C’est la première fois que Mohamed Abbou se rend en France. Et pour cause, l’avocat tunisien, libéré de prison en 2007vient de recevoir l’autorisation de voyager. Il a été reçu, jeudi, dans les bureaux d’Amnesty International à Paris. L’occasion pour lui de faire le point sur les difficultés de l’engagement pour les droits de l’Homme en Tunisie. Interview.
Mohamed Abbou est un défenseur acharné des droits de l’Homme. Cet avocat tunisien a été condamné en 2005 à trois ans de prison pour avoir dénoncé la torture dans son pays. Malgré sa libération, survenue en juillet 2007, à la faveur d’une grâce du président Zine el-Abidine Ben Ali, l’activiste ne pouvait pas, jusqu’à aujourd’hui, sortir de Tunisie. Après sept refus consécutifs, il a finalement pu voyager et s’exprimer pour la première fois en France. Après une courte visite à Rama Yade, la secrétaire française aux droits de l’Homme, Mohamed Abbou a été reçu, jeudi, dans les bureaux d’Amnesty International, à Paris. L’occasion pour le fondateur de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), membre du Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT), et membre dirigeant du parti politique le Congrès pour la République, de parler de la situation des droits de l’Homme dans son pays et d’évoquer les dérives du régime Ben Ali. Interview.
Afrik.com : Vous avez reçu l’autorisation de voyager pour la première fois depuis votre sortie de prison. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Mohamed Abbou : Cette levée d’interdiction n’est pas importante. Des pressions ont sans doute été exercées par la délégation européenne et peut-être-même par l’ambassade de France contre le gouvernement tunisien. Le régime a agi de la sorte pour se faire bien voir et contenter la France mais d’autres personnes sont encore, dans mon pays, interdites de circuler. Certains intellectuels n’ont pas le droit d’avoir un passeport et sont condamnés pour des soi-disant affaires de droit commun.
Afrik.com : Vous avez rencontré mercredi matin Rama Yade, la secrétaire française aux droits de l’Homme. Que vous a-t-elle dit ?
Mohamed Abbou : Elle ne m’a rien dit, elle m’a écouté. Je suis en France pour sensibiliser la société civile et la population, car c’est important de savoir ce qui se passe en Tunisie. Pour cela, il a fallu directement voir les gens pour qu’ils exercent des pressions sur le régime de Ben Ali. En 1995, la Tunisie et la France ont passé un accord pour le respect des droits de l’Homme mais il n’a pas été tenu. Je veux que cette situation change. J’ai peur que les Tunisiens aient recours à la violence et se radicalisent. Je ne souhaite pas un changement de régime, je veux juste que les droits de l’Homme soient respectés.
Afrik.com : Quelle est la situation des défenseurs des droits humain en Tunisie ?
Mohamed Abbou : La ligue tunisienne des droits de l’Homme n’arrive pas à se réunir. Beaucoup de défenseurs des droits humains ne peuvent pas circuler. Des associations qui sont en règles se font arrêter _ pour association illégale. Depuis quelques mois, Facebook est censuré en Tunisie, la police politique veille sur internet. Les personnes sont surveillées et espionnées par les agents de l’Etat. Le 11 avril 2008, des manifestations ont eu lieu dans le bassin minier à Gafsa pour protester contre le fort taux de chômage. Le gouvernement tunisien a alors trouvé plus efficace que l’intimidation politique pour éviter la critique : il a affamé sa population. Il fait de la répression économique.
Afrik.com : Que pensez-vous des élections présidentielles de 2009 ? Vont-elles changer la donne ?
Mohamed Abbou : Les Présidentielles sont une « mascarade ». On ne peut pas parler de vraies élections. La Constitution tunisienne de 1959 a subi plusieurs amendements. Celui du 12 juillet 1988 qui limitait le nombre de mandats présidentielles à trois (l’ancien président Bourguiba avait été proclamé président à vie), puis celui du 1er juin 2002 qui permettait à Ben Ali de briguer un troisième mandat et d’allonger l’âge limite de dépôt de candidature à la présidence à 75 ans. Certains demandent l’intervention de 15 000 observateurs internationaux lors du scrutin de 2009. Personnellement, je ne voterai pas ,parce-que c’est jouer le jeu du régime et parce-qu’aucun pays n’est à même d’envoyer les observateurs dont la Tunisie a besoin. Et puis, l’opposition ne veut pas se réunir car il y a un problème de leadership, et les gens ne peuvent pas descendre dans la rue pour manifester. Tout cela permet à Ben Ali d’exercer son pouvoir comme il l’entend.
Afrik.com : Exercez-vous toujours le métier d’avocat ?
Mohamed Abbou : Il y a deux mois, j’ai arrêté d’exercer mon métier. Depuis ma sortie de prison en juillet 2007, les gens n’osent pas me prendre comme avocat car je suis perçu comme l’ennemi du régime. Et puis, la présence policière devant mon cabinet, jusqu’à il y a deux mois, a augmenté mes difficultés.
Afrik.com : N’avez-vous jamais pensé à quitter votre pays ?
Mohamed Abbou : Je préfère la prison plutôt que vivre ailleurs. Maintenant je comprends que certains partent…