Mohamed Ould Abdel Aziz, l’Azawad et la sous-région


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Le 22 mars 2012, des mutins de l’armée malienne, basés à Kati dans les environs de Bamako, montent au palais de Koulouba et prennent le pouvoir pour, disent ils, « mettre fin à l’incompétence (entendez incapacité) » du Président Amadou Toumani Touré (ATT) à lutter contre la rébellion Touareg qui non seulement a pris les villes du Nord (Aguelhok, Tessalit) mais en plus aurait été coupable d’atrocités sur leurs camarades désarmés. Ces mutins entendaient montrer aux femmes, en l’occurrence les mères et les épouses de soldats tués, qu’ils n’étaient pas des Bilakoro.

Le 8 avril 2012, sous la pression de la communauté internationale conjuguée à l’avancée fulgurante de la rébellion indépendantiste Touareg du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) – allié d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) – qui occupe désormais le Nord et le centre du pays (jusqu’à Tombouctou et Gao) qu’elle considère comme le berceau naturel du peuple Touareg, les mutins rendent le pouvoir aux civils. Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée Nationale est chargé, pendant une période transitoire d’assurer la continuité de l’État Malien, d’organiser les échéances électorales et surtout de pacifier le Nord dont l’occupation s’est rapidement faite entre le 17 janvier et le 4 avril 2012. Sur le terrain le MNLA ne semble plus maître du jeu, il serait doublé par Aqmi et sa fraction ouest africaine, le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). On parle de plus en plus de la présence sur le terrain d’éléments nigérians de Boko Haram qui auraient participé à l’enlèvement des diplomates algériens.

Comment le Mali est arrivé à cette situation ?

La responsabilité du Président ATT est pleine et entière car tout laisse à penser qu’il aurait voulu terminer son deuxième mandat sans vague et laisser la patate chaude au futur président élu. Des informations croisées font état de corruption généralisée au sein de l’armée malienne et surtout au niveau de son commandement. Mieux, ATT aurait fermé les yeux sur les activités criminelles de toutes sortes dans la partie nord de son pays.

Pour le Forum pour un Autre Mali (Foram), un regroupement d’intellectuels, l’expérience démocratique malienne assistée et encensée par la communauté internationale a accouché d’une souris dans un contexte de corruption généralisée d’un régime dont la règle non écrite du jeu politique est « Enrichissez vous et taisez vous! ». Les auteurs de cette chronique d’une recolonisation du Mali datée du 4 avril 2012, n’épargnent ni les partis politiques jugés sans base électorale, ni la société civile, encore moins l’administration qualifiée de corrompue.
Le refus d’ATT de s’engager dans la lutte contre Aqmi et son soutien à Kadhafi ont fini par rendre son pouvoir moribond. Il paye cash.

Le double jeu de Mohamed Ould Abdel Aziz ?

Vu de Bamako, le soutien d’Ould Abdel Aziz à la rébellion Touareg ne laisse pas l’ombre d’un doute. Outre le fait d’héberger des éléments du MNLA, il utiliserait ses deux généraux, passés dans l’art de la répression à l’intérieur et de la déstabilisation à l’extérieur, pour conseiller, aider et manipuler cette rébellion dont des responsables auraient pignon sur rue à Nouakchott. On cite les généraux mauritaniens Hadi et Meguette. Un journal de Bamako, dans sa livraison du 7 mars rapporte des propos jugés belliqueux du ministre mauritanien des Affaires étrangères, Hamadi Ould Hamadi, qui aurait déclaré sur RFI que « les Touareg sont une communauté ethnique (…), ils n’ont jamais attaqué un pays étranger ».

Quoi qu’il en soit, depuis 2010, Mohamed Ould Abdel AZIZ a fait de la lutte contre Al Qaïda au Sahel un objectif presque obsessionnel. A plusieurs reprises, des éléments de l’armée mauritanienne ont conduit des opérations sur le territoire malien au motif de lutter contre la nébuleuse Al Qaïda et des éléments affiliés à Aqmi disséminés dans cette partie du Sahel.

La répétition de ces opérations pose plusieurs questions :

Quelle légitimité fonde cette action ?

Comment une armée étrangère (la mauritanienne) peut-elle pénétrer dans un territoire souverain (le Mali) sans l’aval des autorités de ce pays ?

ATT aurait-il sous-traité la sécurité dans le Nord de son pays ?

Faute de pouvoir apporter une réponse à ces interrogations, la deuxième nous donne une idée de l’état de déliquescence dans lequel se trouve peut-être depuis longtemps l’armée malienne.

Quel que soit le résultat de ces opérations, elles apparaissent comme un signalement, voire un coup d’envoi pour les forces rebelles qui n’attendaient qu’à en découdre avec le régime de Bamako. La situation qui prévaut actuellement au Mali est préoccupante et constitue un facteur de tension majeure dans notre pays car il n’y a aucune frontière humaine entre nos deux pays. Nous sommes donc interpellés à plusieurs niveaux :

L’expérience démocratique, qui a un enracinement vieux de plus de vingt ans dans ce pays, s’en trouve tout d’un coup battue en brèche.

Aqmi opère désormais à visage découvert sur plus de 800 km le long de notre frontière Est, commune avec le Mali.

