Dans leur quartier ravagé par la dernière guerre civile, de jeunes Congolais se sont réunis pour créer le Monarque International. Un groupe de ndombolo maison qui n’a pourtant rien à envier aux plus grands. Essence du rythme et de la danse, ils répètent chaque jour avec des instruments de fortune pour un résultat saisissant. Reportage.
Quartier de Potopoto, Brazzaville. Ici, pas de route goudronnée, impossible même, à moins d’avoir un 4X4, de passer en voiture à certains endroits tant la chaussée est défoncée. Quartier insalubre qui pourtant fourmille de vie. Quartier théâtre et victime des plus violents affrontements pendant la dernière guerre civile. Patchenko, nous guide dans les dédales de ruines pour que l’on puisse écouter son groupe : Le Monarque International.
Pantalon de toile beige, chemisette à carreaux, le regard durci par la guerre, Patchenko est ici chez lui. Il salue chaque personne qu’il croise pour nous arrêter dans ce qui fut jadis une maison. Parce que s’il reste bien les quatre murs de chaque pièce, toutes marquées d’ailleurs par de nombreux impacts de balles, le toit a depuis longtemps disparu. Triste tribut à la guerre. Mais qu’importe, aujourd’hui, il fait beau.
La musique comme nouvelle arme
Quelques membres du groupe sont déjà là. Eric, l’un des chanteurs du Monarque nous raconte son parcours, sa guerre. Ce jour où il entendit des rafales d’armes automatiques tandis qu’il était au marché et qu’il s’était dit « ça y est, c’est la guerre « . S’il ne cache pas qu’il a, lui aussi, pris les armes pour combattre » les Sudistes « , il explique qu’il s’est finalement exilé à Kinshasa pour fuir la violence. Il n’a pas l’âme d’un guerrier, la seule chose qui l’intéresse » c’est la musique « , confie-t-il dans un grand sourire.
Puis un à un, les autres membres du groupe arrivent. Louis XIV, Pétélo, Biba, Héritier, Valy, De cuir, Serge, Tchicose, Ricky, Pierrot et le petit Teddy, 12 ans, font leur entrée dans ce décor de misère. Deux grosses boîtes de conserve solidement attachées entre elles et une chambre à air tendue au-dessus font office de tam-tam. Les guitares en bois brut sont rustiques, » de fabrication locale « , confie Patchenko, le fondateur du groupe. Pour ce qui est de la batterie, une chaise d’écolier sans dossier semble devoir faire l’affaire. Dessus, une pierre et des brindilles de balai dont on se demande bien ce que le batteur Serge » Fréquence magique » va pouvoir en faire.
Authentique et talentueux
Ça y est, ça commence. Et l’on comprend tout de suite pourquoi on surnomme Serge, » Fréquence magique « . Tout sourire, avec pour toutes baguettes de simples petites branches d’arbre, il donne le ton du spectacle. Authentique et talentueux. Ce pied qu’il martèle sur le sol est sa grosse caisse, les deux barres de feu le dossier de la chaise sont ses cymbales, les brindilles de balai sa pédale charleston. Les rythmes pleuvent, puissants, harmonieux. En fermant les yeux, on jurerait qu’il s’agit d’une formation classique avec des instruments » normaux « .
Avec son long boubou vert défraîchi et son maillot rouge, Héritier entame ses solides vocalises et s’insère à merveille dans le tempo ndombolo donné par les quatre musiciens. Pas besoin d’ampli, pas besoin d’ingénieur du son, tout est brut. Brut mais en aucun cas rugueux. Le spectacle offert est de qualité. Les habitants du quartier commencent à s’amasser devant la scène improvisée. Puis les danseurs arrivent. Show congolais classique où se mêlent intimement la musique, le chant et la danse. Ils sont quatre à danser synchro, tout en rajoutant chacun sa petite touche personnelle. Un déhanchement plus marqué par-ci, un mouvement d’épaule supplémentaire par-là, ils ne sont plus à Potopoto. Ils ne sont même plus à Brazzaville, ils sont ailleurs, loin des considérations politico-économiques d’un pays en convalescence.
Son propre répertoire
Une ribambelle de petits gamins du quartier, dont le plus grand ne doit pas avoir plus de 8 ans, écoute avec attention le répertoire de leurs grands frères. Un répertoire propre, étonnant de maturité, composé exclusivement par Valy, l’un des chanteurs du groupe. Tout le monde, à l’exception des musiciens, sait d’ailleurs chanter, et ils le prouvent en poussant leur voix dans des micros imaginaires.
Une heure déjà qu’ils jouent, toujours avec la même énergie et la même passion. De la musique, ils aimeraient bien faire leur métier même s’ils ne croient pas véritablement en leurs chances. Alors, ils rêvent. Un rêve dont il faudrait vraiment peu, compte tenu de tout leur talent, pour qu’il devienne réalité.