Musée des arts derniers : le mythe d’une Afrique sans Histoire


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Picasso et l'Afrique
Picasso et l'Afrique

L’exposition « Des hommes sans Histoire ? » a ouvert ses portes, jusqu’au 31 juillet, au musée des arts derniers à Paris. Dix-huit artistes internationaux se sont penchés sur le thème de la spoliation des biens culturels. A travers leurs œuvres, ils entendent dénoncer ce pillage en montrant le vide que ces vols ont laissés, en particulier sur le continent africain. Interview d’Olivier Sultan, commissaire de l’exposition.

Par Louise Simondet

musee.jpgAlors que se déroule au Quai Branly, à Paris, une exposition censée redonner toute sa valeur à l’art africain, le musée des Arts derniers, au travers de l’exposition « Des hommes sans histoire ? », entend dénoncer la spoliation de la culture africaine par les civilisations occidentales. Une exposition engagée, axée sur le dialogue entre artistes contemporains africains et européens, ouverte jusqu’au 31 juillet prochain. Les créations inédites de 18 plasticiens doivent permettre de faire écho au vide laissé par les objets dérobés à partir de la période coloniale et relevant des patrimoines nationaux. Une civilisation sans patrimoine peut-elle avoir une histoire ? L’exposition ouvre une fenêtre sur un thème récurrent dont on parle trop peu. Elle dénonce ce pillage culturel et redonne une mémoire collective à l’Afrique… Ce projet a pris naissance il y a un an et demi à l’initiative d’Olivier Sultan. Commissaire de l’exposition, mais aussi artiste, il a réalisé spécialement pour cette exposition une installation qui se nomme « La guerre de l’art ». Entretien.

Afrik.com : Quel a été le point de départ de ce cheminement artistique sur la spoliation des biens culturels ?

Olivier Sultan : Le thème c’est l’Afrique contemporaine. On a demandé à 18 artistes français et africains d’exprimer, chacun à sa manière, ce qu’ils ressentaient par rapport à ce manque de patrimoine culturel. Il s’agissait aussi de montrer le vide, laissé en Afrique, suite au pillage du temps de la colonisation ainsi qu’au pillage contemporain. Ces œuvres ont été commandées spécialement pour l’exposition, il y a un an et demi. La seule contrainte était le thème de départ, après ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Les approches artistiques sont très diversifiées. Et le résultat montre des visions différentes sur la spoliation des biens culturels.

Afrik.com : Cette exposition a aussi une portée symbolique pour les artistes…

Olivier Sultan : Oui, l’art c’est aussi le symbole. On a enlevé des œuvres à ces peuples que les artistes font revivre symboliquement et de façon contemporaine. Il est un peu utopique et illusoire de penser que tout le patrimoine africain va être restitué. Par contre, répondre à ce vide par des œuvres d’art est un geste fort. D’une certaine façon, les artistes remettent tous ces objets volés dans la mémoire collective.

Afrik.com : Quel était l’état d’esprit de ces artistes occidentaux et africains ?

Olivier Sultan : Ce sont avant tout des artistes engagés. A travers leurs œuvres, ils avaient la volonté de dénoncer le monde dans lequel nous vivons, ce rapport qu’on entretien avec l’Afrique… Mais aussi ce silence. Quand on va jusqu’au bout, quand on ouvre cette boite-là, quand on met les pieds dans le plat, on entre en plein dans le problème. C’est un peu ce que les artistes ont fait. Le rôle de l’Europe pendant la colonisation et aujourd’hui par rapport à l’Afrique n’est pas très clair. Et je pense que c’est Franck Scurti qui a collé le plus au thème dans l’exposition. Il a fait un moulage de la chose qui n’est plus là, c’est-à-dire un masque africain blanc en plastique. Avec tout le symbole que ça peu comporter… C’est aussi l’empreinte qu’ont peut-être laissé ces masques dans l’imagination et dans la culture.

Afrik.com : Ce vide qu’ils veulent décrire ne reflète-t-il pas le monde dans lequel nous vivons ?

