancement du programme.
Selon Jo-Lind Roberts, porte-parole de l’OIM en Afrique de l’Ouest, ce n’est qu’une fois arrivés à destination que les migrants se rendent compte du peu d’opportunités qui s’offre à eux. « Ca aussi, c’est une chose qui n’a été vécue que par les personnes qui ont tenté la traversée de la mer ou du désert. Ici [en Afrique de l’Ouest], au moment de partir, les gens n’ont encore aucune idée du peu d’opportunités qui les attend ».
Mais les chercheurs spécialisés dans les questions de migration se demandent si les campagnes d’information parviendront effectivement à juguler ce phénomène. « Informer les gens, c’est bien, surtout pour qu’ils soient conscients des dangers très présents [auxquels ils risquent de s’exposer] », a admis M. Haas, mais « ces campagnes présentent les migrants comme des victimes, comme des personnes vulnérables qui ne savent pas ce qu’elles font. Or, à force de m’entretenir avec des migrants, je n’ai pas cette impression », a-t-il ajouté.
Le chercheur pense au contraire que la migration est un impératif économique pour de nombreux Africains. « Il reste que les écarts de revenus entre l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du Nord et l’Europe sont considérables ; la principale raison de la migration économique est donc encore là ».
La méthode des campagnes d’information a déjà été testée au Sénégal également, où chaque année des dizaines de milliers de personnes se risquent à effectuer de dangereux périples en bateau d’un bout à l’autre de l’Atlantique, à destination de l’Europe, poussées par la pauvreté et le désir d’acquérir la richesse relative qu’ils ont vue chez d’autres migrants prospères.
Chercheur confirmé à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, la capitale, Papa Demba Fall se consacre à l’étude des migrations. Pour lui, la campagne de sensibilisation s’est révélée peu efficace. « Il ne faut pas oublier que les personnes qui choisissent de partir sont déjà tout à fait conscientes des risques qu’elles courent », a-t-il rappelé. « Elles les connaissent très bien, les ont vus elles-mêmes, mais ça ne les fait pas changer d’avis ; la preuve en est que de plus en plus, et non de moins en moins, de personnes quittent le Sénégal chaque année ».
En 2006, selon les estimations de l’OIM, 31 000 personnes ont risqué le périple vers l’Europe par voie maritime au départ du Sénégal, dont environ 6 000 sont mortes ou ont disparu en mer.
L’OIM soutient les efforts déployés par le gouvernement en vue de mieux contrôler les frontières en fournissant l’équipement et les formations nécessaires. L’organisation apporte également un soutien aux migrants qui souhaitent être rapatriés et réinsérés. Environ 50 migrants nigériens sont retournés volontairement de Libye depuis le mois de février 2007.
Mais les informations diffusées par l’OIM sont également utiles, selon Mme Roberts. « Je reconnais que les migrants potentiels connaissent déjà les dangers auxquels ils s’exposent de manière générale, mais ce n’est pas la même chose qu’être véritablement en mesure d’en discuter avec quelqu’un qui est passé par là », a-t-elle déclaré.
Photo: Nicholas Reader/IRIN