Ngarléjy Yorongar, député fédéraliste de la région de Doba, expose pour afrik.com sa vérité sur le projet d’oléoduc Tchad – Cameroun qui, avant de transporter un jour du pétrole, fait déjà couler beaucoup d’encre.
Ngarléjy Yorongar, ancien ministre, député fédéraliste de la circonscription de Bebeja, au sud du Tchad, et principal opposant au projet d’exploitation pétrolière de Doba situé dans la même région, était l’invité d’afrik.com le 26 juin dernier. Il a réitéré son opposition totale au projet dans les conditions actuelles et répété son hostilité au régime du président actuel Idriss Déby, qualifié de » fraudeur « et de » trafiquant de drogue « .
afrik : Pourquoi êtes-vous opposé au projet de Doba, puisque les organisations internationales et d’autres observateurs semblent l’avoir validé ?
Ngarléjy Yorongar : Dans le cadre de cette affaire de pipe-line, la Banque mondiale, le FMI et certains Etats du Nord sont complices des multinationales pétrolières. Le Tchad n’a rien à gagner de ce contrat, conclu dans des conditions scandaleuses et qui n’apportera rien à mon pays. Même si la ressource est là, le Tchad devra rembourser les frais d’exploitation pendant quinze ans. Il y a aussi cet avenant n°2 qui nous prive d’une grande partie des revenus en accordant des exonérations exorbitantes au consortium. Enfin, des avances sur recettes ont déjà été consenties par le consortium. Il n’en restera rien pour les Tchadiens.
afrik : Que dites-vous des 80 % de ressources que l’Etat tchadien prévoit d’affecter à des projets de développement ?
NY : Ce projet de lutte contre la pauvreté est une farce. C’est de la rigolade. La loi de finances empêche-t-elle Déby de piller le pays ? Il faut savoir que le président du Tchad est un trafiquant de drogue, dont plusieurs des collaborateurs ont été pris à des postes-frontières et dans des aéroports (cf. le livre Noir Silence de F.-X. Verschave, NDLR). Le comité de gestion prévu pour suivre la gestion de cet argent ne comprend qu’un représentant de la société civile sur onze membres. Quelle garantie peut-on espérer d’une telle institution ? Je le répète : il n’y a aucune concession à faire et les Tchadiens n’en feront pas. Ils sont opposés farouchement au projet dans son état actuel. La seule possibilité serait de tout renégocier. Le risque environnemental, par exemple, pourrait être largement minimisé.
afrik : N’est-il pas trop tard pour le faire ? Que peut-il se passer concrètement, maintenant que la contrat est signé ?
NY : Et si le pétrole ne coulait pas ? Déby va-t-il mettre un soldat derrière chaque ouvrier ? Vous savez, il y a déjà eu des massacres dans ma région et il y en a encore, notamment de femmes enceintes. Tout cela au prétexte de la rébellion.
afrik : Quel seraient les thèmes de la renégociation que vous préconisez ?
NY : Nous avons demandé que la renégociation prenne en compte les impératifs de santé publique. Nous ne voulons pas que les gens filtrent le pétrole à la surface de l’eau qu’ils vont puiser. Nous ne voulons pas voir de maladies de peau. Nous ne voulons pas que les trois mille tuyaux des trois cents puits hachent l’environnement de cette région dont je suis l’élu, et qui est peuplée par cent mille habitants. Les fleuves Chari et Logone sont également menacés, comme le lac Tchad qu’ils alimentent. Il s’agit d’une menace de pollution extrêmement grave pour toute la sous-région. Ces conditions sont des conditions sine qua non. Même les 50 milliards annuels de FCFA de revenu (500 millions de FF, NDLR) ne sont rien à côté du risque de pollution des nappes phréatiques.
afrik : Quel rôle peut-être le vôtre ?
NY : J’ai signé un pacte moral avec mes électeurs. Je lutterai pacifiquement jusqu’au bout, en exploitant toutes les voies de recours. Si j’échoue, alors ils prendront leurs responsabilités. Je ne répondrai plus de rien. Mon rôle aujourd’hui, c’est d’exiger que le peuple soit consulté à travers ses représentants légaux. Il y a un an, à l’Institut du monde arabe à Paris, M. Wolfensohn (le directeur de la Banque mondiale NDLR) m’a publiquement invité à débattre du projet à Washington avec lui. J’attends toujours le rendez-vous.
afrik : Pensez-vous que cette affaire de pétrole puisse faire chuter le régime du président Déby ?
NY : Cette affaire prise parmi d’autres. Ce qui est sûr, c’est que Déby ne quittera pas le pouvoir autrement que par les armes. Ceux qui sont partis dans la brousse dans ma région, d’ailleurs, ne sont pas mes électeurs mais des dissidents de Déby. Quoiqu’il en soit, la chute éventuelle de Déby ne réglerait pas le problème. Par exemple, je ne crois pas que Togoïmi, s’il lui succédait, agirait autrement sur la question pétrolière.
afrik : Quant à vous, serez-vous à nouveau candidat à l’élection présidentielle de 2001, après votre première participation au scrutin de 1996 ?
NY : Je ne sais pas.
afrik : En dépit de vos difficultés, vous siégez encore à l’Assemblée nationale à N’Djamena. Etes-vous un alibi pour le régime ?
NY : Oui, je suis un alibi d’une certaine façon. Mais un alibi qu’on a jeté en prison, dont on a suspendu les indemnités pendant vingt-deux mois et dont la vie est en danger dès qu’il va dans sa circonscription.