Dans cette interview à bâtons rompus, le président des Nouvelles Forces Démocratique et membre actif de l’opposition guinéenne réunie au sein du Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition et l’Alliance pour la Démocratie et le Progrès (ADP), Mouctar Diallo, nous parle de la situation sociopolitique de la Guinée, notamment du bras de fer qui les oppose au pouvoir en place.
Afrik.com : L’actualité en Afrique veut que l’on commence par le coup d’Etat au Mali où des jeunes soldats ont pris le pouvoir. Quelle est votre réaction ?
Mouctar Diallo : En tant que démocrate et avec ma vision panafricaine, bien entendu, je ne peux que condamner ce coup d’Etat. Surtout que le Mali constituait un bel exemple, une référence en Afrique de l’Ouest en matière de démocratie. Je pense que c’est cet élan qui est stoppé aujourd’hui. C’est un coup dur qui est donné à cette démocratie naissante qui était en train d’être renforcée au Mali. Je pense que malheureusement cela va donner un mauvais signal aux autres armées africaines et peut-être même que cela risque d’impacter non seulement le Mali avec tous les problèmes, notamment l’armée touareg au nord du pays, mais aussi avec la fragilité de nos pays, la porosité de nos frontières, je pense que la crise malienne va sûrement avoir un impact dans les autres pays de la sous-région. Bref, je condamne ce putsch que je considère inutile. Je ne comprends pas pourquoi ces militaires l’ont fait. Il n’y a aucune justification qui soit valable face à l’opinion nationale et internationale.
Afrik.com : En Guinée, l’opposition réunie au sein du Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition dont vous êtes membre et l’Alliance pour le développement et le progrès (ADP) s’apprête à organiser ce samedi un meeting au Stade de Bonfi. Quelle est l’objectif de votre meeting et quel sera le message que vous allez livrer à vos militants ?
Mouctar Diallo : C’est un meeting d’information. C’est une réunion qui entre dans le cadre normal de l’activité politique que nous sommes en train de mener. Il n’y a rien d’extraordinaire. Vous savez que ce meeting devait être tenu samedi dernier mais il a été empêché par les autorités malgré toutes les précautions que nous avions prises pour suivre la démarche légale. Malheureusement, les forces de l’ordre, sous les instructions du gouvernement en place, ont empêché coûte que coûte le meeting en nous brutalisant, en procédant à des arrestations arbitraires et illégales et en blessant nos militants y compris des journalistes sous prétexte que les autorités communales n’étaient pas informées. Nous avons eu à prouver en exhibant la lettre d’information adressée à Madame le maire de Matam qui a été déchargée par le chef service administratif de cette commune. Malgré l’empêchement de ce meeting, nous ne pouvons pas capituler face à l’exercice de notre droit constitutionnel, c’est pourquoi nous sommes revenus à la charge et cette fois-ci en déposant la lettre d’information par voie d’huissier pour l’organisation de notre meeting samedi prochain. Nous avons appris hier à travers les ondes que le stade de Bonfi où nous voulons tenir notre meeting ne nous est pas accordé, les autorités communales nous demandent d’aller organiser ce meeting au stade de Coléah. De toute façon, pour nous que ce soit au stade de Bonfi, Coléah ou ailleurs, l’importance c’est de pouvoir mobiliser nos militants et de les informer sur la situation sociopolitique du pays. Comme vous le savez, en dépit de tout ce que les Guinéens traversent actuellement, aujourd’hui le pouvoir en place, après avoir refusé d’organiser les élections législatives dans le délai constitutionnel, c’est-à-dire six mois après l’adoption de la constitution, tarde jusqu’à présent à organiser les élections législatives qui doivent mettre fin à la transition par la mise en place d’une Assemblée nationale légitime et représentative du peuple guinéen. Donc, c’est pour informer nos militants sur l’échec du dialogue et sur les actes unilatéraux que sont en train de poser le gouvernement et la CENI en vue d’organiser des élections frauduleuses.
Afrik.com : Au contraire, selon le gouvernement c’est l’opposition qui retarde la tenue des élections législatives. Et que vous, vous ne voulez pas le bonheur de ce pays ? Qu’en dites-vous ?
