Le roi Mohammed VI célèbre, jeudi, ses dix ans de règne au Maroc, lors de la fête du trône. Une décennie marquée par une ouverture économique et des réformes ambitieuses, mais qui n’a pas connu de transition démocratique « à l’espagnole ».
Juché sur un étalon, le roi du Maroc, tout de blanc vêtu, fera son entrée jeudi dans la cour de l’un des palais royaux, dans le cadre de la cérémonie de l’allégeance (la bey’a). Un événement immuable qui commémore chaque année l’intronisation de Mohammed VI, le 30 juillet 1999. A cette occasion, tous les notables du royaume – oulémas, walis, ministres – se réunissent pour faire acte d’allégeance, courber l’échine et scander « que Dieu te bénisse, Majesté ». Un protocole inchangé depuis la mort d’Hassan II. Dix ans après son accession, Mohammed VI oscille toujours entre tradition et modernité, entre points d’ombre et réformes progressistes. Le roi du Maroc, peu enclin aux interviews, reste une énigme pour nombre de ses sujets.
Sur le chemin des ruptures
Arrivé à l’âge de 35 ans sur le trône alaouite, Mohammed VI, en bon élève, avait clairement signifié vouloir poursuivre la politique d’ouverture prônée par son père peu avant sa mort. Résultat : en 2004, le code de la famille (la Moudawana) est adopté. Une mini-révolution pour les femmes. Pour la première fois, une loi instaure l’égalité entre les deux sexes. La polygamie est encadrée, la répudiation interdite et surtout les femmes obtiennent le droit de divorcer sans l’accord de leur époux. La même année, « M6 » comme on le surnomme, créé une commission qui vise à enquêter sur les violations des droits de l’Homme commises par Hassan II. Durant deux ans, l’instance « équité et réconciliation » indemnise les victimes politiques de l’ancien monarque.
Sur le plan économique, Mohammed s’inspire de la politique de son père. La diversification des activités et la modernisation des infrastructures amorcées par Hassan II sont pérennisées par son fils. En 2008, sous l’impulsion de Mohammed VI, le Maroc obtient de l’Union européenne le précieux « statut avancé » qui lui permet d’accéder au marché européen et se dote d’équipements sans égales au Maghreb. La plupart des grandes villes sont désormais reliées par autoroutes. Le pays est pratiquement électrifié. Et de grands projets d’envergure comme le train à grande vitesse (TGV) Tanger-Casablanca et le port gigantesque Tanger Med sont lancés. Depuis le début de son règne, la croissance économique marocaine se situe entre 4 et 5% en moyenne, soit deux fois plus que la décennie précédente.
Points d’ombre
En revanche, sur d’autres dossiers, les avancées tardent à se faire sentir. La presse par exemple. Les journaux peuvent écrire à condition qu’ils ne remettent pas en cause le rite sunnite malékite officiel, la monarchie et l’intégrité territoriale. Au Maroc, celui qui dicte les règles s’appelle Mohammed VI et ce, même dans le domaine politique. Le gouvernement et le Parlement n’ont qu’un rôle secondaire. Les élections locales de juin reflètent cette emprise royale avec la victoire du Parti authenticité et modernité (PAM) créé par « l’ami du roi », Fouad Ali El Himma. Autre point d’ombre: l’indépendance de la justice. L’ association marocaine des droits de l’Homme ne cesse d’alerter l’opinion publique sur les détentions arbitraires et la torture. La corruption reste quant à elle très pratiquée. Le Royaume chérifien occupe la 80ème place du classement de Transparency international en 2008 sur 177 pays, derrière la Tunisie. Enfin, malgré une politique de scolarisation intensive, plus de 40% de la population est encore analphabète.
Au Maroc, les inégalités perdurent. Dans le rapport mondial sur le développement humain 2007-2008 du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), le pays occupe la 126ème position. L’écart entre les riches et les pauvres ne cesse d’augmenter. Et Mohammed VI est l’un des grands bénéficiaires de l’enrichissement du royaume. Sa fortune estimée à 2,5 milliards de dollars (c’est l’un des plus riches monarques selon le magazine américain Forbes, ndlr) représente 6 % du PIB du Maroc, un pays où cependant 5 millions de personnes vivent avec moins d’un euro par jour. Drôle de paradoxe pour celui qui se faisait appeler « le roi des pauvres » en raison de sa grande initiative pour le développement humain (INDH) lancée en 2005 pour lutter contre la pauvreté, qui pour le moment n’a pas eu l’effet escompté.