Après 4 ans d’absence, le chanteur et guitariste tchadien Mujos Ingamadji revient en force. D’abord avec un quatrième album, Enfant de la rue, qui oscille entre musique traditionnelle et rythmes soukouss. Ensuite, avec un concept de disque pour lutter contre le sida au Tchad. A découvrir.
Mujos Ingamadji vient de sortir son quatrième opus, intitulé Enfant de la rue. Six titres engagés sur lesquels ont travaillé sa fille Patricia et son acolyte Leny Bidens (guitare, basse, batterie). Chanteur et guitariste, Mujos est fier de défendre les couleurs de la musique tchadienne. A tel point que toutes ses économies passent dans la production de ses disques. « Je plains ceux qui veulent vivre de leur musique ! » plaisante-t-il. Arrivé en France il y a 18 ans pour poursuivre des études de topographie après avoir été prof de maths au Tchad, il devient technicien en génie civil à Amiens. Lassé de ne trouver que des petits boulots dans le secteur du bâtiment et travaux publics, il passe un diplôme d’infirmier et, depuis 6 ans, exerce ce métier. Qui lui permet de poursuivre sa passion musicale en parallèle. Après Enfant de la rue, Mujos doit sortir le 9 novembre prochain un maxi-single qui comprend 4 titres et un instrumental, Apocalypsida. Un album d’intérêt général puisqu’il a pour objectif de sensibiliser la population tchadienne aux ravages du sida et sera suivi d’une tournée dans le sud du pays du 11 au 24 novembre.
Afrik : Vous avez sorti en septembre votre dernier album, Enfant de la rue, et, musicalement, vous êtes là où on ne vous attendait pas !
Mujos Ingamadji : Quatre ans ont passé après mon dernier album Intar Africa (« Lève-toi, Afrique »). Je travaillais sur mon projet Apocalypsida mais le public s’impatientait et comme les idées ne manquaient pas pour faire un album, je me suis lancé ! Musicalement, c’est vrai que cet album mixe plusieurs genres. Avant, j’étais connu sous l’étiquette du pape du dalla, la musique traditionnelle tchadienne. Pour Enfant de la rue, j’ai mélangé la rumba et le soukouss mais j’ai aussi deux titres traditionnels, « Lar » et « M’baoudjé ».
Afrik : Dans cet album, vous dénoncez certains faits de société. Vous avez notamment une chanson qui s’appelle « La dot » et qui n’y va pas avec le dos de la cuillère !
Mujos Ingamadji : C’est une chanson acide. Je voulais casser le mythe de la dot. C’est devenu une rente pour les parents et les futures épouses. On arrive à des situations où c’est quasiment elles qui en fixent le montant ! Au Tchad, il y a aujourd’hui beaucoup de filles qui ont la trentaine et sont toujours célibataires. Les raisons sont bien sûr l’allongement des études mais aussi un handicap dû à la dot. C’est un réel problème dont personne ne veut parler. Je crois qu’il faut ouvrir le débat dans la société. C’est le boulot de l’artiste de provoquer la discussion.
Afrik : C’est donc un album polémique !
Mujos Ingamadji : Oui, de la première à la dernière chanson ! La musique est ma forme de militantisme. Dans « M’baoudjé », je parle des pêcheurs qui sont de braves gens complètement oubliés. On se moque d’eux alors qu’ils font tourner l’économie. J’évoque aussi dans cette chanson le problème de la pollution. Quand j’étais petit, j’allais au bord du fleuve pour regarder les pêcheurs ramener des sardines sur leur pirogue. Aujourd’hui, les entreprises polluent sans être inquiétées et il n’y a plus de poisson ! Dans « Menda a toli », je dis qu’à vouloir être trop généreux, on ne sait plus qui aide qui ! La générosité peut tuer ! J’ai pris l’exemple de certaines personnes qui font de la compassion un métier. J’ai déjà vécu des situations où, quand les gens savent que tu viens de Paris, ils essaient de te soutirer de l’argent en t’implorant. Alors tu cèdes et résultat : tu les retrouves un peu plus tard bien habillés, au bar avec des filles ! Il faut stopper ce phénomène !
Afrik : Vous rendez aussi hommage aux enfants de la rue. Pourquoi ?
Mujos Ingamadji : Je demande à messieurs les diplômés d’avoir plus de respect et de tolérance envers ceux qui n’ont pas eu la chance de faire des études. Au Tchad, les gens qui n’ont pas de diplôme sont déconsidérés, ce qui crée un vrai phénomène d’exclusion. Les enfants de la rue qui ne vont pas à l’école contribuent à leur manière au développement du pays. Ils font des petits boulots, tiennent des petits commerces. Il peut aussi y avoir parmi eux des symboles de réussite. Combien de docteurs sont aujourd’hui au chômage et combien de non-diplômés sont devenus millionnaires ? La vie n’appartient pas qu’aux riches ! Ces enfants sont des victimes et je souhaite que les Tchadiens les regardent d’une meilleure façon.
Afrik : Vous êtes un chanteur engagé !
Mujos Ingamadji : Dénoncer certaines choses fait partie du métier… On ne peut pas chanter dans le vide, il faut aider les gens à mieux se comporter. J’ai commencé ma carrière en interprétant des chansons sentimentales mais, finalement, je suis plus à l’aise dans les sujets de société. D’ailleurs, la chanson qui a fait mon succès, « Adama », critiquait les femmes qui ne savent pas cuisiner ! Ça n’a pas plu à tout le monde mais le résultat c’est qu’aujourd’hui, quand des gens m’invitent à manger, ils font toujours attention à la qualité des plats !
Afrik : Parlez-nous du projet Apocalypsida…
Mujos Ingamadji : Apocalypsida est une initiative personnelle et une auto-production. Le sida est très répandu au Tchad. Moi qui suis resté 13 ans en France sans retourner au pays, j’ai perdu là-bas pendant cette période un grand nombre d’amis, de frères, de copains de classe… La dernière fois que je suis allé au Tchad, j’ai été choqué car les marques de préservatif font des publicités en français. Or, la majorité de la population est analphabète et ne peut donc pas comprendre le message. Comme je passe bien auprès des gens au niveau musical, je me suis dit qu’il fallait en profiter. L’objectif du disque est de contribuer à la sensibilisation et à la lutte contre le sida au Tchad. C’est aussi d’arriver à créer un espace d’écoute pour les victimes du sida. Deux compatriotes ont eu la même idée que moi et, en 2002, nous avons travaillé ensemble sur le concept : le balaphoniste Keyba Toingar et l’écrivain vivant en Suisse Noël Ndjékely. Pour le projet, j’ai sollicité des ONG et le Programme national de lutte contre le sida. Ce disque est la première initiative de ce genre au niveau national. Autour du disque, douze concerts sont prévus, du 11 au 24 novembre, dans le sud du Tchad.
Afrik : Là encore, vous privilégiez dans les textes des histoires de la vie quotidienne.
Mujos Ingamadji : Oui, la chanson éponyme est la confession d’un homme, victime du sida. Il était riche, avait réussi, mais aujourd’hui, il est confronté à la mort. Cela veut dire que quel que soit le chemin emprunté, on échappe pas au sida. Je souhaite provoquer un électrochoc car chacun peut s’identifier à cet homme. L’idée c’est de dire « ça n’arrive pas qu’aux autres ».
Enfant de la rue, Mujos Ingamadji.
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