Le roi du Maroc, Mohammed VI, accompagné d’une importante délégation composée notamment de plusieurs ministres, effectue en ce moment une tournée africaine. La première étape de cette tournée était le Sénégal, le deuxième pays visité était la Guinée-Bissau, puis la Côte d’Ivoire et le Gabon. En exclusivité, Afrik.com a pu joindre depuis Paris, par téléphone, le ministre marocain de l’Economie, Mohamed Boussaid, qui nous a parlé de cette tournée à laquelle il participe ainsi que de l’économie au Maroc.
Membre du Rassemblement national des indépendants (RNI), Mohamed Boussaid est ministre de l’Economie et des Finances depuis octobre 2013. En 2004, il a été nommé ministre chargé de la Modernisation des secteurs publics et en octobre 2007, ministre du Tourisme et de l’Artisanat. En 2010, Mohamed Boussaid a été désigné Wali de la région de Souss-Massa-Draa, gouverneur de la préfecture d’Agadir Idda Outanane, puis Wali de la région du Grand Casablanca, Gouverneur de la préfecture de Casablanca, en mai 2012. Il a aussi occupé d’autres fonctions, notamment chargé de portefeuille à la direction des Grandes entreprises à la Banque Marocaine du Commerce et de l’Industrie (BMCI), chef du Cabinet du ministre des Travaux publics, chef de Cabinet du ministre de l’Agriculture, de l’Equipement et l’Environnement.
Afrik.com : A l’avant dernière étape de cette tournée africaine, pouvez-vous revenir sur son but et ses objectifs ?
Mohamed Boussaid : Cette tournée confirme la volonté du Maroc de construire un partenariat novateur à travers une coopération sud-sud basée sur le partage, l’échange d’expérience, la mise en commun de nos moyens. C’est une tournée qui permettra au Maroc d’ancrer son économie dans l’Afrique et participer activement au développement de ce continent, dans les pays subsahariens, en particulier l’Afrique de l’Ouest. Et la grande thématique de la tournée de cette année est le développement humain, car pour la plupart des accords signés ou les projets lancés concernent des petits projets qui auront un grand impact sur les populations et leurs conditions de vie, qu’il s’agisse de petits ports de pêche, d’infrastructures sanitaires ou encore l’agriculture solidaire. Et en tant que citoyen marocain et membre du gouvernement, je ne peux qu’être fier de constater que le Maroc prend sa responsabilité envers ce continent dans le cadre de sa vocation africaine pour participer activement, compte tenu de ses moyens et de sa politique, au développement et à la coordination avec les pays de l’Afrique subsaharienne. Et c’est l’esprit de partage qui anime la volonté du Maroc de renforcer sa coopération avec les pays africains.
« Le Maroc a une expérience à partager »
Afrik.com : Quels sont les enjeux économiques et les impacts de la tournée africaine que vous effectuez en ce moment avec le roi Mohammed VI ?
Mohamed Boussaid : Le Maroc noue des relations de gouvernement à gouvernement dans le cadre de la coopération sud-sud et la mise en commun de partage d’expériences. Vous savez que l’Afrique a des enjeux énormes pour l’avenir liés à la production énergétique, à la problématique de l’eau mais également des enjeux liés à la possibilité de fournir à cette jeunesse un emploi décent car l’Afrique est un continent jeune. Il y a aussi des problématiques liées au secteur public tel que la santé ou l’enseignement et le Maroc, pour certaines de ces problématiques, a une expérience à partager. Par exemple dans le cadre de l’agriculture avec le programme « Le Maroc vert » qui consiste à recourir aux énergies renouvelables et cela intéresse aujourd’hui les pays africains. Le second pilier de cette tournée est le partenariat dans le secteur privé. Aujourd’hui, le secteur privé marocain est relativement dynamique dans les pays d’Afrique de l’Ouest, depuis plusieurs années, à travers le secteur bancaire, les assurances ou encore les télécoms. Et la présence du secteur privé et le développement des partenariats privé-privé permettent à cette relation d’être mutuellement profitable.
