« Ni putes ni soumises »


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« Ni putes ni soumises » est une association très controversée issue de femmes de quartiers en France. Retour sur la création du mouvement, sur les nombreux débats et interrogations suscités par sa médiatisation, son message et ses soutiens politiques.

Lorsque Fadela Amara est élue en 2000 à la tête de la Fédération nationale des maisons des potes (FNMP), collectif d’associations de quartier unifiées sous l’égide de SOS Racisme, lui-même très proche du parti socialiste, elle est claire sur sa priorité: la condition des femmes. Elle a toujours travaillé sur ce sujet, notamment à Clermont-Ferrand, sa ville natale, dont elle est conseillère municipale socialiste depuis 2001. Quatre ans plus tard, Fadela Amara a réalisé son projet: la FNMP vivote, mais sa filiale, le mouvement Ni putes ni soumises (NPNS), a atteint une notoriété exceptionnelle. Fadela Amara et son équipe ont créé cette association en avril 2003 après les succès retentissants de l’appel intitulé Ni putes ni soumises (2002), puis de la Marche des femmes des quartiers pour l’égalité et contre le ghetto (février-mars 2003).

NPNS revendique aujourd’hui 52 comités locaux et 2800 adhérents. Nous n’avons néanmoins pu en identifier qu’une poignée réellement actifs sur le terrain. Le bilan des actions concrètes du mouvement reste maigre: ses deux premiers projets, la mise sur pied d’un Guide de l’éducation au respect et le montage d’une Maison itinérante des femmes dans l’Essonne, étaient inaboutis fin 2004, plus d’un an et demi après leur définition. L’autre priorité de NPNS était d’obtenir des appartements pour les femmes victimes de violences dans les cités. Le gouvernement a recensé une cinquantaine d’hébergements en dehors des 90000 lits d’urgence dont disposent les services sociaux nationaux. «Quelques femmes, au cas par cas» ont déjà pu bénéficier de ces appartements, assure-t-on prudemment au gouvernement, qui cherche désormais à «structurer ce dispositif avec NPNS et d’autres acteurs associatifs. – L’apparition de ce mouvement a permis de casser certains tabous, mais je n’ai pas vu que les pouvoirs publics donnent aujourd’hui plus de moyens, rétorque Fatima Lalem, une des responsables du Mouvement français pour le planning familial. Je suis en demande et en attente de voir aboutir des collaborations efficaces avec Ni putes ni soumises comme avec les pouvoirs publics.»

Explosion médiatique

L’ampleur du débat initié est, par contre, immense. «Nous avons provoqué un déclic dans la société: on parle sans arrêt des relations entre sexes, et ça c’est nouveau», souligne Ingrid Renaudin, une des marcheuses. Les médias se sont en effet rués avec enthousiasme sur NPNS, derrière le magazine Elle et les grands quotidiens: «Ce mouvement, dès 2002, véhiculait quelque chose de non-entendu ailleurs, de trop souvent ignoré par les associations: la question des femmes dans les cités. C’est pourquoi je leur ai consacré des articles très tôt, explique Charlotte Rotman, journaliste à Libération. À partir de la marche pourtant, il y a eu emballement médiatique: c’était un événement porteur, facile à comprendre, avec de jolies filles qui parlaient bien et un sens certain de la mise en scène…»

Rachid Essabity, artiste et militant associatif à Grenoble, en garde une grosse amertume: «Très vite, dès que j’entendais parler des Ni putes ni soumises, je zappais. À la base, les idées étaient louables, mais au final, ça participe d’un battage médiatique anti-banlieue et anti-islam. – Cette explosion médiatique, je l’ai vécue comme une chance, soutient Loubna Méliane, une des marcheuses aujourd’hui simple adhérente à NPNS… et animatrice radio pour un poids lourd de la FM. Cela nous a ouvert beaucoup de portes et permis de sensibiliser plus de monde.» Ingrid Renaudin nuance: «Les médias nous ont utilisées… Une seule partie du combat transparaissait: “Les petites meufs des cités qui se rebellent”. Or on dénonçait aussi un système dont hommes et femmes sont victimes, pas seulement les filles des quartiers». Ce raccourci était prévisible, comme le soulignent Nacira Guénif-Souilamas et Eric Macé, sociologues à l’EHESS, dans leur livre Les féministes et le garçon arabe: «Même si cette interprétation est récusée par les membres du mouvement, les mots “Ni putes ni soumises” s’adressent aux hommes des quartiers et pas à tous les sexistes. Ils ne prétendent pas dénoncer les ghettos que l’incurie des politiques a laissés se développer, mais le comportement machiste, violent, incivilisé des hommes que les femmes sont contraintes de côtoyer».

