Depuis le coup d’État de la garde présidentielle à Niamey le 26 juillet, l’autoproclamé Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) compte sur l’appui diplomatique et militaire de ses voisins maliens et burkinabè. Une situation invraisemblable au vu des menaces actuelles.
Par Salif Touré, consultant auprès d’organisations internationales en Afrique de l’Ouest
La météo est très changeante dans le ciel de notre beau pays, le Niger. Un jour, la menace d’une intervention militaire de la CEDEAO fait craindre des combats sans fin, comme le laisse présager l’activation de sa force d’intervention le 10 août ; le lendemain, la relance des négociations avec les militaires putschistes fait la Une des journaux. Dans les deux cas, les pays voisins dont les pouvoirs sont eux aussi issus de coups d’État – le Mali en 2020 et 2021, et le Burkina Faso deux fois en 2022 – semblent omniprésents dans les coulisses. Alors qu’ils n’ont ni les moyens ni les ambitions de leur discours. Il serait bon de ne pas l’oublier.
Bamako, Ouaga, Niamey : les putschistes se serrent les coudes
Le ton a été donné dès l’annonce d’une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO – qui n’est pas intervenue malgré l’ultimatum expiré le 6 juillet. Immédiatement, Bamako et Ouagadougou ont vilipendé les pays membres de l’organisation ouest-africaine dont ils ont d’ailleurs été exclus. Le général Abdourahamane Tiani, le nouvel homme fort à Niamey, a ainsi pu compter sur le soutien du colonel Assimi Goïta et du capitaine Ibrahim Traoré.
Normal, me direz-vous, que des militaires putschistes se serrent les coudes puisqu’ils savent, les uns et les autres, que leur pouvoir est anticonstitutionnel et qu’ils subissent les mêmes sanctions régionales et internationales.« Le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) rejette en bloc ces sanctions et refuse de céder à toute menace et d’où qu’elles viennent, a déclaré Abdourahamane Tiani, le 3 août. Nous refusons toute ingérence dans les affaires intérieures du Niger. »
Une question d’honneur pour Bamako et Ouagadougou ?
Selon le général putschiste, les pays de la CEDEAO – Nigéria et Sénégal en tête – ne veulent qu’humilier les forces militaires nigériennes et rendre le pays « ingouvernable ». Pire, les pays de la région ne prendraient pas « en compte la souveraineté de notre pays ». Et lui, a-t-il pris en compte la souveraineté du peuple nigérien, qui avait élu le président Mohamed Bazoum lors des élections de février 2021 ?
Comme un seul homme, Goïta et Traoré ont donc immédiatement apporté le soutien militaire du Mali et du Faso à la jeune junte nigérienne, en cas d’intervention militaire de la CEDEAO, considérant que toute intervention serait « une déclaration de guerre » contre leurs propres pays. Depuis, les allées et venues entre les représentants des juntes régionales se sont multipliées. Nous avons d’abord vu le général Salifou Mody – ancien chef d’État-major limogé en avril dernier mais désormais nº2 de la junte nigérienne – se rendre à Bamako le 2 août, pour sceller la coopération entre les deux pays.
Assimi Goita et Salifou Mody se connaissent bien et s’apprécient, comme l’avait montré la précédente visite de Mody à Bamako en mars… avant sa destitution. Enfin, lundi 7 août, ce fut au tour du colonel malien Abdoulaye Maïga de se rendre à Niamey, à la tête d’une imposante délégation malienne et burkinabè. Une délégation aussitôt reçue en grandes pompes par le général Tiani… contrairement à celle de la CEDEAO et de l’ONU attendues le lendemain.
Au menu des discussions : la lutte contre l’insécurité dans la région des trois frontières, et l’appui du Burkina et du Mali en cas d’attaque contre le Niger destinée à restaurer la démocratie et le président Bazoum dans ses fonctions, toujours emprisonné dans le palais présidentiel. Voilà pour les faits.
Le Mali et le Faso sont incapables d’être maîtres chez eux !
