Alexandre Biyidi alias Eza Boto, alias Mongo Beti vient de s’éteindre à Yaoundé à 68 ans. Le romancier, infatigable pourfendeur de la bêtise humaine, laisse derrière lui des romans écrits au vitriol, des pamphlets qui dérangent, un humour terriblement noir et une réputation d’écrivain engagé et incorruptible.
Ecrivain révolutionnaire, il avouait lui-même que c’est par » l’écriture des tracts » qu’il est » entré en littérature « . A 19 ans. C’est à cet âge que, jeune étudiant en France, il découvre l’alliance entre littérature et combat. Il dévore Voltaire et la littérature française du 18ème. Ses premiers romans stigmatisent la colonisation et ses effets dévastateurs sur la société traditionnelle du Cameroun (Ville cruelle en 1954, publié sous le nom d’Eza Boto, Le Pauvre Christ de Bomba en 1956, qui lui vaut les foudres du clergé et ses premières censures au Cameroun, Mission terminée en 1957, Le Roi miraculé en 1958). Mongo Beti exprime dans ces livres un anticolonialisme viscéral. Celui d’un opprimé qui écrit pour des millions d’autres opprimés, comme rarement d’autres l’ont fait avant lui.
Pendant 14 ans, la plume reste muette mais pas l’homme. S’il ne publie rien, il n’a de cesse de dénoncer les systèmes coloniaux et les dictatures mises en place au lendemain des indépendances. Il combat toute forme d’injustice sociale ou d’abus de pouvoir. Son retour remarqué sur la scène littéraire en 1972 se fait par le biais d’un pamphlet féroce, Main basse sur le Cameroun, qui démasque le régime de Yaoundé de l’époque, celui du tyran de triste mémoire Ahmadou Ahidjo. Dans ce réquisitoire pertinent, la » Françafrique » en prend pour son grade. L’ouvrage est saisi et interdit en France. Il ne sera réédité qu’en 1977.
Ces derniers livres (L’Histoire du fou en 1994, Trop de soleil tue l’amour en 1999 et Branle-bas en blanc et noir en 2000) se font l’écho d’un Cameroun rabaissé par un pouvoir tyrannique et d’une société où plus rien ne tourne rond. » La chance ici, c’est qu’on n’a pas besoin d’inventer quoi que ce soit. Il suffit d’observer « , répondait-il avec ironie aux journalistes qui lui faisaient remarquer la noirceur de ses textes.
Militant jusqu’au-boutiste, écrivain génial et subversif, Mongo Beti, le » veilleur en embuscade » comme le nomme le sociologue Jean-Marc Ela, est parti dimanche. Une disparition qui a la beauté mélancolique du jazz qu’il aimait tant. Un jazz qui n’a qu’un ton : celui de la révolte.