Un an après l’assassinat de trois jeunes touristes français en Namibie, l’enquête se perd dans les méandres diplomatiques et politiques d’une région frontalière frappée d' » instabilité armée « .
Qui eût cru qu’une banale balade en camping-car allait déboucher sur une affaire atroce, mêlant imbroglio judiciaire et marathon diplomatique ? Le 3 janvier 2000, la famille Bidoin, un couple d’enseignants français résidant à Mayotte et leurs trois enfants, circule à bord d’un camping-car de location sur la grande route de la » bande de Caprivi » : une curieuse excroissance du territoire namibien, entre Botswana, Zimbabwe, Zambie et Angola.
Les Bidoin ont repris la route après avoir fait du rafting et une croisière sur le fleuve Zambèze. Arrivés au Zimbabwe, le 17 décembre, ils avaient visité les réserves animalières du pays et réveillonné non loin des chutes Victoria. Ils passent la frontière namibienne sans encombre. Ni les soldats qui fouillent le véhicule au poste de douane, ni les autorités françaises, pas plus que l’agence de location de véhicule sud-africaine, ne les ont avertis du danger qui les guette.
Une dette qui coûte cher
Zone désertique ou le bush s’étend à perte de vue, la bande est devenue depuis peu une zone de conflit. Les rebelles angolais de l’UNITA s’y aventurent par trop souvent. A tel point que les autorités namibiennes ont autorisé, le 15 décembre, l’armée régulière angolaise de pénétrer sur son territoire afin de prendre ses adversaires à revers. Il est vrai que la SWAPO, parti au pouvoir à Windhoek a une dette vis-à-vis du MPLA qui gouverne l’Angola depuis le départ des Portugais, en 1975.
Celui-ci a en effet activement soutenu la SWAPO dans sa guerre de libération contre l’occupant sud-africain, participant parfois même aux combats. Mais si la lutte contre le régime d’apartheid a été relativement courte, la Namibie prend de gros risques, en mettant le doigt dans un conflit de 25 ans aux implications plus que complexes. Pour corser le tout, un mystérieux mouvement indépendantiste s’est manifesté dans la région par quelques coups de force ponctuels, dont le plus célèbre est l’attaque de la capitale régionale Katima Mulilo, provoquant au cours de l’été 1999 un bref état d’urgence et une quinzaine de tués. Certains voient derrière ces événements la main de Jonas Savimbi, le leader de l’Unita de l’Angola voisin, sans doute ravi de rendre la monnaie de sa pièce à Windhoek.
Meurtres crapuleux
Mais de cette complexité politique, les Bidoin ignorent tout. En début d’après-midi, le camping-car tombe dans une embuscade. Le père, Claude, s’effondre sur le volant, grièvement blessé. Le véhicule s’immobilise sur bas côté. Mais les rafales ne cessent pas Michaël (18 ans), Cécile (10 ans), Aurélie (15 ans) sont tués. Brigitte Bidoin, plus légèrement atteinte, voit des hommes en uniforme. Ils font sauter les vitres à coup de crosse. Quatre civils entrent dans le véhicule et le pillent. Les enfants Bidoin seront enterrés au cimetière de Villejuif.
Qui étaient ces hommes ? Des rebelles de l’UNITA ? Des indépendantistes capriviens ? Des membres de l’armée angolaise ou des réguliers namibiens ?
Le juge Le Loire, chargé de la brigade anti-terroriste à Paris est chargé de l’affaire après que les époux Bidoin aient porté plainte contre X pour » assassinat et tentatives d’assassinat « . Mais pour les autorités namibiennes et angolaises l’affaire est entendue : le forfait est signé par la soldatesque de l’UNITA.
Le magistrat, dûment cornaqué par les enquêteurs est bien allé sur place en mai, mais il a fallu que le ministre de la Coopération français, Charles Josselin fasse personnellement pression, lors de sa visite officielle en Namibie, le 4 décembre dernier pour que des premiers éléments de l’enquête soient communiqués aux autorités françaises.
Suspicions françaises
» Les Namibiens accusent l’UNITA qui leur renvoie la balle. Le fait est qu’il n’y a aucune preuve. Et que l’enquête ne progresse pas « , estime une source diplomatique française, sous couvert de l’anonymat. De nombreuses raisons poussent Windhoek à classer l’affaire. Le pays qui accueille quelques 250 000 touristes par an veut avant tout défendre sa réputation. En outre, le cas Bidoin intervient dans un cadre plus large d' » insécurité » armée qui aurait fait une soixantaine de tués depuis le début de l’année.
Or, nombre de détails suscitent la suspicion des autorités françaises. Brigitte Bidoin affirme que ses agresseurs portaient les mêmes uniformes que les soldats de l’armée régulière qui avaient contrôlé les identités des Bidoin et fouillé le camping-car. Plus troublant encore : de source informée, les attaquants des Bidoin auraient sans succès, rafalé deux véhicules humanitaires sur la même voie avant de s’en prendre à celui des enseignants français. L’alerte avait-elle été donnée ? Pourquoi une telle absence des forces de sécurité namibiennes sur le principal axe routier reliant la région à l’extérieur ? Pourquoi les soldats ont-ils laissé passer les Bidoin ?
Pour compliquer les choses, le comportement des forces régulières angolaises dans la région, n’incite guère à une confiance aveugle. » Les éléments de l’armée angolaise ont commis tellement d’exactions dans la région, que le gouvernement local a exigé du pouvoir central que les troupes de Luanda quittent la région dans les plus brefs délais. C’est dire si les responsabilités peuvent être multiples dans cette affaire « , fait valoir une source proche du dossier dans la capitale namibienne. Un an après, les pillards et les auteurs des coups de feu courent toujours.