Après les succès de One man show et de J’étais derrière toi, Nicolas Fargues brosse dans Beau rôle le portrait d’un trentenaire médiatisé qui attend la célébrité. Prétexte à une chronique sociale, entre et en noir et blanc, l’auteur décortique les tics et les conditionnements des uns et des autres. Le résultat est caustique, sans complaisance et savoureux.
Antoine Mac Pola, le héros du nouveau roman de Nicolas Fargues, est un métis. Plutôt beau garçon. A 35 ans, il vient de se faire remarquer dans un film à succès « White Stuff. » Alors, il s’amuse du regard que l’on porte sur lui, des attentes qu’il suscite, et profite de ce nouveau statut. Lucide sur son monde, sa légèreté est quelquefois entamée par le doute. Alors que de nouveaux défis se présentent à Paris, séduire une star et décrocher un nouveau rôle, Antoine doit se rendre aux Concordines, un pays imaginaire qui n’est pas sans rappeler les Antilles. Le roman met en scène, et dévoile avec autant d’ éclairages que de circonstances, ce qui se trame dans l’existence d’un homme issu d’une union mixte.
En critique acerbe, en observateur complice, Nicolas Fargues, fait endosser à ses créatures, les postures de nos contemporains, nous délectant de leurs égos, de situations futiles ou au contraire d’une actualité plus lourde, plus sourde dans une France multiraciale.
L’auteur cisèle ses personnages, comme un orfèvre, et nous les rend proches, sans partis pris, et dans la logique de leur quotidien. Et c’est là, l’un des tours de force de ce roman. Le ton est donné dès les premières pages, lorsque notre narrateur est invité dans un lycée ou des jeunes issus de différentes communautés s’expriment autour d’un film. C’est alors qu’un jeune homme ivoirien prend la parole: « Ce qu’ avait voulu exprimer Kouamé…C’est qu’ un blanc qui dénonce aussi passionnément le racisme est nécessairement un Blanc qui, avant tout, se bat contre ses propres préjugés. »
Un écrivain cinéphile et mélomane
D’un monde à l’autre, nous découvrons des portraits fidèles, cohérents, tellement attachants qu’ils s’incarnent. Comme dans ce passage aux Concordines, où après quelques confidences, Antoine pense de sa belle sœur Marie-Pascale: « Elle se retenait sans doute de me demander plus sérieusement, comme la plupart des filles noires qui nourrissaient sur la question un sentiment ambigu de condescendance et de fascination, si je ne trouvais pas les blanches un peu fades, un peu trop coincées, geignardes, mesquines, pas marrantes, pas courageuses… »
« La bande son »du livre n’est pas en reste ! Que notre narrateur s’approprie les paroles de Walk On By de Dionne Warrick, ou qu’il plane sur de Sob o Mar de Jaime et Nair, cela ne fait pas de doute, Nicolas Fargues sait de quoi il parle! Du coup, le mélomane nous amène à pousser quelques notes, histoire de valider ce qu’ Antoine entend.
Il y a aussi un tempo. Et quand, Antoine, lors d’un dîner, part dans un monologue sur le cinéma de Soderbergh, c’est impressionné par sa verve, mais essoufflé que l’on ne peut s’empêcher de penser : « Mais quand va t-il arrêter de parler? »
Critique au sujet du cinéma made in USA et des mentalités qu’il façonne, notre acteur pense haut et fort, que les américains, ne s’embarrassent d’aucuns scrupules, sur certains sujets. Comme lorsqu’il s’agit de reprendre un vieux cliché qui oppose l’agilité du corps noir à celle de l’esprit, l’apanage du blanc !
Et de nous remémorer, cette scène d’anthologie, dans Casino Royale de Martin Campbell, ou un James Bond, Daniel Craig poursuit, un trafiquant d’armes africain campé par Isaac de Bankolé,
Un regard acéré sur notre temps
Loin d’être tiède, le portrait qu’il dresse de la société contemporaine est vif et sans concession : « On va peut-être crever asphyxiés demain, et on continue à prendre l’avion, à faire des économies… Ca m’avait permis de prendre conscience de l’aberration du monde occidental, pour employer de grands mots.»
En 275 pages, dans la peau d’Antoine Mac Pola, notre héros, qui espère conserver le « Beau rôle », on découvre un homme d‘ aujourd‘hui, qui en de se dégageant du regard de l’autre laissé par l‘histoire, doit relever tous les défis et trouver sa place dans une société surmédiatisée.
Avec une écriture très travaillée, Nicolas Fargues, pour notre plus grand bonheur, signe à nouveau une œuvre subtile, ou il se fait l’ambassadeur de cet « homme de demain » que nous sommes tous déjà un peu.
Commander Beau rôle, de Nicolas Fargue, POL, 2008, 275p