Olivier Sultan : Oui. C’est lié et c’est cela qui est très intéressant. Chaque artiste a pu montrer, à sa manière, qu’il y avait un lien entre le pillage du patrimoine culturel, le pillage des ressources naturelles et les flux migratoires. C’est vrai qu’il y a une relation de domination et d’inégalité entre l’Afrique et l’Occident, qui prend plus qu’il ne donne au continent africain. C’est valable pour les gens, les ressources, ou les biens culturels. Cela a été un des thèmes abordés par les artistes. Ils ont, eux-mêmes, sans qu’on leur demande, fait ce cheminement puisque au départ le thème était assez vague.

Afrik.com : Comment expliquez-vous cette fascination des artistes pour l’art africain ?

Olivier Sultan : Il y a tout d’abord une fascination pour des œuvres qui étaient libres de toute pression, de toute influence académique. Ces objets dégageaient une très grande force plastique et étaient, en fin de compte, très contemporains, même au niveau strict de l’histoire, dans les lignes et dans la composition. Des artistes comme Picasso, Braque, Matisse voulaient se débarrasser de carcans académiques et esthétiques. Ils voulaient également, comme par exemple les dadaïstes ou les surréalistes, se dégager d’une pesanteur de la société. Nous étions à l’époque des expositions coloniales, et ils dénonçaient la fascination un peu malsaine pour l’exotisme, les soi-disant barbares, les peuples non-civilisés, voir primitifs. Ils ont milité pour qu’on reconnaisse les artistes africains comme des artistes à part entière. Il y a, par exemple, un très bel article de Guillaume Apollinaire, de 1909, qui dit que ces œuvres devraient être exposées au musée du Louvre au lieu d’être exposées dans des musées d’ethnologie. Aujourd’hui, les musées les exposent.

Afrik.com : En exposant des objets spoliés ne refait-on pas, finalement, ce qu’on a fait au moment de la colonisation ?

Olivier Sultan : On est passé par une phase d’ethnologie, d’anthropologie, de façon un peu forcenée. On classifiait ces objets en fonction d’ethnies. Et maintenant, on passe à l’extrême inverse : ce sont des œuvres d’art sans lien avec la communauté, sans lien avec les conditions dans lesquelles elles ont été prises. On utilise un euphémisme, en disant qu’elles ont été « prélevées », alors qu’elles ont été pillées dans des circonstances très brutales (conflits, guerres). Le contexte politique actuel de la France et les débats, qui ont été ouverts avec la colonisation et l’esclavage, sont propices pour se pencher sur la question. Les objets qui sont exposés au musée du Quai Branly sont des objets qui ont été dérobés.

Afrik.com : Justement, que pensez-vous de ce musée ?

Olivier Sultan : Qu’est-ce qu’on célèbre à travers ce très beau musée ? Pour moi, on dissimule plus qu’on ne célèbre. On célèbre sa propre image, on voudrait montrer une image magnifique de la France qui brille dans le monde entier et qui respecte toutes les cultures. Mais notre rapport concret à l’Afrique est moins beau et moins clair. J’ai l’impression que c’est un peu comme une sorte de mauvaise conscience qu’on a vis-à-vis de l’Afrique et dont on voudrait se laver. Ce musée est supposé célébrer notre rapport à l’autre, à toutes les cultures qui sont malmenées. Et en même temps il y a des images d’une extrême violence, des gens qui passent par-dessus les barbelés à Melilla, aux Canaries, une politique d’immigration en France avec des enfants qui se font éjecter alors qu’ils sont à l’école. Les 18 artistes de l’exposition ont ce quelquechose en commun : s’élever contre cette hypocrisie. Ce musée est un écrin de verre magnifique pour se nettoyer de tout ce qu’on fait par ailleurs. Et en parallèle, le soutien aux dictateurs, le pillage des ressources continuent…

Afrik.com : Dérober le patrimoine culturel d’une civilisation n’est-ce pas, finalement, lui enlever son Histoire ?

