Pour un terroriste retranché, seul, non pas dans un bunker, mais dans son appartement privé, Sarkozy a dû mobiliser tout l’arsenal policier d’élite que possède la France. La scène est surréaliste. Le Ministre de l’Intérieur s’est même transformé en reporter de télévision, commentant en direct la chronologie des événements. Mohamed Mérah est abattu, par le Raid, après trente bonnes heures d’occupation des lieux. Si sa capture, vivant, aurait pu être un franc succès, sa mort ne l’est sûrement pas. Pour une grande puissance comme la France, cela a l’air d’une victoire un peu trop laborieuse, pour ne pas dire à la Pyrrhus.
D’aucuns décrivent la scène comme « un film de Jean-Paul Belmondo sans Bebel. Peur sur la ville ». Pour le décor, il ne manquait que les hélicos. Visiblement, ce n’est pas sans raison, parce que la gestion de cette affaire a quelque chose d’un cinéma surdimensionné visant à donner un coup de pouce au président-candidat à la traîne dans les sondages, à un mois d’une présidentielle incertaine pour le locataire du Palais de l’Elysée.
Mohamed Mérah était bien connu des services de police. Un jeune aux comportements de voyou issu d’une cité difficile, condamné à quinze reprises pour des affaires de droit commun. Il avait passé près de deux ans en prison. On savait aussi qu’il s’était rendu en Afghanistan, puis dans la zone tribale du nord du Pakistan. Pas plus qu’il y a deux ans, il aurait tenté d’embrigader un jeune de sa cité en lui montrant des vidéos d’Al-Qaïda, notamment des scènes de décapitation. L’affaire s’est soldée par le dépôt d’une plainte par la mère du jeune homme. La plainte n’a pas été suivie d’ effet. L’islamiste Mérah Mohamed est considéré comme dangereux par les services américains. Il est interdit d’accès aux avions et aux aéroports américains. Qu’a fait la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur) française de toutes ses informations concernant celui qui va commettre le massacre de Montauban et de Toulouse ? Il y a là une méprise, si ce n’est pas une étrange sous-estimation ou une incohérence qu’il faudra que quelqu’un quelque part explique aux Français.
Que faisait Claude Guéant, ci-devant ministre de l’Intérieur, à Toulouse, tout ce temps, devant les caméras de télévision et les microphones radios du monde entier mobilisées pour une affaire qui ne mérite pas tant de tapage? Surtout que le criminel, fiché comme tel, a été récemment convoqué par la DCRI pour s’expliquer sur ses déplacements en Afghanistan et au Pakistan. Il faut le dire, la politique intérieure de Sarkozy est plus folklorique que méthodique. Le tueur étant repéré après le drame de Toulouse, ne suffisait-il pas seulement de le surveiller dans ses moindres mouvements afin de le prendre vivant ? Au lieu de ça, c’est l’option du spectacle médiatique à des fins électoralistes qui est privilégiée. ‘L’Etat spectacle’’, comme l’écrivait Roger-Gérard Schwartzenberg à propos de la droite française en ses moments de difficultés électorales. En cet énième occasion, Claude Guéant est dans les rôles cumulés de metteur en scène et de porte-voix. Il lui est même arrivé de porter tantôt la toge de Procureur, tantôt le manteau de ministre de la Justice.
Autant qu’elle a horreur du vide, la nature déteste tout ce qui se fait à grand bruit, dans l’arrogance et dans l’intention délibérée de dénigrer. Dès sa prise de fonction, c’est Sarkozy en personne qui donne, à Dakar, le coup d’envoi de cette politique de la hiérarchisation des civilisations. Sans retenue, il proclame que les Noirs ne sont pas entrés dans l’histoire. C’est cela le style sarkozien. Ce que, avec un zèle assourdissant, Claude Guéant prend un malin plaisir à incarner sans aucune considération pour les autres. Qui sait si les fréquentes diarrhées verbales de cette droite sous Sarkozy n’ont pas radicalisé l’intégrisme religieux en France et si le jeune Mérah n’en est qu’un produit et une preuve ?
Il y avait eu en Mai 1993 Erick Schmitt, le preneur d’otage de la maternelle de Neuilly abattu dans son sommeil au lieu d’être simplement attrapé vivant. Puis, en Septembre 1995, ce fut Khaled Kelkal, un jeune terroriste d’origine algérienne dont la cavale meurtrière s’acheva tragiquement dans l’Ouest lyonnais sous les balles de l’escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie (GIGN). Aujourd’hui c’est Mohamed Mérah que ces forces d’élites françaises ont été incapables de remettre, vivant, à la Justice comme l’auraient souhaité les familles des victimes toulousaines.
Mort, Mérah la bête malfaisante, ne parlera plus. Sur ordre de qui a-t-il frappé? Appartenait-il à un groupe ou était-il seul à agir? Tous les précédents montrent qu’en pareil cas seule la capture est considérée comme un succès de l’opération. Cela aurait permis ensuite de remonter le fil afin de prévenir d’autres barbaries meurtrières. La disparition du terroriste prive les enquêteurs d’une source d’informations, offrant aux islamistes l’occasion de faire de lui un martyr. Pour l’instant, la tournure soulage Toulouse et la France. Mais les conséquences probables de cette affaire sont, sans exagération, incalculables. Surtout pour Sarkozy et ses amis. Simplement, parce que sous ce président, la République française n’est pas forte. Et, il n’y a aucun signe crédible que la donne peut changer s’il est réélu, début mai, pour un second quinquennat.
Par Kodjo Epou, Washington DC, USA