Mouctar Diallo : Cela ne nous étonne pas. Vous savez, le gouvernement en place et la mouvance extrémiste au pouvoir ont fait du mensonge, de l’intoxication, de la désinformation, un instrument de gouvernance. De toutes les façons, le parti au pouvoir, le RPG, (Rassemblement du Peuple de Guinée, ndlr), est un parti qui s’est toujours caractérisé par son expertise de mensonge. Rappelez-vous lors des élections présidentielles, ce même parti avait dit que les peulhs (l’ethnie à laquelle appartient son challenger Cellou Dalein Diallo, ndlr) avaient empoisonné leur militant avec toutes les conséquences en termes humain et matériel que cela avait provoquées. Les ressortissants de cette région avait été tués, chassés, de la Haute Guinée (la région à majoritaire malinkés, l’ethnie du Président Alpha Condé, ndlr) et jusqu’à présent cet empoisonnement n’a pas été prouvé. Donc, c’est pour vous dire que ce sont des gens qui n’arrêtent pas de mentir de façon flagrante. Cependant, je ne réponds pas à de tel propos sans fondement.
Aujourd’hui, tout le monde constate que c’est le gouvernement qui refuse l’organisation d’élections libres et transparentes. Pour preuve, comme je le disais, ces élections devraient être organisées dans les six mois après l’adoption de la constitution. Pourquoi le gouvernement n’a pas favorisé la tenue de ces élections ? Ce n’est quand même pas l’opposition qui organise les élections !
Deuxièmement, beaucoup de pays ont organisé leurs élections. Quand vous prenez par exemple la Côte d’Ivoire qui a tenu son élection présidentielle après la Guinée, elle a déjà fini d’organiser ses élections législatives. C’est pour dire qu’en Guinée, le fait que jusqu’à présent les élections ne sont pas encore organisées relève non seulement d’une incompétence du pouvoir en place mais aussi de sa mauvaise foi et de son manque de volonté. Parce que le pouvoir sait qu’en organisant ces élections de façon transparente, il va les perdre de par son illégitimité et son impopularité. Vous savez, tous les Guinéens sont déçus même ceux qui étaient du côté du Président Alpha Condé. Même les 18% que le RPG avait eu au premier tour de l’élection présidentielle ne sont plus intacts. Pour preuve, vendredi dernier le RPG avait organisé un meeting et avait peiné à mobiliser deux cent personnes malgré l’annonce de la venue du Chef de l’Etat. Cela prouve que c’est un pouvoir qui est impopulaire et détesté par les Guinéens.
Les Guinéens croupissent sous le poids du quotidien. L’écrasante majorité des Guinéens ne mange qu’une seule fois par jour. Au point que maintenant, on recense chaque jour des cas de vols de marmite sur le feu tellement les gens ont faim. On nous a rapporté la dernière fois qu’une femme a vendu son enfant pour avoir de quoi se nourrir. Tout cela dans un désespoir nourrit par un chômage galopant. Pas de soins de santé primaire, l’insécurité bat son plein actuellement dans la capitale et à l’intérieur du pays. Le pays se trouve dans une obscurité totale, le manque criant d’eau potable dans les robinets, le coût de transport très élevé. Depuis que le Président Alpha Condé est arrivé au pouvoir, il y a eu deux augmentations du prix de carburant à la pompe et cela a impacté tous les prix. Aujourd’hui, beaucoup de fonctionnaires ne travaillent pas parce que le coût du transport mensuel est plus élevé que leur salaire. Les Guinéens sont affamés. C’est un pouvoir qui ignore complètement les problèmes de la population et les appauvrit. Le pouvoir a interdit aux paysans de la Guinée forestière de commercialiser le riz avec des citoyens d’une autre préfecture. Avant-hier, nous avons appris une autre décision du gouvernement interdisant aux habitants de la commune de Kaloum de revendre leur maison ou leur parcelle. Au lieu d’œuvrer pour la sécurité et la prospérité des Guinéens, le gouvernement installe le communisme avec la dictature, en bafouant les droits humains, les libertés publiques et en violant de façon flagrante les lois, tout en encourageant l’impunité et en renforçant la mal gouvernance.
Afrik.com : Vous venez de décrire une situation sombre de la Guinée. Maintenant que la CENI a programmé la date des élections législatives au 8 juillet, est-ce que vous allez participer à ces élections pour éviter que les gens vous accusent de vouloir les retarder ?
