Trois organisations non gouvernementales font campagne, depuis 2003, pour que des règles strictes gèrent la commercialisation des armes dans le monde. Oxfam International, Amnesty International et le réseau d’Action internationale sur les armes légères entendent notamment mettre fin aux trafics qui ensanglantent plusieurs pays, dont plusieurs africains. Bilan de Mark Neuman, l’un des leaders de la campagne au niveau international pour Amnesty International.
Faire guerre au trafic d’armes est un combat de longue haleine. Depuis octobre 2003, trois organisations non gouvernementales coordonnent la campagne « Contrôlez les armes ». Oxfam International, Amnesty International et le réseau d’Action internationale sur les armes légères espèrent ainsi sensibiliser les gouvernements lors de la conférence mondiale des Nations Unies sur les armes légères de juin, pour qu’ils s’engagent à signer un Traité international sur le commerce des armes. Mark Neuman, l’un des leaders de la campagne au niveau international pour Amnesty International à Londres, revient sur le fléau des armes légères. Il explique la prolifération, le trafic et les violations d’embargos sur les machines à tuer et soulève l’impunité dont jouissent les trafiquants.
Afrik.com : Qu’entend-on par « armes légères » ?
Mark Neuman : Ce sont toutes les armes qui ont un calibre de moins de 100 millimètres et qui peuvent être portées par une personne, deux maximum. Il y en a environ 640 millions dans le monde, selon une revue professionnelle.
Afrik.com : Quel est l’objectif de votre campagne ?
Mark Neuman : Nous manifestons pour un Traité international sur le commerce des armes. Cela veut dire qu’il y aurait partout le même système pour autoriser les licences, les exportations… Actuellement, il y a toutes sortes de variations au niveau national, mais aussi régional. Ces désaccords entraînent des situations idéales pour contourner les contrôles. Un trafiquant peut très bien se dire que si ça ne marche pas dans un pays, il peut le faire dans un autre. Et dans un monde mondialisé, les conséquences sont de plus en plus dangereuses.
Afrik.com : Quelles sont les conséquences en Afrique ?
Mark Neuman : Le développement des pays est bloqué par les dépenses complètement irresponsables de certains gouvernements pour des armes. Les conflits s’étendent plus que nécessaire. De nouveaux conflits éclatent car des groupes peuvent avoir des armes. Le continent a besoin d’autre chose. Les armes légères sont l’un des plus grands fléaux.
Afrik.com : Vous avez lancé une pétition photo pour soutenir votre combat…
Mark Neuman : Cette pétition est destinée à montrer aux Etats membres des Nations Unies que ce que nous demandons n’est pas le fait d’une minorité qui trouve que le problème de la prolifération des armes doit être considéré au même niveau que celui de l’environnement ou du sida. Notre pétition photo est la plus grande jamais organisée. Tous ceux qui soutiennent notre combat et sont d’accord pour un Traité sur le commerce des armes peuvent envoyer une photo en passant par le site . Nous visions au départ un million de photos et nous en sommes à 910 000. Mais nous attendons les photos jusqu’à la Conférence des Nations Unies.
Afrik.com : Pourquoi vous axer sur les armes légères ?
Mark Neuman : Il n’y a pas que les armes légères. Notre campagne parle de toutes les armes conventionnelles. Mais si nous nous adressons d’abord aux armes légères, c’est parce que la conférence mondiale des Nations Unies sur les armes légères se tiendra en juin/juillet. En fait, nous trouvons que le même principe devrait être appliqué à toutes les armes et que les armes légères devraient être commercialisées comme les autres.
Afrik.com : Comment expliquez-vous la prolifération des armes ?
Mark Neuman : Il faut voir que beaucoup d’armes restaient en surplus après l’époque soviétique, que certains sont venus les prendre pour en tirer bénéfice. Ces armes sont revendues à un coût bien bas. Du coup, nombreux sont ceux qui peuvent en acheter, pensant qu’ils pourront se protéger s’ils se sentent en insécurité. Il y a aussi l’instabilité dans le monde et le fait que les trafiquants exploitent les failles des systèmes.
Afrik.com : Arrive-t-il à la fin des conflits africains (Sierra Leone, Liberia, Angola…) que les armes soient transférées dans d’autres pays pour alimenter d’autres conflits ?
