
À Nairobi, la communauté a rendu un dernier hommage bouleversant à Ladi Anzaki Olubunmi, modératrice TikTok décédée dans des circonstances mystérieuses. Âgée de 43 ans, son décès ravive les inquiétudes sur les conditions de travail des modérateurs de contenu en Afrique de l’Est, souvent exposés à un épuisement extrême et à des conditions difficiles. Son engagement pour de meilleures conditions de travail et sa disparition tragique attirent l’attention sur les pratiques des géants du numérique.
C’est dans une atmosphère chargée d’émotion que les funérailles de Ladi Anzaki Olubunmi, modératrice nigériane de contenu pour TikTok, ont eu lieu à Nairobi. Âgée de 43 ans, cette travailleuse expatriée, employée par la société d’externalisation Teleperformance, a été retrouvée morte dans son appartement le 7 mars, trois jours après avoir cessé de se présenter au travail. Les causes de son décès restent encore inconnues, mais sa disparition a ravivé les inquiétudes autour des conditions de travail des modérateurs de contenu en Afrique de l’Est.
Une femme dévouée, mais épuisée
Avant sa mort, Olubunmi s’était plainte de fatigue extrême. Installée au Kenya depuis 2022, elle n’avait pu rentrer au Nigeria qu’une seule fois, malgré un contrat stipulant un billet aller-retour annuel. Ses collègues ont confié qu’elle souhaitait ardemment rentrer au pays, mais que son congé avait été refusé. Une version que Teleperformance conteste dans un communiqué, affirmant qu’aucun congé n’avait été rejeté. Cette contradiction alimente les tensions autour de l’affaire, dans un contexte où les conditions de travail des modérateurs africains sont de plus en plus dénoncées.
Au-delà de son rôle professionnel, Ladi Olubunmi était aussi perçue comme une figure engagée. En novembre 2023, elle avait initié un mouvement de grève parmi ses collègues nigérians pour exiger des permis de travail valides. “Elle a demandé à tous les Nigérians de quitter le travail immédiatement, puis nous avons tous défilé”, se souvient avec émotion son collègue Tauheed Tayo Yakubu. Cet épisode illustre son engagement courageux pour l’amélioration des conditions de travail, dans un environnement souvent décrit comme hostile, avec des horaires éprouvants, des salaires bas et peu de soutien psychologique.
Des funérailles empreintes de dignité et de colère contenue
Le frère aîné de Ladi, submergé par la douleur, a fait le déplacement depuis le Nigeria pour lui rendre hommage. À ses côtés, près de 200 personnes issues de la communauté nigériane au Kenya et de l’entreprise Teleperformance ont assisté à la cérémonie. Un représentant du haut-commissariat nigérian était également présent. Les témoignages d’affection ont souligné le caractère altruiste et compatissant de la défunte. Pourtant, derrière les larmes, planait une indignation sourde, celle d’un système qui broie en silence ceux qui garantissent la sécurité numérique de millions d’utilisateurs.
La disparition de Ladi Olubunmi met une fois de plus en lumière les failles du système de modération externalisée adopté par des géants comme TikTok et Facebook. Ce modèle, largement délocalisé en Afrique de l’Est, repose sur des travailleurs souvent sous-payés, psychologiquement fragilisés et juridiquement vulnérables. En témoignent les plaintes déposées par plus de 100 anciens modérateurs contre Facebook pour conditions de travail abusives. Le drame de Ladi, au-delà du chagrin, alerte sur les dérives d’une économie numérique mondialisée où les vies derrière les écrans restent invisibles.