Mouctar Diallo : Pour l’opposition, c’est moins une question de date qu’une question de création de condition de transparence et de crédibilité. C’est la tenue d’un scrutin qui va refléter la volonté du peuple de Guinée. Pour nous, ce n’est pas la question du 8 juillet qui est importante mais c’est d’abord la CENI (Commission électorale nationale indépendante, ndlr). La CENI a non seulement montré son incapacité technique mais aussi son manque de neutralité et de crédibilité. Je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, on devrait l’accepter. Les mêmes causes provoquent les mêmes effets. C’est pourquoi dans les revendications du Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition et de l’Alliance de la démocratie et du progrès (ADP), représentatif de l’opposition guinéenne, nous avons demandé la restructuration de la CENI ou à défaut la recomposition de la CENI. Surtout que l’administration a remplacé ses deux représentants au niveau de la CENI, pourquoi pas procéder justement à un remplacement général qui va refléter la configuration de la scène politique actuelle, et ce, malgré le minimum de consensus lors du dialogue politique dernier, on nous sert malheureusement un semblant de dialogue. En tout cas, cette idée avait bénéficié de la majorité des participants à ce dialogue. Ce que nous demandons, c’est que l’on recompose cette CENI sur la base légale.
La CENI a vingt cinq membres statutaires, nous voulons donc que la mouvance présidentielle présente dix membres de l’opposition. Nous voulons donner la possibilité à chaque camp d’envoyer à la CENI, conformément à la loi, ses représentants. Parce que ceux qui sont là aujourd’hui, sont ceux qui étaient là depuis l’installation de cette institution et qui ne reflètent plus la réalité politique actuelle. Pour nous, cette recomposition des membres de la CENI est une condition sine qua non pour la tenue d’élections libres et transparentes. Le pouvoir doit réformer l’actuelle CENI et étudier le rôle de son président qui est contesté et qui d’ailleurs a été condamné par la justice guinéenne pour faute culturelle. Comment voulez-vous qu’on accepte une telle personne ou de tels commissaires qui ont montré leurs limites pendant l’élection présidentielle ? Ce que nous avons demandé est tout à faire normal. D’autant que nous ne sommes pas rassurés, non seulement par le comportement précédent de ces commissaires-membres de la CENI, mais aussi par les propos du Chef de l’Etat qui a dit publiquement qu’il ne pouvait pas organiser des élections et les perdre. Cela veut dire qu’il va simplement œuvrer pour frauder massivement cette élection surtout qu’il fait tout pour impliquer l’administration dans l’organisation. Les Gouverneurs, les Préfets et les Sous-préfets, à qui il a dit publiquement de ne pas être neutre en cas de violation de la constitution. Ces Gouverneurs et Sous-préfets sont d’ailleurs devenus aujourd’hui des membres actifs du partis au pouvoir (le RPG) parce qu’ils font la campagne du RPG actuellement partout où ils sont. Ils mobilisent tous les citoyens pour voter massivement pour le RPG. Ils menacent nos militants et procèdent à des mutations pour sanctionner nos membres qui sont dans l’administration. Le pouvoir utilise tous les moyens en instrumentalisant la CENI pour frauder massivement. Tout ce que nous avons demandé, c’est la tenue d’une élection libre et transparente. Malheureusement, tous les signaux, tous les actes qu’ils posent aujourd’hui, montrent suffisamment qu’ils veulent tout sauf une élection libre et transparente.
Afrik.com : Le gouvernement veut cependant respecter la date du 8 juillet ?
Mouctar Diallo : Oui, tout cela montre une fois encore que la CENI actuelle est sous les ordres du pouvoir. Parce que, à la CENI, il y a eu une réunion technique à l’occasion d’une Assemblée générale et les experts qui étaient présents ce jour-là, avaient identifié la date du 25 novembre comme étant la moment opportun pour la tenue des législatives. C’est ce qui avait été décidé au niveau de la CENI, mais selon les informations que nous avons eues, le président de la CENI avait eu des ordres de l’exécutif pour fixer cette date au 8 juillet. La CENI est sensée être indépendante, en tout cas, selon les textes. C’est un signal qui montre que nous ne pouvons pas partir aux élections avec cette CENI parce qu’elle est sous les ordres de l’exécutif et parce qu’elle va œuvrer et mettre tout en œuvre pour frauder massivement pour le pouvoir en place. C’est pour cela, encore une fois, que l’opposition exige la recomposition de la CENI, pour avoir des hommes de valeurs, crédibles, d’honneur et neutres, qui seront capables d’organiser des élections libres et transparentes.
