À travers son nouvel album, La Guinéenne, Mory Kanté rend un véritable hommage aux femmes africaines. L’artiste guinéen, auteur du succès planétaire Yéké yéké, propose un voyage musical agréable et très rythmé grâce au son magique de sa kora électrique. C’est en toute simplicité qu’il se livre à Afrik.com.
Mory Kanté est issu d’une famille de griots. Dès son plus jeune âge, il commence à s’intéresser à la musique. L’artiste guinéen est ce qu’on peut appeler un « Griot des temps modernes ». Il a toujours su agréablement marier sonorités traditionnelles et modernes. Il s’est d’abord fait connaître dans les années 70 sur la scène locale avant de dominer les tops internationaux, dans les années 80. Le chanteur réside en Guinée, à Conakry, où il mène de multiples activités qui contribuent au développement du pays. Il est une source d’inspiration pour de nombreux artistes sur le continent.
Afrik.com : Pourquoi avoir intitulé votre nouvel album La Guinéenne ?
Mory Kanté : Cet album, j’y ai beaucoup réfléchi. Je veux qu’on voie un autre visage de la musique africaine tout en restant dans un cadre artistique. Je l’ai appelé La Guinéenne pour remercier les femmes africaines et leur rendre hommage pour tout ce qu’elles font, leur travail dans les champs, leur bravoure, leur générosité.
Afrik.com : Quel est le message que vous avez voulu transmettre à travers ce nouvel album ?
Mory Kanté : Je parle de la société humaine en général. J’évoque l’honnêteté, l’amour, le désarroi et l’actualité. Une chanson, c’est comme un tableau au mur, elle délivre plusieurs messages. Cet album est un projet artistique très orienté vers la musique africaine. Mais l’idée était de réactualiser le son, le moderniser. J’ai d’ailleurs donné une grande place aux cœurs pour rehausser la sauce dans la partie rythmique. C’est un petit voyage à travers la musique.
Afrik.com : Le thème de l’amour est très présent dans votre album, notamment à travers le titre Oh oh oh. Pourquoi chantez-vous si souvent l’amour ?
Mory Kanté : C’est un thème que je chante beaucoup effectivement. Il faut chanter l’amour, car l’amour adoucit les mœurs. Un bon être humain est fait d’amour.
Afrik.com : La Guinéenne est, on peut le dire, un voyage musical en Guinée. Est-ce important pour vous de faire ce retour aux sources ?
Mory Kanté : Oui, c’est un retour aux sources. Lorsque l’on est en vie, on doit chercher constamment à évoluer. Evoluer, c’est ouvrir de nouvelles portes, de nouveaux créneaux. Je travaille pour moi, mais avant tout pour la musique africaine. Je suis le premier à avoir électrifié le son de la kora dans le monde. Aujourd’hui, beaucoup de musiciens de jazz utilisent cette technique. Cela me fait plaisir.
Afrik.com : Vous êtes engagé en faveur de plusieurs causes humanitaires. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mory Kanté : Je suis ambassadeur à la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr), à l’Unesco et au HCR (Agence des Nations-Unies pour les réfugiés, ndlr). Je mène beaucoup de missions, c’est une grande responsabilité. Je dois très prochainement aller en Côte d’Ivoire pour mener un travail de sensibilisation sur la protection des forêts. Je pense qu’il est important de parler aux gens de l’importance des arbres. La question des femmes, la protection de l’enfance, les problèmes liés à l’excision, tous ces sujets doivent être abordés. Nous devons tout faire pour trouver des solutions à ces problèmes. L’Afrique a une tradition orale. C’est une richesse qu’on peut utiliser pour sensibiliser les gens sur un certain nombre de problèmes.
Afrik.com : Pouvez-vous nous parler des activités que vous menez en Guinée, votre pays d’origine ?
