Véritable roi du swing et de l’improvisation, Momo Wandel Soumah (1926-2003) était le doyen du jazz africain. Il créait sa musique sans l’écrire, en s’inspirant des chansons populaires, et en réunissant autour de sa voix « façon Louis Armstrong qui serait sorti de sa savane » et de son vieux saxo desséché, les grands maîtres des instruments traditionnels africains. Laurent Chevallier lui a consacré un documentaire, Momo le doyen, qui sort ce mercredi sur les écrans français.
Les documentaires de Laurent Chevallier sont toujours bâtis sur sa relation émotionnelle et forte avec une personne remarquable. Dès Djembefola (1992), il suivait les pas de Mamady Keïta dans son village natal, et après avoir contribué à l’émergence du premier cirque aérien d’Afrique noire (Circus Baobab, 2001), il construisait La Vie sans Brahim (2004) sur son amitié avec un épicier marocain et Hadja Moï (2005) sur sa complicité avec la grand-mère de sa femme guinéenne. Si ces personnages fascinent, c’est qu’en prenant la mesure du cinéma, ils prennent goût à se mettre en scène, et se révèlent de véritables acteurs, ce qui fait osciller les films entre le regard porté sur eux et le regard qu’ils renvoient. Chevallier y va de temps en temps d’un couplet impliqué, son commentaire renforçant le côté très personnel de l’entreprise.
Momo Wandel Soumah a l’habitude de la scène et donne à toute sa vie un entrain et une bonne humeur communicatives. Ses pitreries et son rire dénotent un optimisme que les obstacles de l’âge ne sont pas venus compromettre. C’est pourtant à ce moment délicat des dix dernières années de la vie de Wandel que Chevallier, en recherche de musiciens pour le Circus Baobab, le découvre, le soutient et l’accompagne jusqu’à lui faire soigner par des amis chirurgiens sa fracture du col du fémur pour lui permettre de remarcher. A la différence des précédents films pourtant, Momo le doyen est un hommage à un disparu et donc un montage de documents, un « livre d’images » comme le définit le commentaire.
Cette approche biographique bourrée d’empathie permet à Chevallier de tracer en filigrane l’Histoire de la Guinée contemporaine, insérant de savoureuses archives d’époque pour en rappeler les heures coloniales où les orchestres animaient les bals des Blancs, puis les années Sékou Touré durant lesquelles Wandel va travailler les musiques traditionnelles avec l’Orchestre national. C’est avec l’ouverture que permet la mort de Sékou Touré qu’il peut réaliser la fusion avec le jazz. Dans les années 80, son orchestre groupe ainsi autour de son saxo de grands solistes du ballet Djoliba : flûte pastorale, djembé, balafon, etc.
Momo le doyen est ainsi une mosaïque rassemblant des archives personnelles du réalisateur, des moments d’intimité, des documents d’époque et une discussion d’aujourd’hui avec les musiciens. Comme toujours en pareille circonstance, nous voudrions que les palabres s’effacent et que les moments de musique et de concert ne s’arrêtent pas, jusqu’à ces émouvants moments de l’hommage final. Et c’est vrai que certains moments pourraient être resserrés, mais c’est en laissant sa place au quotidien qu’au-delà de sa musique, le rythme d’un homme s’impose, écho du son inclassable du vieux saxo et de la voix rocailleuse de cet Armstrong guinéen en permanente recherche.
Poursuivant comme pour le Circus Baobab son implication au-delà de la simple prise d’images, Laurent Chevallier a soutenu la constitution d’un nouveau groupe d’afro-jazz composé des anciens musiciens de Momo Wandel et de plus jeunes, Fölifö, qui seront en tournée lors de la sortie du film et reviendront durant l’été 2007 pour participer au festival Jazz à Marciac qui rendra un hommage appuyé au doyen. Le CD, Momo le doyen, African B.O., qui regroupe les musiques des films de Laurent Chevallier composées par Wandel, sort en même temps que le film, de même que le dvd qui comporte d’intéressants bonus sur le balafon, le bolon, la flûte pastorale et un entretien avec Momo Wandel Soumah.
Par Olivier Barlet, pour Africultures