Mais, comment le Mali version Goïta et le Faso version Traoré peuvent-ils être si présomptueux ? Comment ces deux armées pourraient-elles venir en aide aux putschistes nigériens alors qu’elles sont totalement incapables de maintenir la sécurité à l’intérieur de leurs propres frontières ? « Le putois ne sent pas l’odeur de ses aisselles », comme dit notre proverbe, et il s’applique fort bien à cette situation qui pourrait paraître grotesque si elle n’était pas aussi grave.
Là aussi, il vaut mieux laisser parler les faits : malgré les discours patriotiques sur la toute-puissance des FAMa, les soldats maliens subissent revers sur revers face aux GAT (groupes armés terroristes), et ce depuis trop longtemps. Il n’y a qu’à regarder l’actualité récente pour s’en convaincre. Le 25 juillet dernier, à la veille du coup d’État à Niamey, les forces militaires maliennes se font mettre en pièces par des combattants du JNIM (Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn) dans leur camp de Kouakourou, à 40km au sud de Mopti. Cette attaque à la voiture piégée aurait fait plusieurs dizaines de morts – civils comme militaires – mais les médias pro-juntes continuent de tresser des louanges aux FAMa, vantant la « montée en puissance de l’armée malienne dans sa lutte contre les groupes terroristes actifs au Mali et dans la sous-région ».
Quand je vous dis que les fanfaronnades de la junte à Bamako pourraient être comiques si la situation n’était pas aussi dramatique… À Kouakourou, l’hydre djihadiste – en saccageant le camp militaire des FAMa – n’a fait que mettre en évidence les défaillances de l’État dirigé par la junte, et supposé avoir progressé depuis le putsch.
Multiplication des attaques terroristes
Plus récemment encore, le 3 août à Assaylal près de la frontière nigérienne, une patrouille militaire malienne est tombée dans une embuscade tendue par des combattants de l’État islamique au grand Sahara (EIGS). Le premier bilan d’une quinzaine de morts n’a pas été confirmé par l’État-major des forces armées maliennes qui s’est simplement fendu d’un commentaire : « Nos troupes se sont férocement défendues ». Et c’est avec ça que le colonel Goïta veut défendre militairement le Niger ?
Non, nos voisins maliens – et encore moins burkinabè – ne sont pas en capacité de tenir des promesses aussi irréalisables que mal venues. Les vrais enjeux du Sahel ne tiennent pas dans l’éventualité d’un pacte entre les juntes militaires à Bamako, Ouagadougou et Niamey. Les vrais enjeux sont internes. Mais que vont bien pouvoir faire le général Tiani et le général Mody face à l’insécurité qui menace le territoire du Niger, qu’ils n’ont pas été en mesure de protéger sous la présidence Bazoum alors qu’ils étaient déjà en poste ?
Le scénario du pire se profile à l’horizon puisqu’il se dit que Mody est allé réclamer, lors de sa visite à Bamako, le soutien des militaires russes supplétifs du groupe Wagner. Serait-ce vraiment souhaitable pour le peuple nigérien ? Partout où Wagner passe dans la région, les massacres contre les civils se multiplient, sans parler des richesses minières des pays – du Mali à la Centrafrique en passant par le Burkina – promises aux mercenaires russes pour payer leurs services. Le Niger n’a vraiment pas besoin de telles alliances.
Heureusement, dans ce concert de paroles en l’air et de menaces intenables, quelques voix de la société civile ramènent le Sahel à la raison.
la parole d’Aliou Boubacar Diallo
Sortant de son long silence, le Malien Aliou Boubacar Diallo, homme d’affaires et président d’honneur du parti Alliance pour la démocratie et la paix (ADP), vient de rappeler que les « coups d’État sont des voies sans issue. Nous ne devons pas laisser se généraliser cette débâcle démocratique. Plus que jamais, c’est par les urnes que doit se décider l’avenir de nos sociétés. Je m’oppose à l’entrée du Mali en guerre pour défendre les putschistes du Niger, surtout quand le chef de la Garde présidentielle du Niger fait un coup d’État pour occuper le fauteuil du président de la République qu’il est censé garder ». Une formule qui résume bien le cul-de-sac stratégique de la junte du général Tiani.