« Niger : autopsie d’une crise alimentaire »


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A travers son documentaire « Niger : autopsie d’une crise alimentaire », le journaliste français Jean-Louis Saporito nous offre de mieux comprendre les mécanismes d’aide au développement. Entre endettement, spéculations, dictat des bailleurs de fonds avec les politiques d’ajustement structurel et espoirs, plongez au cœur de la situation. Interview.

Par Agnès Faivre

Photo.jpgAfrik.com a rencontré Jean-Louis Saporito. Photographe, grand reporter à la télévision durant une vingtaine d’années, il a créé et dirigé l’agence de presse Point du Jour de 1988 à 1999. En 2000 il fonde « Contrechamps », une association de journalistes désireux de partager leur expérience avec des confrères des pays du Sud. Réalisateur du documentaire « Niger : autopsie d’une crise alimentaire », il propose un décryptage des mécanismes de l’aide au développement, à partir d’une crise alimentaire durant laquelle la mortalité infantile a atteint un seuil 2 à 4 fois supérieur à celui d’un pays en guerre.

Afrik.com : Comment est née l’idée de ce projet documentaire ?

Jean-Louis Saporito : Ça fait longtemps que je vais en Afrique en tant que reporter, et le problème de l’aide au développement m’interpellait : on sait qu’il y a de l’argent qui va vers l’Afrique, et pourtant on voit toujours autant de personnes qui ont du mal à vivre, j’avais envie de chercher à comprendre cet insuccès. J’ai commencé à écrire un sujet en m’intéressant au domaine de l’éducation, et j’avais décidé de tourner au Niger où il semblait y avoir une volonté politique dans ce domaine. Cela me semblait bien pour expliquer l’aide au développement, et ses nouveaux concepts corollaires d’harmonisation et d’appropriation. Je devais suivre la rentrée des classes en 2005, et lorsqu’au début de l’été on a commencé à entendre parler de famine, j’ai décidé d’axer mon sujet sur cette situation, qui était aussi une situation d’échec global, des états et des organisations internationales.

Afrik.com : Lorsque vous passez du domaine de l’éducation à celui de la sécurité alimentaire, les problématiques liées au développement sont-elles les mêmes ?

Jean-Louis Saporito : Je suis arrivé au Niger pendant la soudure, c’est une période difficile où les paysans vendent le petit bétail pour survivre. En général le prix d’une chèvre équivaut à un sac de mil, mais là, les prix avaient flambé, le prix du sac de mil était passé de 10 000 à 40 000 F CFA (15 et 61 euros), et il y avait un problème d’accès à la nourriture. Donc la problématique a, très vite, été la pauvreté. Une pauvreté endémique. Pourquoi est-on si pauvre dans ces pays-là ? Pourquoi des enfants meurent-ils encore de malnutrition au Niger ? Si j’avais traité de l’éducation cette problématique serait arrivée au second plan.

Afrik.com : Vous vous rendez donc dans la région de Zinder, où l’on voit des paysans qui bradent leur « épargne sur patte » pour manger, des commerçants ayant attendu le dernier moment pour vendre leurs stocks de grain, qui du coup spéculent et font flamber les prix tandis que les plus démunis s’endettent. Il y a aussi ces femmes qui parcourent des kilomètres pour porter leur enfant au centre de soin. On a le sentiment d’un laisser-faire…

Jean-Louis Saporito : Médecins Sans Frontières (MSF) était à Maradi depuis 2001, mais à Zinder il n’y avait aucune association humanitaire jusqu’à l’arrivée, en juillet 2005, de MSF Suisse qui a ouvert en urgence un centre de soin. Ils ont envoyé 65 spécialistes médicaux ou paramédicaux et ont recruté plus de 600 Nigériens en quelques semaines. Ce qui a peut-être dérouté dans un premier temps les organisations internationales, c’est que Maradi et Zinder sont généralement les zones les plus riches du Niger, les greniers à grain, mais durant cette crise, elles ont aussi été les régions les plus sévèrement touchées. Ce qui s’est passé par exemple à Zinder, c’est que les commerçants ont répondu à la demande en céréale du Nigeria voisin, plus riche, ce qui a fait grimper les prix, le grain est devenu complètement inaccessible à la population locale.

Afrik.com : N’y a-t-il pas, en cas de crise, un recours pour éviter la spéculation ?

Jean-Louis Saporito : Depuis l’ajustement structurel, le gouvernement ne peut plus intervenir. Le prix du marché joue donc à plein, il s’agit de vendre au meilleur prix, de jouer la loi de l’offre et la demande. Il y a bien eu un débat sur la distribution gratuite, mais opter pour cette solution revenait à casser le marché, et les petits producteurs n’auraient pas pu vendre. On a donc estimé que ça entravait les stratégies de développement. Les associations et le gouvernement se sont entendus sur une distribution à prix modérés. Seulement on était tellement dans l’urgence que ça n’a pas pu se mettre en place assez rapidement.

Afrik.com : Les contraintes de l’ajustement structurel n’ont-elles pas aggravé la situation ?