Les effets évidents, mais aujourd’hui incalculables, de cette situation sur l’échiquier politique national, notamment au regard des Mauritaniens noirs

Alors, le régime de Ould Abdel Aziz a beau rejeter la reconnaissance de la proclamation de l’indépendance de l’Azawad, ou condamner l’enlèvement des autorités consulaires algériennes, sa responsabilité directe ou indirecte semble engagée dans cette affaire.

La France soutient elle la rébellion ?

A croire le MNLA, il bénéficierait du soutien de la France. Le Président de son bureau politique, Mahmoud Ag Aghaly, s’est en effet fendu d’un communiqué depuis Ménaka le 8 février 2012, dans lequel on peut lire : « le MNLA exprime ses vifs remerciements aux Autorités Françaises pour l’intérêt qu’elles accordent à la révolution du peuple de l’Azawad. Le bureau politique exécutif, salue l’initiative de la France, telle exprimée par son Ministre des Affaires Etrangères, son Excellence Alain Juppé face au Sénat Français ce mardi 07/02/2012, soutenant que la question de la révolution du peuple de l’Azawad, mérite d’être traitée au fond pour une issue définitive, étant donné que militairement, le Mali a échoué face aux combattants du MNLA. (…..) Le MNLA se déclare ouvert à un dialogue sincère sur le principe et de la reconnaissance du droit à l’autodétermination au peuple de l’Azawad. Le MNLA accueille ouvertement le soutien de la France pour la recherche d’une solution durable et définitive de cette crise ».

S’agit-il d’une intox ?

Au Mali, l’opinion est convaincue de ce soutien. le Foram, pourtant pas tendre avec le régime d’ATT, souligne que « la France espère obtenir de la future République laïque et démocratique de l’Azawad ce que le Président malien Amadou Toumani Touré n’a pas su ou pas voulu lui accorder : La base de Tessalit hautement stratégique au plan économique et militaire ; de la fermeté dans la lutte contre l’émigration clandestine et Al Qaeda au Maghreb ».

Dans le nord du Mali, les ravisseurs des otages européens sont maîtres du jeu depuis plusieurs années. Ces cinq dernières années, le commerce des otages aurait rapporté plus de 180 millions à ces auteurs.
A titre indicatif, la somme exigée par Aqmi pour libérer l’ensemble des otages encore détenus, entre 90 millions et 100 millions de dollars, correspondrait à la moitié du budget malien de Défense.

Les inquiétudes des Mauritaniens

Outre, les risques de contagion en termes de sécurité et de déstabilisation, Mohamed Ould Abdel Aziz apparait désormais comme l’homme fort de la sous-région et un bon ami de Paris. Ce qui pourrait entrainer un musèlement de l’opposition et expédier aux calendes grecques nos préoccupations premières. On sait qu’un pouvoir en « guerre » mobilise facilement autour de la fibre nationaliste. Les arrestations en cours à Nouakchott et à Nouadhibou soi-disant pour des raisons de sécurité, et les expulsions vers le Sénégal de plusieurs centaines de migrants ouest-africains ou supposés tels, rappellent 1989. Elles s’annoncent comme un bizutage et un cadeau empoisonné à l’endroit du tout nouveau Président élu du Sénégal, Macky Sall. Se laissera-t-il impressionner comme ses prédécesseurs Wade et Diouf ?
Notre armée, même si elle a renforcé ses capacités de frappes au sol et aérienne avec la commande de nouveaux avions, peut-elle faire face a un adversaire mobile, déterminé et fanatisé ? Elle risque un embourbement. Qui paiera la facture, forcément lourde, de cette guerre alors que la famine menace une fois de plus des milliers de nos concitoyens ? La communauté noire de Mauritanie est très inquiète, une partie de son intelligentsia est en droit de penser que l’Azawad risque d’être un prolongement de la Mauritanie « arabe » si chère aux milieux panarabistes.

Si la situation actuelle se maintenait, ce qui constitue aujourd’hui une frontière entre nos deux pays, pourrait ne plus l’être. La nouvelle géopolitique pourrait avoir des conséquences multiformes. La base de la revendication indépendantiste étant identitaire (Touareg), que deviendraient les milliers de Songhaï, Arabes, Fulbé, Bamanan et autres minorités enracinées depuis des siècles dans cette partie du territoire malien ? Plus généralement, la porosité de nos frontières est et nord et le développement d’activités de trafics de tous genres dont cette partie est jusque-là le théâtre constituent une source d’instabilité sérieuse pour les populations des Hodhs et de l’Assaba, ainsi que pour leurs activités productives d’agriculture et d’élevage.

L’enseignement ultime à tirer de cette situation pour nous Mauritaniens, est que dans un pays multiracial, il faut prendre en compte les revendications légitimes des différentes composantes au risque de les voir ressurgir plusieurs dizaines d’années plus tard. Pour le cas malien comme pour la Mauritanie, la prise en compte des intérêts de l’ensemble des populations à travers une véritable politique qui mette en valeur les ressources et les spécificités de chacune des parties semble être le meilleur rempart. Cette situation rappelle la nécessité impérieuse d’une véritable décentralisation dont l’objectif recherché est le développement des collectivités territoriales, accordant une large place à la gouvernance locale.

Par Ciré Ba et Boubacar Diagana

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