Mory Kanté : J’ai plusieurs complexes culturels en Guinée. J’ai une salle de spectacle, un restaurant, deux studios d’enregistrement où j’ai d’ailleurs enregistré ce nouvel album. J’ai aussi une salle de conférence, un cyber, un hôtel pour loger tous les étrangers qui viennent me rendre visite en Guinée. Je suis, de façon permanente, en contact avec des musiciens traditionnels du pays. J’aide aussi beaucoup de jeunes artistes à émerger. On travaille et répète ensemble, régulièrement.
Afrik.com : Quel regard portez-vous sur la situation politique actuelle de la Guinée ?
Mory Kanté : La Guinée évolue. Le pays est en plein chantier. C’est une jeune démocratie qui doit encore faire ses preuves. Mon dernier concert, là-bas, était placé sous le signe de la réconciliation nationale, la paix, la solidarité et l’unité du pays. Quelquefois, il y a des accrochages entre le pouvoir et l’opposition, mais je pense que s’ils arrivent à résoudre leurs différends, les choses pourront s’arranger.
Afrik.com : Pouvez-vous nous parler de votre kora, à laquelle vous-êtes très attaché ? Est-ce un porte-bonheur pour vous ?
Mory Kanté : Ma kora est la plus vieille au monde. Elle a quatre-vingt-quatre ans. C’est un vieux monsieur du nom d’El Hadj Batrou Sékou Kouyaté qui me l’a offerte. C’était en 1974. Il m’a dit : « Je t’offre cette kora pour qu’elle puisse te nourrir, nourrir tes enfants et tes petits-enfants ». Et c’est ce qui s’est passé. Lorsque j’étais adolescent, il m’arrivait parfois de jouer de sa kora, à son insu (il rit). C’est un homme que j’ai beaucoup côtoyé, qui m’a aimé. Cette kora est ma première femme comme j’ai l’habitude de dire (grand éclat de rire). Nous avons vécu tellement d’aventures ensemble. En côte d’Ivoire, en traversant un lac, nous avons failli nous noyer. Mais Dieu merci nous avons survécu. Ma kora est toujours avec moi. Partout où je vais, elle est avec moi, même dans l’avion. Je ne m’en sépare jamais !
Afrik.com : Vous êtes l’un des premiers artistes africains à avoir vendu plus d’un million de disques avec le titre Yéké yéké. Pouvez-vous revenir sur ce succès planétaire ?
Mory Kanté : Avant Yéké yéké, j’étais déjà connu partout en Afrique où j’avais vendu de nombreux disques. J’avais obtenu de nombreux prix, même aux Etats-Unis. Au moment où Yéké yéké est sorti, j’étais dans la mouvance du développement de la musique africaine à travers le monde. Il y avait de grands artistes comme les Touré Kunda. Tous ces grands noms de la musique africaine vivaient entre Paris et Londres. Je suis resté vingt-huit jours à Paris, après avoir reçu les Maracas d’or. Je suis rentré assez vite à cause de la solitude car tout le monde allait travailler et moi je restais seul à l’hôtel. Puis, je suis revenu à Paris, quelques temps après, avec un producteur nigérian. J’ai effectué un premier concert à la Mutualité. Philippe Constantin, qui était, à cette époque, le directeur de Barclay, m’a proposé de travailler avec lui, puis j’ai signé un contrat. Il m’a demandé de reprendre le titre Yéké yéké que j’avais déjà chanté. Il voulait un son plus rythmé avec d’avantage de kora. Il était persuadé que ça ferait un carton !
Afrik.com : Et le succès a été immédiat…
Mory Kanté : Philippe Constantin m’a dit : « Fais en sorte que lorsque les gens entendent ce morceau, ils ne l’oublient pas ». J’ai travaillé sur le projet, durant plusieurs jours. Petit à petit, j’ai trouvé le rythme et les sonorités. Philippe Constantin est revenu me voir et m’a dit : « Mory, tu as trouvé ? » Je lui ai fait écouter la nouvelle version du titre. Il a alors sauté de joie et m’a dit : « Voilà c’est ça ! Tu as trouvé ! ». Yéké yéké est sorti en 1987. Le titre a rapidement fait le tour du monde, les radios l’ont passé en boucle, c’était vraiment des moments magiques ! (rires)