Jean-Louis Saporito : Il est vrai que certaines mesures de l’ajustement structurel sont très contraignantes, interdisant par exemple toute intervention sur le marché, ou interdisant les subventions. Au Niger, les paysans n’ont pas le droit d’employer d’engrais, et les règles qu’on leur impose sont bien plus dures que celles auxquelles sont soumis l’Europe et les Etats-Unis. Autant de facteurs qui peuvent être un frein au développement. L’ajustement structurel a aussi cherché à réduire le train de vie de l’état, à diminuer le nombre de fonctionnaires, ce qui a aussi eu pour conséquence par exemple une marchandisation des services gratuits, entre autres dans le domaine de la santé. Mais on ne peut pas non plus imputer les difficultés de développement de l’Afrique aux contraintes imposées par les bailleurs. Certes l’aide donnée par les pays riches est très conditionnelle, mais les pays qui reçoivent ont aussi une part de responsabilité, par exemple sur une mauvaise gouvernance… Les responsabilités sont partagées.

Afrik.com : Dans ce documentaire le Premier ministre nigérien, Hama Amadou, énonce les comptes qu’il doit rendre aux bailleurs. Il dit : « On vous dicte tout ce que vous devez faire, comment vous devez dépenser cet argent ?». On apprend aussi que l’apport de l’aide au développement constitue 1/3 du budget de l’état nigérien, quelles en sont les retombées sur l’Etat ?

Jean-Louis Saporito : C’est même plus d’un tiers, quasiment 40%, l’Europe étant le plus gros donateur. Tout cela détruit l’état. C’est ce qu’explique Jean-Pierre Olivier de Sardan. Ce directeur de recherche au CNRS s’est aperçu des effets pervers de l’aide. Il évoque ainsi l’idée d’une coproduction de la crise, car les décideurs, soit les porteurs de cette manne financière, en gérant cet argent, affaiblissent l’état, là où l’état devrait être présent et directif. Le Niger compte plus de 600 ONG. Ces projets de développement ont investi tous les secteurs, et il explique comment ces unités extraterritoriales assument des fonctions qui devraient être celles de l’état. L’état ne joue plus son rôle. On assiste aussi à une fuite interne des cerveaux vers ces projets, et l’état disparaît encore par son incapacité à s’entourer d’élites.
Son constat est donc que l’état se dégrade, et qu’une réforme s’impose, mais qu’elle ne peut pas venir de la banque mondiale ou du FMI.

Afrik.com : Le 16ème rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement indique que le Niger figure en dernière position du classement, 177ème sur 177. Comment l’état peut-il s’imposer face aux bailleurs ? Et qu’en est-il de la dignité nationale ?

Jean-Louis Saporito : Il n’y a pas de rapport de force, ils sont obligés d’accepter les conditions des donateurs qui constituent une vraie puissance. La seule chose qu’ils puissent dire c’est « on ne vote pas comme vous à l’ONU ». Par contre, il y a forcément un problème de dignité nationale, les Nigériens, après avoir été montrés du doigt durant la famine, ont très mal vécu d’être le pays le plus pauvre du monde, mais ont-ils d’autre choix que d’accepter le diktat de banque mondiale et du FMI ? En revanche, on assiste à de nouvelles politiques de développement. Il s’agit de faire en sorte que les projets soient construits avec les pays donateurs et les pays concernés, qu’il y ait davantage de concertation. On parle à présent d’ « harmonisation » et d’ « appropriation ». C’est important, car on voit souvent des projets imposés qui ne concernent pas du tout les gens du pays. C’est une politique qui se met en place depuis deux ans environ dans le domaine de l’éducation.

Afrik.com : A la fin de votre documentaire on voit le centre de soin de MSF à Zinder en chantier, des constructions plus « permanentes » s’échafaudent…

Jean-Louis Saporito : La pauvreté structurelle ne va pas s’arranger en un an ou deux, il faut agir sur l’éducation, la natalité. Il y a 8 enfants en moyenne par femme au Niger. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités pour accompagner une politique de limitation des naissances. La population du Niger est évaluée à 50 millions d’habitants en 2050, et les récoltes ne sont pas suffisantes, la question de la sécurité alimentaire sera encore plus problématique que maintenant…

Afrik.com « Les espoirs de l’indépendances n’existent plus, nous ne pouvons plus rêver, aujourd’hui il faut survivre », dit encore Hama Amadou. Quelles sont les raisons d’espérer, puisque telle est aussi la question posée dans cette série de documentaires ?

Jean-Louis Saporito : Une plus grande solidarité. Il est clair que les choses iront en s’améliorant. Il ne faut pas confondre urgence et développement. L’urgence, ce sont des enfants qui meurent de faim au Niger et ailleurs, le développement, c’est à très long terme. Il s’agit d’aider le pays à s’en sortir, en développant l’agriculture, l’industrie, l’éducation, la santé, et ça, ça va prendre 10 ans, 20 ans, 30 ans peut-être… Les méthodes de développement sont en train de changer, au lieu de pratiquer chacun de son côté la politique du drapeau, les pays et les organisations internationales commencent à se mettre ensemble. Il fallait que ça change… Les donateurs ont bien conscience de l’échec des anciennes méthodes, et c’est en train d’évoluer.

« Niger : autopsie d’une crise alimentaire », une coproduction Point du Jour, NHK, France 5
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