Mark Neuman : Oui, cela arrive fréquemment. C’est l’un des problèmes critiques de la région qui s’explique pour plusieurs raisons. Normalement, à la fin d’un conflit, les Nations Unies ou une organisation non gouvernementale régionale devrait mettre en place un programme de désarmement et de réhabilitation. Mais ces programmes sont maigres ou peu financés et ceux qui n’ont pas de profession sont tentés d’exploiter la présence d’armes pour en vendre, en exporter ou trouver un emploi dans ce domaine. Les programmes de récupération d’armes n’ont, pour leur part, pas toujours été parfaitement planifiés. Et quand ils sont mal organisés, cela peut avoir un effet pervers. Si on offre une somme d’argent pour désarmer, il faut s’assurer que celui qui rend une arme et gagne de l’argent n’ira pas en chercher d’autres pour en avoir encore.
Afrik.com : Les forgerons, qui fabriquent aussi des armes, participent-ils à la propagation des armes légères ?
Mark Neuman : Nous ne sommes pas contre la fabrique de toutes les armes. Il faut être sérieux et précis : nous sommes contre la prolifération irresponsable d’armes, qui tombent entre les mains de personnes qui violeront les droits humains et les conventions sur le génocide et les crimes de guerre. Nous ne sommes pas contre toutes les formes de production, il faut juste des règles qui soient les mêmes partout et qui soient basées sur les droits humains internationaux
Afrik.com : Dans le film Lord of war, où l’on voit le trafic d’armes du côté du trafiquant, les pays du Nord sont pointés du doigt comme étant les principaux exportateurs…
Mark Neuman : Ce sont effectivement les grands pays de l’Ouest qui sont les principaux exportateurs d’armes. C’est pour cela que nous axons notre action sur ces pays plus que sur les autres. Mais tous les Etats devraient voir l’avantage d’un système unique où aucune concurrence n’est possible. Si tous acceptaient le Traité, nous pourrions essayer d’arrêter la prolifération.
Afrik.com : Dans le rapport de la campagne « Contrôlez les armes », on note que l’embargo sur les armes est très peu respecté. Comment l’expliquez-vous ?
Mark Neuman : Nous observons que les embargos ne sont jamais respectés à 100%. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut les abandonner ! Nous pensons que c’est aujourd’hui le seul moyen que le monde a pour arrêter les guerres, les génocides… Il y a parfois des intérêts commerciaux et politiques qui veulent que les règles soient détournées, mais ce serait un crime international de ne pas respecter les embargos.
Afrik.com : Ce même rapport note très peu d’inculpations suite au trafic d’armes…
Mark Neuman : Pour l’instant, il y a toujours eu peu d’inculpations de trafiquants ou de ceux qui ne respectent pas les embargos des Nations Unies. Car les trafiquants s’arrangent pour trouver un territoire où leur commerce n’est pas un crime. On peut toujours trouver une administration qui va héberger quelqu’un contre un revenu. Les trafiquants jouissent d’une impunité importante. Ils s’échappent et n’acceptent pas les conséquences de leurs actions.
Tant que tout le monde n’aura pas les mêmes règles, les criminels pourront tirer avantage de la situation.
Afrik.com : Toujours selon le film Lord of war, certains hauts responsables de pays développés s’appuient sur les trafiquants pour vendre indirectement des armes à des pays en guerre. Est-ce vrai ?
Mark Neuman : C’est plutôt la règle que l’exception. Il est très difficile de retracer le chemin des armes. Les Etats en conflit ont très souvent des alliés, des paramilitaires, des groupes armés non officiels. Et il est courant de dire que les armes étaient destinées à un parti et qu’elles se retrouvent ailleurs.
Afrik.com : Y a-t-il de bons élèves africains en matière de lutte contre les armes légères ?
Mark Neuman : En Afrique de l’Est, le protocole de Nairobi (Kenya, ndlr) est un exemple pour le monde entier. Sa rédaction est un modèle de comment rédiger un traité international. A l’Ouest, la Cedeao (Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, ndlr) a mis au point un accord qui deviendra, nous l’espérons, une convention permanente. Ce texte est aussi très bien rédigé et nous espérons qu’il sera appliqué sur le terrain.
Afrik.com : Y a-t-il des mauvais élèves ?
Mark Neuman : Mark Thatcher (le fils de l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher, accusé de tentative de coup d’Etat en Guinée Bissau, ndlr) a donné un exemple au monde des criminels qui exploitent la faiblesse des systèmes en Afrique avec des groupes armés. Mais il n’est pas le seul.
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Envoyer votre photo pour la pétition : site de la campagne « Contrôlez les armes »