Olivier Sultan : On projette sur l’Afrique l’idée qu’elle se trouve hors du temps, hors de l’Histoire, hors de la culture, hors du mouvement universel. Ce qui est faux. C’est l’un des propos de l’exposition. L’Afrique a une Histoire. Il y avait une Histoire avant la colonisation avec des guerres, des échanges, des invasions de territoires, des rois… On fait comme si il y avait une sorte de vide avant l’arrivée des colons. Dans le musée du quai Branly, on va trouver des objets, datant des années 20 ou 30, qui côtoient des objets datant d’il y a 2000 ans. Et ce qui m’a choqué le plus, c’est de voir, dans la cession Océanie, les peintures contemporaines sur toile des aborigènes sans nom, sans étiquette… C’est une aberration ! Qui dit art, dit individualité, dit artiste. D’ailleurs, il y a des chercheurs qui ont prouvé qu’on pouvait retrouver les noms de certains artistes africains dit « primitifs ». Cette mentalité et cette idéologie occidentales veulent laisser croire que tous ces objets sont utilitaires, traditionnels et qu’il n’y a pas derrière une volonté artistique. C’est choquant. D’où le thème de l’exposition : « Des hommes sans Histoire ?» et l’engagement des artistes.

Afrik.com : En parlant de spoliation, le trafic d’œuvres d’art qui se perpétue-t-il encore aujourd’hui ?

Olivier Sultan : Pour cette exposition, j’ai fait pas mal de recherches sur les circuits de trafics de biens culturels. D’après Interpol et l’Unesco, c’est le troisième trafic après la drogue et les armes. C’est un circuit international, un peu comme le commerce triangulaire, mais pour l’art. Et en Afrique, ce marché est gigantesque : des sites archéologiques sont, par exemple, pillés en Egypte… On trouve des complicités internes, dans les pays même. Car il y a aussi, à l’intérieur de ces régimes, des personnes qui s’enrichissent en vendant les patrimoines nationaux. J’ai été assez effaré par les circuits de blanchiment d’œuvres d’art qui sont un peu comme les circuits de blanchiments de l’argent sale. C’est-à-dire qu’elles sont d’abord vendues dans des petites ventes aux enchères, des galeries d’art, ensuite elles sont authentifiées au carbone 14. Elles acquièrent ainsi un nouveau passeport. Au bout de 5 à 6 opérations, elles passent dans des labos pour être authentifiées. Après, avec tous ces documents, on arrive à en vendre à des musées ou alors à de grandes galeries. On entend souvent l’argument de dire qu’il est mieux de garder ici ces oeuvres, car si elles retournaient en Afrique, elles seraient volées. C’est peut être vrai. Mais en même temps, on oublie de dire que ces mêmes institutions qui disent cela participent aussi à ces trafics. Je ne vais pas citer de noms parce que je n’ai pas de bons avocats, mais il y a des galeries parisiennes qui s’approvisionnent et qui sont sollicitées par des musés africains.

Afrik.com : Pensez-vous que les artistes contemporains, en se penchant sur ce sujet, enlèvent le préjugé d’une Afrique sans Histoire ?

Olivier Sultan : Chaque artiste développe sa vision par rapport ce sujet. C’est ce qui fait que la culture contemporaine est vivante. Ce sont leurs réflexions artistiques sur notre rapport à l’Afrique qui peuvent faire avancer le débat. C’est vrai que nous sommes bourrés de préjugés dès qu’on aborde ce continent. On a encore des gens qui viennent nous dire qu’ils veulent voir des Africains dans leur milieu naturel ! Il y a eu, l’année dernière, un zoo humain à Augsbourg. En 2005, vous vous rendez compte ! Cela a fait un énorme scandale qu’une famille africaine soit exposée comme du bétail. Lorsqu’elle s’est faite interviewée, la directrice du zoo a dit qu’elle avait ce zoo parce qu’elle voulait « que les Allemands aient une meilleure connaissance des Noirs ». Il est vraiment choquant d’entendre de telles aberrations. On pense que les zoos humains datent d’il y a un siècle, alors qu’il y en avait l’an dernier…Cette fascination est malsaine. Pour moi, c’est l’inverse du mot connaissance. Quand on est ébloui et on ne peut pas bien voir, regarder et connaître. Par rapport à l’Afrique, nous avons une relation de fascination face à des images horribles de guerre ou alors face à l’exotisme, quelque chose qui nous fait rêver. Il n’y pas de demi mesures, pas de justes connaissances de l’autre dans sa culture et dans son quotidien. Et les artistes sont là pour faire avancer ce débat.

Visiter le site du musée des Arts derniers

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Musée des Arts Derniers

105 rue Mademoiselle

M° : Cambronne

Du 29 juin au 31 juillet 2006

Entrée gratuite

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