Lors de la quinzième édition du festival africain de New York entre avril et mai 2008 au Lincoln Center en plein coeur du quartier de Manhattan, j’ai rencontré de nombreux Noirs Américains (African American), venus pour la plupart célébrer le génie de Sembène Ousmane. Sans doute, avaient-ils déjà regardé certains de ses films, lu un de ses livres, toujours est-il que les African American (AA) se distinguaient par leur intérêt indiscutable et indiscuté pour les réalités de la société africaine, dépeintes par le père du cinéma Noir.
Que ce soit dans les débats organisés pour la circonstance ou lors de projections cinématographiques, les African Americans (AA) constituaient plus de la moitié de l’audience.
Ils arboraient boubous bigarrés, couvre-chef, foulards, chéchias: Little Senegal (Petit Sénégal), la partie de Harlem où vit une forte communauté d’ouest-Africains, s’était déplacé pour quelques jours dans le gigantissime et chiquissime Manhattan.
Lors des cocktails d’avant-séance, les AA que je croisais me donnaient un « hug » (accolade), accompagné d’un « Good to see you Bro, we are all African » (ça fait plaisir de te rencontrer frère, nous sommes tous Africains).
« Frère, tu es authentique! »
Déjà que j’avais du mal à me faire à ces gestes familiers, qui font partie du « socialize » (courtoisie), de rigueur dans les sociétés anglo-saxonnes, que dire de ces saynètes improvisées auxquelles je prenais part malgré moi ?
Etait-ce notre couleur de peau, encore qu’ils étaient plus clairs, qui justifiait à elle-seule ces civilités excessives ? Je promenais cette interrogation avec moi, quand je fus accosté par Vonanys.
–Oh! Brother! You are a true one, I cannot believe it. (Frère, tu es authentique, j’ai du mal à le croire). I am Vonanys, me lança-t-elle de sa voix surexcitée.
J’étais désarçonné.
I am Luc, articulais-je enfin.
Vonanys arborait un « Kaba » et avait maladroitement noué son foulard, de telle sorte qu’elle devait constamment le réajuster. C’est ce qu’on remarquait d’abord. Ensuite, le regard se portait sur ses bijoux: un méli-mélo de colliers en bois, en corne, en os, en ébène; des perles en verre ou en terre cuite…
Nous engageâmes un échange.
Vonanys était une jeune AA, qui avait passé le cap de la trentaine. Elle venait de vendre sa maison dans l’Etat voisin du New Jersey et s’apprêtait à immigrer au Ghana, d’où étaient originaires ses ancêtres, me narra-t-elle.
« Au Ghana, je serai chez moi »
Comme nombre de AA, Vonanys avait succombé à la méthode du biologiste Noir-Américain Rick Kittles, qui propose de retrouver l’origine de ses ancêtres africains via un test ADN.
M. Kittles a fait déterrer en 2003 les ossements de 408 esclaves Africains morts aux Etats-Unis, prélevé leur ADN respectif et l’a comparé à des ADN pris chez plusieurs ethnies africaines.
Il suffit de placer un coton tige dans sa bouche, frotter à l’intérieur et mettre ce coton tige dans une enveloppe et l’expédier à une société spécialisée. Quelques semaines après, ladite société vous fait parvenir, par retour du courrier, les résultats et vous indique de quelle partie d’Afrique ou des Antilles vous êtes.
Je demandai à Vonanys si elle s’était déjà rendue au préalable au Ghana. Elle me répondit que non mais elle avait beaucoup lu sur le pays et y connaissait un ami AA qui venait de s’y installer.
Qu’allait-elle y faire ?
– I don’t know yet but it does not matter because I will be home. Home sweet home (Je ne sais pas encore mais ce n’est pas le plus important parce que je serai chez moi), avait-elle balayé.
Je me décidai alors à tordre le cou aux clichés. vainement. J’avais en effet beau lui expliquer que le racisme était aussi vivace en Afrique qu’en Europe, Vonanys ne cilla point.
J’évoquai le culte des « peaux claires », dont je fus personnellement victime parce que « peau sombre », et le clivage social, Vonanys ne fléchit point. Elle retournait à la Terre Promise, seul cela comptait. Je rendis les armes et lui souhaitai un bon voyage. Nous échangeâmes nos mails respectifs.
« Nous courons après l’identité africaine »
David, l’un de mes amis AA, à qui je rapportai cette conversation le lendemain, ne comprit pas que je fusse étourdi par la naïveté ou l’insouciance de Vonanys.
Ecoute, d’où es-tu originaire ? me demanda-t-il.
Je donnai le nom de mon pays.
Vois-tu, si tu poses la même question à un Irlandais américain ou à un Porto Ricain, ils te répondront sûrement Irlande ou Porto Rico, alors que si tu m’interroges, je ne saurais quoi dire, reprit David. Et d’ajouter, « ce n’est pas pour rien que nous avons demandé à nous faire appeler Afro-Américains. C’est pour avoir l’illusion de posséder une identité. L’identité africaine. Nous courons après elle, on s’y accroche comme on peut ».
Certes les AA se bercent d’illusions, mais ça leur donne au moins un repère identitaire, ce qui les met sur le même pied d’égalité que les autres Américains…