Afrik.com : Quels sont les principaux accords signés lors de cette tournée ?
Mohamed Boussaid : Ces accords concernent la mise en place d’un groupe d’impulsion avec des responsables du secteur privé pour avancer la coopération dans ce secteur. Donc ce groupe d’impulsion privé-privé va être, demain, l’instance de concertation pour trouver les voies, les secteurs et les moyens d’améliorer et renforcer cette coopération et le développement dans le secteur privé. Au total 28 accords ont été signés avec le Sénégal dont un accord qui concerne l’acquisition de 850 camions pour améliorer la logistique du Sénégal en matière de transport et d’échange avec les pays voisins, et toute une autonomie dans le cadre de son nouveau parc logistique.
Un autre accord pour la construction d’une grande université. Ces accords ont été signés avec des banques marocaines qui financeront les projets. Un projet a attiré mon attention : c’est celui de la création d’un centre de microcrédit à travers une banque marocaine pour le financement de petits projets générateurs d’emplois. Il y aussi le lancement d’un village de pêche pour améliorer les conditions de la commercialisation du poisson et bien d’autres accords dans d’autres domaines ont aussi été signés.
Pour la Guinée-Bissau, il y a également un accord qui me concerne personnellement : c’est l’accord de la non-double imposition et l’accord de la protection des investissements pour améliorer l’installation et les conditions d’investissement pour les deux pays. Et le grand intérêt porté par ce pays au secteur agricole s’est traduit par la signature d’accords dans ce secteur, et le devoir du Maroc est d’accompagner ce pays dans le développement de son agriculture.
En Cote d’Ivoire, il y a des projets extrêmement importants parmi lesquels un village de pêche, la dépollution du lac Cocody, un centre de formation professionnelle qui constitue l’un des moyens essentiels pour améliorer l’employabilité des jeunes et leur insertion dans le monde du travail. Il y a également des projets qui concernent l’amélioration de la couverture sanitaire. Pour le Gabon les accords porteront sur la formation professionnelle et également l’agriculture.
« Ce continent représente l’avenir du monde»
Afrik.com : Comment voyez-vous l’avenir économique de l’Afrique ?
Mohamed Boussaid : Très prometteur, mais cela dépend de sa stabilité politique et économique. L’Afrique fait face à des obstacles qui existent notamment la récente épidémie d’Ebola qui a gravement touché trois pays, ou ce qui se passe aujourd’hui au niveau de certains pays dans lesquels sont actifs certains groupes terroristes comme Boko Haram au Nigeria, les shebab qui menacent la sécurité de l’Afrique. Malheureusement, le continent souffre encore de quelques problématiques nécessitant, dans certains cas, une solidarité mondiale et dans d’autres, une solidarité continentale.
Mais je pense qu’aujourd’hui, la volonté d’avancer est là et cela passe par, dans un premier temps, l’amélioration des conditions sécuritaires collectives, des infrastructures, l’augmentation de la production énergétique, celle-ci ne représente que 3 ou 4% dans tout le continent, qui est dans l’insuffisance en matière énergétique. Les secteurs minier et de l’agriculture sont également dotés d’un énorme potentiel, mais la plus grande priorité est l’amélioration de la gouvernance et des institutions pour rattraper le retard en matière de développement. Quand il y a la volonté politique, la stabilité et la sécurité, je pense que l’Afrique réussira à développer son économie.
Afrik.com : Pensez-vous que l’Afrique pourrait être la solution à la crise économique mondiale ?
Mohamed Boussaid : L’Afrique contribue déjà et peut contribuer encore plus activement dans le développement de la croissance mondiale. Je pense que ce continent voit tourner la page du passé pour regarder plus l’avenir. Il faut se faire confiance et s’entraider pour qu’on puisse ensemble faire émerger ce continent qui, aujourd’hui, représente l’avenir du monde. Sur les dix dernières années, la croissance économique de l’Afrique a été très importante, de l’ordre de 5% par an. Ce continent continue bien sûr à souffrir de contraintes et problématiques qui ont besoin d’être résolues dans le cadre de ce partenariat sud-sud. Mais il faut aussi chercher des partenariats triangulaires portant sur la technologie et sur la force d’accompagner ce continent dans sa marche vers le progrès et le développement.
