Une multinationale recrute des Africains pour l’Afrique


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Damien George
Damien George

L’opérateur de téléphonie mobile Millicom a participé, en tant que recruteur, au forum « Careers in Africa » qui s’est déroulé, le week-end dernier, à Bruxelles. Damien George est au département des ressources humaines de la multinationale basée au Luxembourg. Il nous a livré ses impressions.

Millicom (MIC), qui appartient à la firme suédoise Kinnevik, a été créé en 1979. Elle compte aujourd’hui à son siège « au moins 15 nationalités différentes sur les 25 employés », explique Damien George du département des ressources humaines au siège luxembourgeois de l’entreprise. Une façon assez explicite de démontrer que la diversité culturelle est une composante fondamentale de la culture d’entreprise de Millicom, une multinationale présente dans 15 pays, dont sept pays africains : Sénégal (sous la marque Sentel), Congo (sous la marque Oasis), Tanzanie, Ile Maurice, Sierra Léone, Ghana et Tchad. L’Afrique est la plus forte implantation – 1 000 personnes sur 4 500 dans le monde – et le plus gros marché de Millicom.

Afrik.com : Pourquoi Millicom est présent à « Careers in Africa » ?

Damien George : Millicom est en plein développement en Afrique, certaines zones sont déjà stabilisées, d’autres un peu moins parce notre présence est plus récente. Monter un vrai réseau de téléphonie mobile, cela prend du temps. Surtout quand les territoires sont aussi immenses, comme la RDC par exemple. Ils commencent à deux ou trois, un an après ils sont 150 et tout cela doit être coordonné. Aussi, un forum comme celui-ci permet de rencontrer des gens qui ont une expérience bien souvent européenne, une formation européenne et qui désirent rentrer chez eux, un besoin très légitime en soi. Mais ce ce qui m’a impressionné, c’est le fait qu’il y ait comme une prise de conscience de ce qu’avec les compétences acquises, on peut participer au développement, à l’essor, à la « mise en ordre » de son pays. Et Millicom peut participer à ce type de projet par le biais de cette rencontre.

Comment avez-vous trouvé ce forum ?

Très bien, d’autant plus qu’on a eu beaucoup de succès. Les candidats étaient surpris de constater qu’on pouvait parler à chacun d’eux. Dans les entretiens programmés et spontanés, nous avons reçu entre 40 et 50 personnes et sur le stand, lors d’entrevues moins formelles, une trentaine de personnes. Nous sommes très contents de ce forum, les deux responsables africains des ressources humaines – l’un pour le Congo, l’autre pour le Sénégal – vont repartir chacun avec une bonne trentaine de candidatures. J’ai aussi une trentaine de CV, dont une vingtaine recevra des réponses négatives. Parmi les dix autres, 6 ou 7 candidats sont déjà pressentis pour des fonctions qui dépassent le cadre de l’Afrique, des postes internationaux au sein de notre siège. Pour être plus précis, nous avons, au total, une douzaine de personnes que nous sommes prêts à embaucher.

Quel est l’intérêt pour une multinationale comme Millicom de recruter des natifs ?

Tout simplement parce qu’ils connaissent leurs pays, les us et coutumes…Si on pilote tout avec des étrangers, ça ne colle pas. Si vous allez discuter avec des chefs coutumiers des conditions pour installer un relais et que c’est un Européen qui le fait, je doute que cela fonctionne.

Vous recrutez donc un Sénégalais pour le Sénégal…

Un Congolais pour le Congo, un Ghanéen pour le Ghana, un Pakistanais pour le Pakistan et où je vais le trouver n’a pas d’importance.

Il semble que se soit une évolution dans la stratégie des multinationales, elles n’ont pas toujours pensé cela…

Deux forces s’opposent. Si vous êtes à la tête d’un grand groupe industriel comme Coca Cola, qui est présent partout dans le monde, vous devez pouvoir compter sur des gens qui savent faire du Coca parce qu’il ne se fait pas n’importe comment. Et ce sont souvent des gens qui viennent d’un siège, où ils ont été formés, qui vont exercer un contrôle. Car les entreprises ne font pas toujours confiance aux gens des pays dans lesquelles elles sont installées. La deuxième force, et c’est nouveau pour les multinationales, c’est de dire que quand on est dans un pays, il faut faire vivre ce pays. De cette force contraire naît un principe : celui d’employer et de former des locaux. Millicom essaie le plus possible de le faire. Néanmoins, les patrons des pays pour des raisons stratégiques, à quelques exceptions près, ne sont pas des locaux.

Quel est le pourcentage de personnel local dans les effectifs de Millicom ?

C’est variable selon les pays. Cependant, si je prends, par exemple, un pays, dont je tairai le nom, situé entre l’Asie et le Moyen-Orient, 95% du personnel est local. C’est la règle dans certains domaines comme les Ressources humaines, il est évident qu’il faut avoir un local. Quelqu’un qui est parachuté d’Europe pour aller faire des Ressources humaines en Iran, au Laos…ne peut pas comprendre le comportement des gens, il sera en conflit permanent avec ses collègues parce qu’il y aura des incompréhensions. Il en est de même quand il s’agit de fonctions commerciales. Quand vous vendez des solutions prépayées à toutes les couches sociales, et surtout pas à des élites, vous avez besoin de locaux.

Les expatriés sont en général des patrons de pays, mais là aussi, il y a des limites. En Afrique, trois patrons sur sept sont Africains. Les directeurs financiers sont aussi des expatriés à cause des procédures comptables, comme la consolidation, qui nécessitent des méthodes « maison ». Quant à la technique, nous sommes beaucoup plus ouverts, mais il faut être compétent. Les pays dans lesquels nous sommes installés n’ont pas toujours les structures de formation adéquates pour satisfaire des besoins technologiques assez pointus.

Les ingénieurs télécom sont donc une denrée précieuse ?

Les ingénieurs télécom sont une ressource rare, par conséquent, ils sont très prisés sur un marché où nous ne sommes pas les seuls. Nous avons rencontré plusieurs ingénieurs électroniciens. Ce sont des profils qui nous intéressent beaucoup.

Entre un candidat africain qui a fait ses études en Europe et qui est reparti tout de suite chez lui et un autre, qui a une carrière professionnelle moins intéressante parce qu’il ne peut pas correctement évoluer en Europe à cause de la discrimination, lequel préférez-vous ?

Celui qui est parti est certainement plus épanoui – j’y inclus l’épanouissement personnel de revenir chez soi – dans sa carrière que celui qui vit en Europe. Car ce dernier ne trouve pas tout de suite un poste à la hauteur de ses compétences pour les raisons que vous avez évoquées. Cependant, à mon avis, il rapportera probablement plus à son pays que celui qui est rentré directement chez lui. Car cette personne apportera des méthodes de travail, de la rigueur – ce n’est pas ironique ou négatif – et si elle réussit à trouver un poste intéressant pour elle, ses compétences seront plus rapidement reconnues. Je peux être le moteur de celui qui a travaillé en Europe et qui souhaite rentrer chez lui, celui qui optimisera sa courbe épanouissement. Je trouve cela très gratifiant.

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