L’économie ou le politique ne sont pas les seuls vecteurs par lesquels le néo-colonialisme se manifeste sur le continent africain. En témoigne le débat actuel, au Kenya, sur le code vestimentaire en vigueur au sein de la classe politique. Hérité de l’Empire britannique, celui-ci oblige les ministres et parlementaires à porter le costume cravate dans les enceintes politiques et proscrit le costume traditionnel africain.
Congédiés pour cause de « vêtements incorrects ». Le président de l’Assemblée nationale kenyane, Francis Ole Kaparo, n’a pas hésité lorsqu’il a vu prendre place, ce vendredi 11 juillet, le ministre des Travaux publics et deux députés habillés en costume traditionnel africain. C’est que le code vestimentaire de la classe politique kenyane, héritage de l’empire britannique, impose le costume cravate. Non contents de leur premier fait d’arme, les trois agitateurs sont revenus mardi avec les mêmes intentions belliqueuses, le ministre des Travaux publics, Raila Odinga, dans une éclatante tenue traditionnelle nigériane (agbada). Le deuxième coup sera le bon. Les trois séditieux sont autorisés à rester au sein du Parlement et réussissent à provoquer la réunion d’une commission, vendredi prochain, chargée de modifier le controversé code vestimentaire.
A l’issue de la session parlementaire, le député Koigi wa Wamwere s’est déclaré « heureux de voir Raila assis au Parlement habillé comme un ministre nigérian ». Mais au delà de l’aspect futile de la question, Koigi wa Wamwere, lui-même renvoyé de l’Assemblée à deux reprises au cours de l’année, explique craindre que le Kenya ne soit pas encore culturellement indépendant. Le code vestimentaire qui régit le quotidien des hommes politiques kenyans n’a jamais été modifié depuis que le colon britannique le leur a légué. Et l’imitation des pratiques vestimentaire européennes, dans le milieu politique comme dans n’importe quel autre, est vu par beaucoup comme un résidu insidieux de l’impérialisme occidental. Au Kenya comme ailleurs en Afrique.
Les champions de l’idéologie néo-coloniale
La chercheuse Rangira Béatrice Gallimore – Professeure Rangira Béatrice Gallimore enseigne les littératures francophones à l’Université du Missouri, Columbia, aux Etats-Unis. Dans le cadre de ses recherches sur la littérature africaine francophone, elle a entre autres publié deux ouvrages: L’oeuvre romanesque de Jean-Marie-Adiaffi (Paris: L’Harmattan, 1996) et L’oeuvre romanesque de Calixthe Beyala (Paris: L’Harmattan, 1997).]], qui a publié de nombreux travaux sur la littérature africaine francophone, parle du Blanc, durant la période coloniale, comme de l’étalon de mesure auquel se référaient les autochtones noirs. L’homme noir qui voulait sortir du néant dans lequel le Blanc l’avait plongé, « devait faire sien certains éléments blanchissants », écrit-elle. Ces éléments pouvant être l’adoption de la langue du colon, le mariage ou encore, « pour les moins chanceux », le port du vêtement européen. « Pendant la période coloniale, le port de l’habit occidental par un Noir témoignait d’un souci conscient et volontaire d’appartenance à la classe supérieure », conclut le Professeur Rangira.
Une pratique qui a survécu à l’ère coloniale, selon Koigi wa Wamwere : « Cet argument selon lequel les seuls vêtements décents sont les vêtements européens est pour moi terriblement colonial. Vous serez donc surpris d’apprendre que les champions de notre culture et de notre idéologie néo-coloniale ne sont plus les Européens mais les Africains eux-mêmes ». Ainsi, les juges dans certains pays d’Afrique anglophone sont-ils fières d’arborer, en séance, les même perruques que leurs homologues britanniques. Postiches héritées du moyen âge.
« A bas le costume »
Néanmoins, de nombreux pays prennent conscience de cette influence occidentale et tentent d’inverser la tendance. « En Côte d’Ivoire, témoigne Mariam, le port du boubou -Le boubou est une longue tunique flottante, plus ou moins colorée, portée en Afrique noire. Appelé boubou par déformation du mot wolof mbubb, cette ample tunique à manches longues peut dépasser les 250 cm de large et demande entre 9 et 12 m d’un même tissu – est toléré le vendredi dans les administrations, de la même façon que certaines entreprises françaises autorisent les tenues décontractées avant le week-end ». Une reconnaissance partielle du vêtement africain qui ailleurs porte toutes ses lettres de noblesse. Le styliste mauritanien [Moussa Cissé, spécialiste du boubou, assure que dans son pays, cette tenue traditionnelle peu être portée dans les plus hautes sphères de l’Etat aussi bien que dans les grandes entreprises, sans provoquer la moindre critique. « Au contraire, explique-t-il, c’est un vêtement qui inspire le respect ». Avant d’ajouter, « il est vrai que les anciens boubous étaient encombrants et composés de mètres de tissus. Mais les coupes ont évolué et les boubous sont très pratiques à porter, même au bureau « .
Dans le cadre de ce retour aux sources, pour les besoins de leur communication ou par sincérité, de nombreux hommes politiques africains troquent régulièrement le costume cravate pour le costume traditionnel – Olusegun Obasanjo, Abdulaye Wade, Omar Bongo – ou pour la chemise Pathéo (grand créateur africain), rendue célèbre par Nelson Mandela. Rien ne pousse néanmoins les Africains à suivre leurs dirigeants. Feu le dictateur Joseph Désiré Mobutu, déjà, avait exploité politiquement la volonté des Zaïrois de retrouver leur culture après une longue colonisation belge. En 1967, il crée un parti unique et proclame « l’authenticité » comme dogme officiel du pays. Le costume occidental est proscrit et l’abacost – Veston d’homme en tissu léger, se portant sans chemise ni cravate -, qui tire son nom du slogan zaïrois « A bas le costume », devient l’uniforme quasi-officiel du régime dictatorial.
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