Afrik.com : Dans un contexte de crise économique régionale, continentale et mondiale, comment le Maroc compte-t-il sortir de cette impasse et développer son économie ?
Mohamed Boussaid : Le Maroc, comme pays ouvert, a certes été impacté par les années de crise, depuis 2008, mais a tout de même enregistré une croissance annuelle de 4%, entre 2008 et 2014. L’économie marocaine a pu résister à la crise grâce aux stratégies lancées depuis pratiquement 15 ans et à l’économie diversifiée, qui repose sur plusieurs secteurs et contribue à la croissance économique. Aujourd’hui, le secteur automobile est le premier secteur exportateur et non plus le phosphate ou le textile. La diversification sectorielle, un point fort de l’économie marocaine, a permis au Maroc de résister relativement à la crise. Mais il y a eu aussi une volonté de renforcer les investissements notamment dans le secteur privé et renforcer donc la consommation. Le Maroc a signé des accords de libre-échange avec l’UE, les Etats-Unis et des pays du Moyen Orient et d’Afrique subsaharienne. La diversification de partenariat et de relations économiques avec le monde permet aujourd’hui de contribuer à la résistance face aux aléas de la conjoncture.
Pour 2015, nous prévoyons une croissance qui dépassera les 5%, et dans ce but, nous insistons pour rétablir l’équilibre au cadre macro-économique et la réduction du déficit budgétaire et du déficit du compte courant. Je pense que l’économie marocaine, aujourd’hui, est sur la bonne voie. C’est une économie saine, forte, robuste et ambitieuse, qui attire de plus en plus d’investisseurs étrangers. Depuis le début de l’année nous sommes sur une augmentation des investissements étrangers de l’ordre de 12%. Il faut dire que l’économie marocaine a aussi sa fragilité et aujourd’hui elle doit répondre de manière, plus rapide et plus importante, à la problématique du marché de l’emploi notamment celui des jeunes.
Afrik.com : Comment ressentez-vous dans ce cas la crise au Maroc ?
Mohamed Boussaid : Elle est là, mais moins douloureuse. En Europe, en 2015, on prévoit une croissance, qui reste certes insuffisante, mais il y a quand même une amélioration progressive. Et si je parle de l’Europe c’est parce qu’il est notre principal partenaire, mais il y a également les Etats-Unis qui sont sortis de la crise. La crise est derrière nous mais la croissance d’aujourd’hui n’est pas suffisante pour régler les problématiques issues de cette crise qui sont liées à la fragilité du marché de l’emploi et à la réduction du taux de chômage, mais je pense qu’aujourd’hui, le Maroc et est sur une bonne voie pour une reprise, certes molle mais encourageante.
« Le Maroc est conscient de la nécessité de revoir son modèle social »
Afrik.com : Comment le Maroc compte-t-il reprendre cette bonne voie pour laisser la crise loin derrière ?
Mohamed Boussaid : Aujourd’hui, le Maroc est dans une continuité par rapport aux aléas de la crise. Le Maroc a fait un effort important pour redresser son économie. Il y a eu quelques impacts sur son cadre macro-économique et du déficit budgétaire, et nous y travaillons pour remettre le cadre macro-économique sur le bon chemin pour un bon équilibre. Dans cette continuité, les stratégies sectorielles que le Maroc a lancé, il y a quelques années, commencent aujourd’hui à donner des résultats probants tels que « Le Maroc vert », la stratégie d’émergence et d’accélération industrielle dans notre pays, la stratégie logistique, celle du tourisme d’ici 2020, la stratégie également en matière d’énergies renouvelables. Il faut continuer sur cette lancée, et améliorer la cohérence entre l’ensemble des stratégies sectorielles car elles nous ont permis d’accroitre la croissance, d’améliorer la résistance du Maroc face à la crise et ouvrent aujourd’hui des perspectives intéressantes pour le pays et ce, dans la continuité.
