Mugabe balaie les villes du Zimbabwe


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La politique de déguerpissement des bidons villes et des marchés informels au Zimbabwe aurait déjà fait plus de 750 000 sans abri. Une situation qui inquiète la communauté internationale. Un rapport accusateur de l’Onu a été publié ce vendredi, rapport que rejette en bloc le Président Robert Mugabe. Le chef de l’Etat a invité Kofi Annan à se rendre sur place pour vérifier les allégations de l’organisation internationale.

Par Anna-Alix Koffi

Plus de 750 000 sans abri et 2,4 millions de personnes concernées, tel est le bilan encore provisoire de la politique de nettoyage des villes ordonnée par le Président Robert Mugabe. Un rapport de l’Onu, rendu public vendredi, fait état de violations de la loi internationale. Lancée il y a quelques mois dans le but d’éradiquer le marché noir et les activités criminelles, l’opération, « Murambatsvina » (littéralement « chasser les ordures ») entreprend de raser les bidons villes et les marchés informels. Une opération vivement contestée, autant par les partis d’opposition que par les instances des Nations Unies.

Le « Murambatsvina » consiste à envoyer la police, hautement armée, dans les constructions, dites illégales, pour en chasser manu militari les occupants et tout raser au bulldozer. Y compris les lieux de culte. Une alternative peu réjouissante s’offre alors aux habitants, parfois contraints de détruire eux-mêmes leur abri de fortune. Certains décident de retourner à la campagne, d’autres tentent de rester en zone urbaine et vont sur peupler les autres bidons villes qui n’ont pas encore été atteints. A l’image de ceux de Kambazuma à l’Ouest ou celui de Tafare à l’Est du pays. Dans les deux cas, les déplacés, qui vivaient déjà dans une grande précarité, voient leurs conditions de vie se détériorer. Des témoins ont signalé des morts à cause du froid (la température peut descendre jusqu’à zéro degré en juin) et des églises occupées. Les habitations, dites illégales, ont été construites sur les terrains des fermiers blancs expropriés par le chef de l’Etat. Une politique visant à rendre les terres aux Noirs, mais qui a précipité le pays dans la crise.

Kofi Annan invité sur place

Kofi Annan, le Secrétaire Général des Nations Unies a qualifié la démolition des bidons ville de «catastrophique injustice». Après les demandes de sanctions immédiates émises par Tony Blair avec le soutien des Etats-Unis, Anna Tibaijinka, émissaire spéciale du Secrétaire Général, a rendu, ce vendredi, un rapport incisif. Sur place depuis trois semaines, la diplomate tanzanienne a déclaré qu’en dépit de la promesse faite par Mugabe d’y mettre fin, les expulsions et les démolitions ont continué et ont été opérées « de manière discriminatoire et injuste, sans se soucier des souffrances humaines ». Le rapport propose, entre autres, que le gouvernement zimbabwéen lance une campagne d’urgence d’aide aux sans abri, qu’il mette en place des fonds compensatoires pour aider à restaurer un climat de confiance et de dialogue avec le peuple ou encore que soient établies des étapes d’une réforme économique. Le Président Mugabe a rejeté en bloc le contenu du rapport, accusant son auteur de partialité. Il a invité Kofi Annan à se rendre sur place afin qu’il fasse son propre constat. La proposition a été acceptée ce lundi.

Mobiles politiques

A l’intérieur du pays, les inquiétudes de l’Onu trouvent un écho dans les protestations de l’opposition qui entend dénoncer les dessous d’une manoeuvre politico-économique. « Chasser les ordures » ne serait qu’une série d’opérations punitives menées contre les personnes hostiles à Mugabe. Welshman Ncube, secrétaire général du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), a déclaré à la BBC que cette initiative n’était qu’un « harcèlement des électeurs des villes », qui, au Zimbabwe sont réputés être des opposants au régime. Ncube ajoute que repousser la population vers les campagnes n’aurait d’autre but que de la disperser pour en faciliter le contrôle.

Un mobile économique se cacherait derrière la démolition des marchés informels : leur remplacement par des structures officielles. Ce qui offrirait au gouvernement le contrôle des devises étrangères en circulation dans le pays et expliquerait le fait, qu’en dehors de Harare, seul les marchés soient rasés. Aux critiques venues de l’opposition et des instances onusiennes, le Président Mugabe invoque la volonté de vouloir rétablir l’ordre dans la ville de Harare, la capitale, ainsi que dans toutes celles qui connaissent le même développement irrégulier.

Hu Jin Tao, l’ami du paria

A la tête d’un pays proche de la banqueroute, Robert Mugabe est loin d’amadouer la communauté internationale. Avec une opération telle que «Murambatsvina », il s’attitre au contraire les foudres des pays riches. L’explication de son comportement pourrait bien venir de l’Est. C’est en République Populaire de Chine qu’il entend obtenir une aide économique. En visite officielle chez son homologue chinois Hu Jin Tao depuis ce mardi, Mugabe a signé un accord donnant de nombreuses concessions à la Chine en échange d’une aide économique. La Chine fournit déjà au Zimbabwe des bus et des avions civils et militaires.

Les déguerpissements de populations à l’initiative du pouvoir ont déjà eu lieu en Afrique. Ainsi, en 2002 en Côte d’Ivoire, ce sont des soldats qui ont chassé les habitants du bidon ville de Washington à Abidjan. En 1990, quelque 300 000 personnes avaient vu leur habitation détruite par des bulldozers, au Nigeria, dans le quartier de Moroko à Lagos, la capitale. L’opération avait duré une semaine. Au Cameroun, à Bonaberi près de Douala, ce sont des centaines de familles qui ont été expulsées. A chaque fois, le prétexte de l’insalubrité des lieux était invoqué. Aucune famille n’a toutefois été relogée dans de meilleures conditions. Elles furent toutes livrées à elles-mêmes.

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