Surnommé par les spécialistes Pablo Escobar, le plus grand baron du trafic de drogue, Ahmed Zenjabil a été arrêté par la brigade de lutte contre le trafic de drogue de la police nationale, il y a plus de deux mois. Certaines sources ont affirmé que l’opération a été menée grâce à la perspicacité des policiers qui étaient sur ses traces depuis des mois, alors que d’autres ont indiqué que Zenjabil se serait rendu sur conseil d’un de ses proches pour bénéficier des dispositions de la charte.
Ahmed Zenjabil aurait reconnu avoir financé pendant des années des groupes terroristes avec l’argent de la drogue. Repenti ou arrêté, pour les policiers, cette prise est la plus importante jamais menée dans les rangs des trafiquants de drogue, dans la mesure où elle a permis la décapitation de l’organisation mafieuse que Zenjabil a mise sur pied depuis près de 25 ans, à travers tout le territoire national, mais également au Niger, au Mali, au Tchad, en Tunisie, en Libye, en Egypte et en Europe, notamment l’Espagne et la France, destination de la résine de cannabis qu’il convoyait du Maroc.
En dépit du silence qui a entouré cette prise, celle-ci a provoqué un véritable séisme dans l’Oranie, où le trafiquant compterait le plus de complices parmi les autorités locales civiles et militaires. Certaines indiscrétions font état de près d’une vingtaine de personnalités connues dans cette région, entre officiers supérieurs de l’ANP et de la Sûreté nationale, ainsi que des magistrats et des hauts cadres de l’Etat, qui ont été déjà entendues sur les révélations compromettantes de Zenjabil. Ce dernier, faut-il le rappeler, faisait convoyer des chargements importants de kif du Maroc vers de nombreuses régions du pays, sans être inquiété. Plus grave, au pire moment du terrorisme, sa marchandise était escortée sur ordre de certains responsables des services de sécurité d’une région à une autre et aucun des groupes terroristes qui activaient dans la région Ouest n’a tenté d’attaquer ces convois.
Zenjabil a réussi à tisser une véritable toile d’araignée au sein de l’administration locale pour s’assurer de la plus grande protection possible, au point où toute trace de son dossier administratif à la wilaya de Chlef, notamment ses photos, a disparu des archives. Connu pour être le plus important baron de la fin des années 1980, Zenjabil n’a été concerné par un mandat de recherche pour trafic de drogue qu’en…1999. Pour les services de police et de gendarmerie, Zenjabil n’est qu’un spécialiste du faux et du trafic de véhicules, et ce, depuis 1982. Toutes leurs notes de recherche avaient donc trait à cette activité jusqu’à 1999, lorsque le tribunal d’Oran, sur la base d’informations fournies par des pays étrangers, a lancé un mandat d’arrêt pour contrebande internationale de drogue.
Le noyau dur
A cette époque, le trafic de kif avait pris des proportions alarmantes dans toute l’Oranie, jusqu’à Béchar. Les convoyeurs agissaient en toute liberté. Ils ne trouvaient aucun obstacle sur leur route dont la sécurité était préalablement « achetée » non seulement auprès des chefs de groupes terroristes, mais également auprès des responsables chargés de la lutte contre le terrorisme et la drogue, entre autres les gardes frontières, les militaires et les policiers.
Agé d’une cinquantaine d’années (né en 1955 à Chlef), Zenjabil a passé plus la moitié de sa vie dans le trafic de documents et de véhicules, créneau qui lui a permis de se lancer, vers la fin des années 1980, dans le trafic de drogue. Le noyau dur de son organisation puissamment armée est constitué des membres de sa famille, au moins une vingtaine, dont une partie est installée à Mechria et en lesquels il a une confiance aveugle. Il a réussi à neutraliser les barons de la drogue qui avaient pignon sur rue à l’époque, pour se placer en maître des lieux, grâce surtout à ses relations privilégiées avec les gardes frontières, douaniers et policiers. L’Algérie, considérée comme une zone de transit pour le kif, marchandise destinée à l’Europe, s’est vite transformée en un pays de consommation où la demande devenait de plus en plus importante.
Gains colossaux
Le trafic de drogue prenait progressivement de l’ampleur et générait des gains colossaux, qui se comptaient, selon des spécialistes, à des centaines de millions de dollars par an. Des gains qui ont ouvert l’appétit à de nombreux responsables militaires et civils de la région, lesquels ne se gênaient même pas pour se bousculer au portillon de Zenjabil à chaque fois qu’il les invitait pour le mariage d’un des membres de sa famille. Grâce à l’empire qu’il a réussi à ériger, Zenjabil a tissé des relations assez particulières avec les services marocains, qui fermaient l’œil sur ses activités illicites et lui ouvraient toutes les portes, lui permettant même de trouver refuge sur le sol du royaume, alors qu’il était recherché en vertu d’un mandat international.
En fait, les services du roi savent que l’activité de Zenjabil permet de faire nourrir des milliers de familles du Rif, dont le seul revenu est le trafic du kif. Force est de croire donc que ce baron de la drogue a beaucoup de choses à révéler à l’opinion publique et dont la gravité risque de faire tache d’huile. Ses aveux vont permettre de lever le voile sur la plus grande organisation mafieuse que le pays ait connue et dont la collusion avec le terrorisme, la grande criminalité et la corruption est avérée. Il reste à savoir si les autorités judiciaires vont aller jusqu’au bout pour mettre à nu ces personnalités de l’Etat qui ont servi de relais aux gangs criminels de Zenjabil. Le silence qui entoure l’enquête, plus de deux mois après sa neutralisation, laisse croire néanmoins que des pressions sont actuellement exercées par des clans du système pour étouffer au plus vite les révélations de Zenjabil, ou à la limite pousser ce dernier à la loi de l’omerta tant les enjeux sont importants et graves.
Salima Tlemçani