Instrumentalisé par les politiques

Les politiques ont, comme les journalistes, adhéré avec bonheur à la démarche des Ni putes ni soumises, du parti socialiste à Jean-Pierre Raffarin ou Dominique de Villepin. Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, a exposé les photos des marcheuses au fronton du Palais-Bourbon, un symbole énorme: «Comparons cet accueil à celui réservé aux féministes classiques, analyse Christelle Hamel, anthropologue. Les politiques qui encensent les NPNS, ce sont les mêmes qui n’appliquent pas la parité, qui ont réduit (ou, avant, peu encouragé) les subventions aux associations féministes. Les violences subies par les femmes, on veut bien les voir dans les cités mais pas ailleurs! En ce sens, les politiques ont instrumentalisé NPNS. – Le gouvernement a d’un coup eu la sensation de pouvoir parler directement à la banlieue, souligne Charlotte Rotman, il a trouvé un interlocuteur privilégié là où elle n’en disposait pas». Fadela Amara a accédé au statut de référent dans le débat politique français; elle a notamment été invitée à siéger dans plusieurs hauts comités de “sages”: observatoire de la Parité, observatoire des Zones urbaines sensibles, Commission nationale consultative des droits de l’homme. Elle a également été un porte-voix du mouvement anti-voile. De son côté, Loubna Méliane est entrée au Conseil national du parti socialiste en mai 2003.

Sur le fond, une critique a pris de l’ampleur: NPNS serait une stigmatisation de plus envers les cités et les populations immigrées. Christelle Hamel résume: «Les Ni putes ni soumises ont raison de dénoncer les violences dans les cités, puisqu’il y en a, mais le problème réside dans la façon dont la société française reçoit cette dénonciation. La figure médiatique classique, c’était un jeune Arabe délinquant. Désormais, c’est un jeune Arabe délinquant ET violeur». Hicheme Lehmici, politologue à Lyon, tape encore plus dur: «Ce mouvement a permis aux acteurs politiques d’opérer un retournement de vision et de discours. De victimes, les habitants des cités deviennent des accusés, pour le plus grand bien des décideurs qui ont laissé la situation sociale se dégrader. J’y vois la reprise d’un discours profondément colonial où le colonisé doit prouver son appartenance à la civilisation. NPNS a allumé des contre-feux détournant l’attention, notamment médiatique, sur des faits terribles qui ne sont malheureusement pas propres aux cités».

Des effets contre-productifs

Loubna Méliane réfute : «Parfois c’est pas très beau de se regarder dans un miroir, mais il faut le faire. Je ne hiérarchise pas les souffrances des femmes, je ne stigmatise pas: je veux juste que ça change! Qu’on se rende compte de ce que vivent celles qui souffrent, et qu’on vienne prendre la mesure de ce qui se passe dans les quartiers. Le coeur du problème, ce sont les ghettos». Nora Belharbi, éducatrice en Seine-Saint-Denis, répond tranquillement: «Certes, il y a aujourd’hui des petits groupes de garçons violents qui cherchent à imposer leur loi, mais la majorité des jeunes des cités sont aujourd’hui, comme tous les jeunes Français, dans une recherche d’égalité! Il ne faut pas caricaturer: les filles des cités sont très nombreuses à avoir progressé ces dernières années, à s’être émancipées, y compris chez les musulmanes pratiquantes. “Ni putes ni soumises” les renvoie à un pur statut de victimes, en déniant toute existence médiatique et politique à la majorité qui se bat pour l’égalité et progresse».

Le discours de NPNS est reçu par certains comme un message discriminant, quoi qu’en disent les marcheuses. Zebeïda Chergui, auteur, militante associative et veuve de Kateb Yacine, le rappelle: «C’est bien qu’il y ait émergence de femmes qui dénoncent. Mais pour briser une mentalité de guerre des sexes, faut-il encore en rajouter sur les discriminations? Les garçons les plus durs vont se hérisser davantage… Il importe aujourd’hui de soutenir une avant-garde de filles et de garçons capables de sortir des sentiers battus et de transformer les rapports publics et familiaux au sein des quartiers». Pour elle comme pour d’autres, le succès des “Ni putes ni soumises” a surtout des effets contre-productifs. Le débat est ouvert.

Par notre partenaire Respect Magazine, François Carrel

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