Afrik.com : On assiste au Maroc à un fossé socio-économique qui s’est creusé entre les pauvres et les riches. Aujourd’hui il y a de plus en plus de pauvres et de plus en plus de riches, comptez-vous combler ce fossé ?
Mohamed Boussaid : Certes, il y a une disparité sociale au Maroc et ceci renvoie à la question de la distribution des richesses. Le Maroc est conscient de la nécessité de revoir son modèle social pour produire plus de richesses, mais aussi les distribuer de manière équitable. Une étude est en cours d’élaboration, menée par le Campus supérieur économique et social de l’Environnement, sur le capital immatériel de notre pays afin de savoir comment investir dans ce capital, trouver les moyens de distribuer les richesses et ainsi réduire la disparité qui existe au niveau des couches sociales et des régions.
Le Maroc est conscient de l’importance de cette problématique et fait en sorte que l’ensemble de la population puisse profiter des richesses produites. Je porte également beaucoup d’espoir sur la réforme sociale que le Maroc a lancé, notamment avec avec la régionalisation et un découpage adéquat. Avec les élections locales qui démarreront bientôt, chaque région aura ses propres attributions, un conseil régional élu par suffrage, des moyens financiers conséquents pour qu’au niveau de la région, on trouve des solutions à certaines problématiques auxquelles sont confrontées les populations. Aujourd’hui, réfléchir à partir de la capitale n’est plus efficace. Nous allons donc rétablir l’équilibre entre les régions, ce qui est aujourd’hui nécessaire pour garder la cohésion globale de la société qui repose sur la solidarité régionale. Mais le principal point sur lequel le Maroc travaille est l’emploi qui permet de réduire ses disparités sociales.
Afrik.com : Aujourd’hui, le chômage au Maroc touche en plus grande partie les jeunes qui représentent l’avenir du pays, concrètement comment voyez-vous l’avenir économique dans les 10 ou 20 prochaines années et quelles sont les perspectives pour ces jeunes ?
Mohamed Boussaid : Pour les 10 ou 20 prochaines années, des études de la Banque Mondiale et la BAD prévoient une croissance entre 4 et 5% pour le Maroc, mais je pense qu’on pourra faire plus vu la position géographie du Maroc et la politique d’ouverture dans divers secteurs ce qui permet une croissance économique plus importante. Les stratégies sectoriels entrent dans leur plein régime, à travers notamment « le Maroc vert » et l’ensemble des métiers liés à l’environnement et l’écologie. La priorité aujourd’hui concerne l’emploi et notamment l’emploi des jeunes.
Le Maroc vit une transition démographique mais dans les 10, 20 prochaines années la pression démographique va diminuer au vu de cette transition. Beaucoup de jeunes demanderont leur droit d’insertion au marché de l’emploi et il est de notre devoir de répondre à leur demande. Cette problématique est prise en main par le gouvernement à travers l’amélioration de la croissance et l’employabilité des jeunes. Notre système éducatif n’est pas parfait et ne permet pas de répondre au marché de l’emploi. Le Maroc investit massivement dans la formation professionnelle et continuera à le faire. On compte aussi sur la nouvelle stratégie d’accélération industrielle qui permettra à la croissance de notre industrie de passer de 14% à 23% et créer 500 000 emplois d’ici 2020.
Il faut la réindustrialisation du pays, car pendant la période de crise, l’industrie a chuté, tout en profitant de notre potentiel, de l’ouverture que le pays a, à travers les accords de libre-échange, pour que le Maroc devienne véritablement une plateforme de production et d’industrialisation. Et l’exportation est une voie essentielle pour résoudre la problématique de l’emploi dans notre pays.