Mobilisation de l’opinion publique guinéenne contre les prisonniers politiques


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Manifestations en Guinée
Des manifestations en Guinée

En Guinée, où près de 400 prisonniers politiques croupissent derrière les barreaux, le gouvernement d’Alpha Condé nie leur existence et l’opinion publique tente de mobiliser Guinéens et « citoyens du monde » sur les réseaux sociaux. En France, de plus en plus nombreuses sont les voix politiques à s’emparer du sujet.

Le 17 avril 2021 marquait la journée internationale des prisonniers politiques. L’occasion pour plusieurs citoyens et leaders d’opposition de dénoncer le traitement réservé à cette catégorie de détenus dans les pays subsahariens, pas toujours respectueux des droits humains. La Guinée n’échappe malheureusement pas à la règle et c’est une voix parmi d’autres qui s’est exprimée en cette journée destinée à attirer l’attention sur un problème trop souvent passé sous silence. Celle de Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition, adressant un message de soutien à ses « collaborateurs et aux nombreux militants (…) arbitrairement détenus dans les prisons guinéennes », à la suite du mouvement de protestation lancé en 2020 contre le troisième mandat d’Alpha Condé.

En Guinée, plus de 400 personnes croupissent en prison depuis six mois pour s’être opposées aux manœuvres électorales du Chef de l’État. « On les accuse de fabrication et de détention d’armes de guerre. On les accuse aussi d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État sans aucune preuve. On les arrête et on les séquestre » déplore Cellou Dalein Diallo. « Le pouvoir se met de plus à nier l’existence de ces crimes ». Le directeur de communication de l’UFDG, Joachin Baba Millimono, dénonce lui « l’absurdité » et le « déni de justice » à l’œuvre. « Le débat malheureusement ne porte pas sur la définition du détenu politique, mais sur le fait même de nier l’existence des hommes politiques en prison ». De son côté, le président Alpha Condé estime en effet qu’il n’y a aucun prisonnier politique dans son pays.

Guinée : l’opinion tente de mobiliser la communauté internationale

Même si les symboles comptent, il faudra plus que des journées internationales pour changer le sort de ces victimes de l’arbitraire. Les gouvernements, par le contrôle plus ou moins serré qu’ils exercent sur les médias, font tout ce qu’ils peuvent pour passer le problème sous silence. Face à cette volonté d’invisibilisation, des voix se font entendre : celles de simples citoyens usant de moyens numériques qui échappent à la surveillance des États. Ainsi, la plateforme Change sert actuellement de support à des pétitions réclamant la libération des prisonniers politiques en Guinée. Lancée le 25 avril 2021 par l’écrivain Tierno Monénembo, l’une de ces pétitions compte déjà plus de 3 000 signataires, mobilisant les proches et les familles des détenus. L’écrivain appelant « toutes les consciences, tous les démocrates épris de justice et de liberté en Afrique et ailleurs dans le monde, à signer cette pétition pour demander la libération immédiate et sans condition de tous les prisonniers politiques en Guinée ».

D’autres pétitions, à connotation plus internationale et plus juridique, cherchent à mobiliser les Guinéens et les « citoyens du monde libre » afin de dénoncer l’interdiction par Alpha Condé des « avocats internationaux des prisonniers politiques de se rendre en Guinée violant ainsi le principe fondamental du droit à la défense tout en se plaçant en contradiction totale avec le droit interne guinéen et les normes internationales ». Lundi 3 mai, le Collectif pour la transition en Guinée (CTG) dénonçait des conditions de détention inhumaines pour les prisonniers dont plusieurs seraient morts faute de soins. Pour Ibrahim Sorel Keita, porte-parole du CTG et vice-président de l’association SOS racisme, « ces prisonniers sont des gens qui se sont opposés aux velléités de troisième mandat et de présidence à vie d’Alpha Condé, président guinéen. Et compte tenu de cette opposition, ils se sont fait arrêter, voire kidnapper pour certains d’entre eux. Et aujourd’hui -six mois après- il n’y a toujours pas de jugement. Les familles n’ont pas de nouvelles de ces personnes. »

Autant d’appels à l’aide qui commencent à trouver de l’écho auprès de l’opinion internationale, comme en témoignent les déclarations récentes de Jean-Yves Leconte, sénateur socialiste représentant les Français établis hors de France : « Il ne faut pas désespérer qu’Alpha Condé change et en vienne à des meilleures dispositions pour réformer vraiment sa gouvernance et rendre le système plus vertueux avec de véritables contre- pouvoirs. Mais si cette voie n’est pas suivie et que le régime d’Alpha Condé continue d’osciller entre répression et prédation alors oui, il faut des sanctions ». Même son de cloche du côté de 32 eurodéputés, qui ont récemment interpellé le chef de la diplomatie de l’UE dans une lettre ouverte : « Comment l’UE compte-t-elle mettre en action son nouvel instrument de sanction pour sanctionner ces personnalités responsables de violations graves des droits humains en Guinée ? ».

Le Covid-19, révélateur d’une situation humanitaire catastrophique

Il y a un an, Amnesty International tirait la sonnette d’alarme devant l’absence de mesures sanitaires destinées à protéger du virus les milliers de détenus des prisons africaines. L’occasion de rappeler qu’une bonne partie des personnes enfermées dans ces endroits surpeuplés, propices à la contagion, l’étaient pour des raisons d’opinion. « Dans de nombreux pays de la région, expliquait l’organisation internationale, une forte proportion de la population carcérale se trouve derrière les barreaux uniquement pour avoir exercé de manière pacifique ses droits humains. » Et Amnesty de plaider pour la libération anticipée, provisoire ou conditionnelle des détenus âgés ou souffrant de pathologies préexistantes, ainsi que des femmes et jeunes filles enceintes ou incarcérées avec leurs enfants. Une recommandation parfois suivie d’effets. Au Somaliland, le président Muse Bihi Abdi a gracié 574 prisonniers afin de désengorger les prisons. Les dirigeants éthiopiens, de leur côté, ont libéré plus de 10 000 détenus afin d’éviter la constitution de clusters.

 Mais tous les pays n’ont pas fait preuve de la même mansuétude, notamment à l’égard de certaines figures d’opposition. RFI évoquait récemment le cas de Jean-Marie Michel Mokoko. Candidat à la Présidentielle de 2016 au Congo-Brazzaville, Mokoko fait l’objet d’un acharnement de la part des pouvoirs publics. Condamné à une peine de vingt ans de prison pour avoir évoqué dans une vidéo les moyens de chasser du pouvoir le président Sassou-Nguesso, cet ancien général de 75 ans, atteint l’an passé du coronavirus dans sa prison de Brazzaville, symbolise le combat de milliers d’opposants « coupables » d’avoir exprimé une opinion jugée dangereuse par le pouvoir en place. Au Sud-Soudan, des centaines, sinon des milliers, d’opposants présumés, de journalistes et de membres de la société civile, sont également détenus sans mise en examen depuis 2013. L’Érythrée n’est pas non plus épargnée par ce fléau : des milliers de personnes y sont enfermées depuis des années sans perspective de libération, simplement pour avoir exprimé une critique à l’encontre de l’État.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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