En plus de la recomposition de la CENI, l’opposition demande l’audit du fichier, sa révision conformément à la loi. Nous demandons aussi que les conseillers communaux, illégalement démis par décret, soient rétablis dans leur fonction. Nous demandons la neutralité de l’administration dans le processus électoral et l’accès des partis politiques de l’opposition aux médias publics de façon équitable. Voici quelques revendications que l’opposition pose et dont la satisfaction permettra la condition de transparence et de crédibilité des élections législatives.
Effectivement, si le gouvernement insiste sur la date du 8 juillet, d’abord, on peut se demander si ce n’est pas une opération de charme à l’endroit des partenaires au développement qui mettent la pression ou bien la CENI a donné la date par bluff. Je vous rappelle que la CENI avait déjà donné une première date, le 29 décembre sans aucune conviction. Et lorsqu’on a demandé au président de la CENI si cette date était réaliste, il a simplement dit qu’il a donné la date pour faire réagir les acteurs politiques. Le pouvoir, en insistant sur la date du 8 juillet, est en train de bluffer et continue de gagner du temps pour installer son système de fraude massive ou il a déjà fini d’installer son système de fraude et maintenant, il pousse pour qu’on aille à ces élections.
Afrik.com : Donc, pour vous, cette date du 8 juillet n’est pas tenable ?
Mouctar Diallo : Je ne vous dis pas que la date est tenable ou pas. Encore une fois, il y a des conditions préalables. Si ces conditions préalables sont remplies au temps opportun, la date peut être tenable. Je ne suis pas un technicien. J’insiste simplement sur les conditions préalables. Par exemple, vous quittez Conakry et vous vous dites que vous allez arriver à Kindia à telle heure. Mais avant de déterminer l’heure, il faut s’assurer d’abord d’avoir un bon véhicule, du carburant, que la route soit bonne et qu’il n’y aura pas d’obstacles sur la route. Mais si déjà, tu es à Conakry et tu dis que tu vas arriver à telle heure sans réunir les conditions et les préoccupations pouvant te permettre d’arriver à Kindia à cette heure, cela veut dire que tu es en train de blaguer. Donc, l’opposition insiste sur les conditions, sur ce qui permettra d’organiser des élections transparentes dans le meilleur délai et dans un climat apaisé. Parce que si cette CENI actuelle organisait ces élections, c’est déjà créer les conditions de contestation du scrutin parce qu’à partir du moment où les organisateurs sont contestés et qu’ils ne bénéficient pas de la confiance des acteurs, ça veut déjà dire que quels que soient les résultats qu’ils vont proclamer, ils seront contestés. Je ne vois pas pourquoi le pouvoir persiste à maintenir la CENI.
Afrik.com : Avez-vous un message à lancer ?
Mouctar Diallo : C’est de demander à l’ensemble des Guinéens vivant à l’étranger et à l’intérieur de se mobiliser. Je ne vois pas encore pourquoi exclure les Guinéens de l’étranger de ces élections. Comme vous savez, la Guinée a la particularité d’avoir des millions de Guinéens à l’étranger, qui contribuent au processus de démocratisation du pays et efficacement et activement au processus de développement de la Guinée. Je ne vois pas pourquoi, on devrait exclure ces nombreux Guinéens à la désignation des représentants du peuple. Je me demande au nom des NFD et au nom de l’opposition et à tous les Guinéens épris de justice et de paix et qui veulent que la Guinée avance, de se mobiliser pour empêcher à ce régime autoritaire de prendre en otage le peuple de Guinée en organisant un hold-up électoral. Ils doivent se mobiliser pour éviter à notre pays une nouvelle dictature. Et cela rendrait vain tous les sacrifices consentis par des milliers de Guinéens depuis 58 (date de l’indépendance) jusqu’à nos jours notamment en 2007, en 2008, en 2009, en 2010 et en 2011. il y a eu des tués, des blessés, des femmes violées pour que la Guinée soit un Etat « normal ». De toute façon, nous allons continuer le combat pour l’émergence d’une Guinée unie et paisible.
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