Plusieurs centaines de milliers de personnes se sont rassemblées ce mardi dans les rues du Caire et d’Alexandrie pour réclamer le départ du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981. Depuis la semaine dernière, la mobilisation grandit. Le mouvement, au cours duquel 300 personnes sont mortes selon l’ONU, porte une forte aspiration à la démocratie et à une plus grande équité sociale. Il pourrait avoir un gros impact sur la politique intérieure égyptienne comme sur le très instable Proche Orient.
Bernard Botiveau, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Egypte, analyse la situation.
Afrik.com : Moubarak va-t-il passer la main ?
Bernard Botiveau : Pour le moment il est totalement impossible de se prononcer sur cette question. Il y a encore trop d’incertitudes. Il faut attendre de voir la situation évoluer. Moubarak a 82 ans. Il prépare sa succession et a organisé tout un système pour permettre à son fils de se présenter à l’élection présidentielle.
Afrik.com : Des élections vraiment démocratiques en Egypte n’ouvriraient-elles pas les portes du pouvoir aux Frères musulmans ?
Bernard Botiveau : Actuellement leur projet n’est pas de prendre le pouvoir mais de mettre fin au régime. Les Frères musulmans sont pour l’instant très prudents. Mais il y a eu un fait important. Ils ont chargé El-Baradei de discuter avec l’armée dont ils veulent avoir l’appui. Mais ils refusent de s’entretenir avec Hosni Moubarak. En Egypte, tous les mouvements d’opposition sont alliés.
Afrik.com : Les Américains, dans un Proche-Orient très instable, peuvent-ils se passer de Moubarak ?
Bernard Botiveau : Il n’est pas sûr que les Etats-Unis soutiennent Moubarak jusqu’au bout. Leur ton s’est durci. Ils veulent avant tout la stabilité du régime. Pour eux, Moubarak est en fin de carrière. S’il y avait pour lui une porte de sortie pacifique, cela ne leur déplairait pas. L’armée est un acteur important dans ce conflit. Elle a subi des pressions sur le plan international. Je pense qu’en ce moment il y a des négociations pour qu’il passe la main pacifiquement.
Afrik.com : Pourquoi la population se révolte alors que l’économie égyptienne est présentée comme étant en bonne santé ?
Bernard Botiveau : L’économie égyptienne est globalement en bonne santé car elle est basée sur les hydrocarbures, et le Canal de Suez représente un avantage économique. D’autre part, il y a aussi les Egyptiens de l’extérieur qui travaillent et envoient de l’argent à leurs proches. Le Tourisme aussi joue un rôle très important dans l’économie. Mais la population se révolte car la répartition des richesses est mal partagée, elle est très inégalitaire. Il y a une partie des Egyptiens qui a bénéficié du cadre de ce développement des activités qui rapportent. Mais cela ne profite pas à la majorité de la population qui vit avec de très faibles revenus. Il y a aussi le fait qu’il y ait beaucoup de corruption dans ce pays, ce qui met en colère le peuple. Des jeunes se font arrêter pour un oui pour un non, tout cela aussi rentre en jeu. Il y a une animosité très importante des manifestants contre la police qui est un symbole de la répression. Ils veulent des élections libres. Cela fait trente ans que Moubarak maintient le pays en état d’urgence, depuis l’assassinat d’Anouar El Sadate en 1981. Les libertés publiques ont été suspendues car le régime se méfiait des partis soupçonnés d’appartenir à une organisation islamiste. Les élections sont constamment falsifiées. Le régime empêchait les magistrats qui sont chargés d’assurer leur bon déroulement de faire leur travail.
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