Le coup d’envoi de la campagne présidentielle a été lancé, jeudi, en Algérie. Les élections prévues le 9 avril prochain risquent d’être sans surprise. Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, qui a modifié la Constitution en novembre dernier pour briguer un troisième mandat, est quasiment certain de remporter la mise. Interviewé par Afrik.com, Mohamed Benchicou, le journaliste et écrivain algérien, décrypte ces présidentielles à venir qu’il considère comme « une farce cynique ».
Cinq candidats essaieront de s’opposer, le 9 avril prochain, au président Abdelaziz Bouteflika, qui a été réélu en 2004 avec 85% des voix, mais avec un taux d’abstention record de 65%. Les Algériens boudent les urnes depuis quelques années pour exprimer, selon Mohamed Benchicou, leur mécontentement face au pouvoir.
Afrik.com : Le président algérien Abdelaziz Bouteflika est donné gagnant aux prochaines élections. Les présidentielles semblent être courues d’avance. Dans ces conditions, un taux d’abstention record est-il à craindre ?
Mohamed Benchicou : Il n’y a pas d’élections. Il n’y a qu’un régime désavoué, vieilli et corrompu qui se reconduit par une farce cynique. Les élections font partie de la supercherie démocratique : créer l’illusion du pluralisme. Le régime algérien a bien saisi que, dans un monde où la démocratie et les élections étaient devenues la seule source de légitimité reconnue, il faut organiser des « élections » mais qui n’assureront aucune alternance ! Alors il fait semblant de « solliciter » du « peuple » le renouvellement périodique de son mandat perpétuel. Le peuple a compris que les élections n’étaient qu’une illusion de pluralisme politique, de démocratie. Dans ce pays, il n’a pas eu d’alternance politique depuis 1964. Les Algériens savent que ces élections ne sont là que pour légitimer le pouvoir en place. Elles visent à conforter la position Abdelaziz Bouteflika. C’est pour ces raisons que la population ne vote pas depuis plus de cinq ans. A quoi bon se déplacer pour voter alors que le président est sûr d’être reconduit pour un troisième mandat ?
Afrik.com : Les Algériens se sont-ils résignés ?
Mohamed Benchicou : Vous savez, il y a vraiment un divorce qui s’est opéré entre le régime et la société. Cette rupture est très inquiétante. Elle est liée à Bouteflika qui ne cesse d’accentuer la corruption, la mal gouvernance et étouffe les forces démocratiques. Le régime est obsédé par le taux d’abstention, car il sait que la population est en train de lui tourner le dos. Le fait de s’abstenir est une manière de s’opposer, donc de s’exprimer.
Afrik.com : Les candidats de l’opposition peuvent-ils déstabiliser le régime actuel ?
Mohamed Benchicou : L’opposition est désavouée. Les opposants n’accompagnent jamais un mouvement social. Ils ne sortent pas de leurs bunkers. Ils font partie du décor d’une démocratie travestie, une « démocratie sans représentation» avec ses partis sans militants et ses initiés bien rémunérés qui se font passer pour les opposants les plus bruyants au régime. Pendant cinq ans, Louisa Hanoune était absente et maintenant elle revient pour les présidentielles. La candidate trotskiste du Parti des travailleurs est nécessaire à la crédibilité de ce régime autoritaire, car c’est la seule qu’on connaisse (c’est la deuxième fois qu’elle se présente aux élection présidentielles, ndlr) ! Tous les autres candidats sont inconnus. Ceux qui s’étaient représentés en 2004 se sont réfugiés dans le silence. Ou sont-ils d’ailleurs passés ? Je me le demande. L’opposition n’a jamais accompagné la société algérienne, elle profite juste des luttes populaires pour négocier avec le régime. Par exemple, le RCD (le Parti du Rassemblement démocratique populaire) a négocié avec le régime en 1999 alors qu’il avait boycotté les présidentielles. L’opposition ne déstabilise pas le pouvoir, elle participe à le légitimer.
Afrik.com : Selon vous, l’opposition n’existe pas ?
Mohamed Benchicou : On ne peut pas avoir de vrai candidat issu de l’opposition. Quand on ne peut pas s’adresser à la population, que les manifestations sont interdites, comment peut-on s’exprimer ? C’est impossible. De plus, les élections sont truquées, les cénacles inventent des chiffres, c’est malheureux, mais c’est comme ça. Je suis allé voir à Alger ma famille, mes amis, personne n’a parlé de ces élections. Là-bas, c’est un non-événement.
Afrik.com : La présence des observateurs internationaux lors des prochaines élections ne vont pas réduire les risques des fraudes électorales dont vous parlez ?
Mohamed Benchicou : Qui peut contrôler une farce ? La présence des observateurs internationaux est une scène nécessaire à la parodie électorale. D’ailleurs, j’ai appris que certains n’allaient pas venir pour les prochaines élections. Ça ne m’étonne pas, les observateurs ne font que contrôler quelques bureaux de vote et valider l’honorabilité du pouvoir en place. Pour que cela soit valable, il faudrait qu’ils se rendent dans les milliers de bureaux de vote qui existent en Algérie et interrogent les 20 millions de votants.
Afrik.com : Si Abdelaziz Bouteflika est réélu le 9 avril prochain, la situation en Algérie changera-t-elle ?
Mohamed Benchicou : Le régime sait qu’il est de plus en plus désavoué par la population. La modification de la Constitution en novembre dernier qui lui permettait de briguer un troisième mandat a marqué les Algériens. Abdelaziz Bouteflika est dans rapport d’affrontement avec la société, il va par conséquent accentuer la répression. Il a d’ailleurs déjà commencé avec le directeur du quotidien algérien El Watan qui vient de recevoir 14 convocations de la part de la police. C’est un message lancé à la presse afin d’interdire les propos contradictoires. Une correspondante du quotidien français Le Monde s’est vu récemment refusé une accréditation pour couvrir la campagne électorale. Tout cela s’inscrit dans le nouveau profil totalitaire que s’apprête à prendre le pouvoir algérien durant ce troisième mandat de Bouteflika.
Afrik.com : Pensez-vous que les Algériens réagiront face à cette répression que vous jugez inévitable ?
Mohamed Benchicou : Les Algériens ne vont pas accepter cela. Ils vont s’exprimer au sein des partis, mais ils vont emprunter d’autres canaux. Maintenant, je ne peux pas vous dire comment cela va se passer, je ne suis pas médium. Il y a néanmoins un élément nouveau qui mérite d’être souligné : la chute du prix du pétrole. Avec cela, le pouvoir ne va plus être en mesure de financer un modus vivendi. Il faut s’attendre à ce que le peuple algérien réagisse.