Les journalistes africains ne trouvent aucune circonstance atténuante à Nicolas Sarkozy. Au pire, ils jugent à la limite de la xénophobie son idée de créer un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale s’il est élu président de la République. Au mieux, ils trouvent la proposition opportuniste et chargée de visées électoralistes.
Afrik a demandé à six journalistes africains ce qu’ils pensent de l’idée de Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP aux élections présidentielles françaises du 22 avril prochain, de créer un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale s’il est élu président de la République [[1) Que pensez-vous de l’idée de Nicolas Sarkozy de créer un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ? 2) Cette proposition vise-t-elle une catégorie particulière de pays et de cultures ? 3) Pensez-vous que la France a besoin d’un tel ministère pour protéger sa culture ?]]. Le moins que l’on puisse dire est que l’ancien ministre français de l’Intérieur ne trouve pas grâce à leurs yeux. Pour beaucoup, sa dernière déclaration sur la question de l’immigration ne vient que confirmer une image déjà façonnée lors de ses visites sur le continent et à l’occasion de ses précédentes sorties médiatiques.
Fayçal Metaoui, rédacteur en chef d’El Watan, Algérie
« Une nouvelle façon de diviser la France en deux »
Je trouve que l’idée est complètement stupide. Ca veut dire quoi ? Que l’on va passer les gens liés à l’immigration au scanner ? Déterminer leur religion ? La couleur de leur peau ? Cela va dans l’esprit de cet homme de droite – plus à l’extrême qu’à droite – et qui voudrait encore jouer de la carte « immigration » pour perturber les Français. C’est dans la même veine que « La France, aimez-la ou quittez-la ». C’est une nouvelle façon de diviser la France en deux : ceux qui relèveraient du ministère de l’Intérieur et ceux qui relèveraient de ce ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Une manière de créer un traumatisme. Il n’est pas possible de prétendre lutter contre le communautarisme et diviser les gens de cette façon.
Sarkozy a une image dégoûtante en Algérie. Il inspire le mépris et la crainte. On sait depuis longtemps que ses principales cibles sont les Arabes et les musulmans. Cette idée de nettoyer les quartiers au kärcher n’avait pas favorisé son image. Les Algériens se souviennent également de ses déclarations lors de la crise au Liban, selon lesquelles Israël a le droit et le devoir de se défendre. Il en est de même concernant sa position vis-à-vis de la Turquie, qui n’a pas le droit de faire partie de l’Europe car elle est musulmane. Même s’il ne le dit pas comme cela.
Concernant la culture de la France, les gens de droite adorent cette idée de déclin. Pourtant, ou on accepte les autres, ou on se renferme et on se clôture.
Sekouba Samake, rédacteur en chef d’Info Matin, Mali
« Une trouvaille contre les Africains »
Le Mali est un pays d’émigration et j’ai suivi cette information comme beaucoup de mes compatriotes à Bamako. Ce que nous observons, c’est un peu d’hostilité de la part de l’ancien ministre de l’Intérieur. Voyez vous, un démocrate qui s’acharne sur des questions d’identité nationale plutôt que sur la défense des principes de la République, ça fait… frémir.
Les gens vivent avec le sentiment que c’est encore une trouvaille contre les Africains. C’est ce qu’on perçoit ici de façon majoritaire. Même les régions qui sont peu concernées par l’émigration, au Mali, ont réagi cette fois pour dénoncer cette trouvaille de Sarkozy. Ce qu’il a dit de façon prosaïque lors de sa dernière visite dans le pays : « la France n’a pas besoin de l’Afrique », est resté dans l’esprit des gens. Sur tout ce qu’il fait aujourd’hui, on le ramène à cette déclaration.
Je me sens profondément francophone et favorable aux opérations menées dans le cadre de la francophonie. Mais je pense que tout ce qui se fait pour l’interaction entre les cultures n’est pas forcément mauvais.
Abdoulatif Coulibaly, éditorialiste, Sud Quotidien, Sénégal
« C’est tout à fait normal de la part d’un opportuniste comme lui »
C’est tout à fait normal de la part d’un opportuniste comme lui. Tout ce qu’il peut faire pour s’attirer des voix, il le fera. Je mets ça sur le compte de l’opportunisme. Lui-même ne croit pas à cette idée de ministère… Et même s’il le créé, çe n’est pas cela qui va mettre fin à l’immigration. Au Sénégal, quelques intellectuels comme moi ont écouté ce qui s’est dit en France sur cette question, mais les Sénégalais se foutent royalement qu’il créé un ministère de ce qu’il veut. De toute façon, les gens qui veulent aller immigrer en France le feront encore. Ce n’est pas un ministère qui va faire reculer les gosses qui s’encastrent sur les vagues dans de frêles pirogues ou qui se cachent dans des trains d’atterrissage d’avions.
Le Pen fait croire aux Français depuis des années que l’immigration est un danger pour l’identité nationale. Je pense que Sarkozy peut même aller plus loin que cela. Cela ne m’étonnerait pas qu’il aille dire plus de bêtises encore. Il a une conception de l’immigration, des Africains et de ce que vous appelez là-bas l’intégration… Chirac avait déjà parlé du « bruit et de l’odeur »… Rien ne m’étonne de la part de la droite française.
Les hommes politiques vont dans le sens de ce que veulent les gens et un certain nombre d’électeurs vote pour le Front National. Mais la France a aussi besoin d’une politique d’immigration intelligente, pas à la limite de la xénophobie.
El Mahjoub Rouane, chef du service politique du Matin du Sahara, Maroc
« Ce sont deux concepts qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre »
Je crois que ce ministère fait un peu doublon avec l’agence de l’immigration que prône Dominique de Villepin. Le problème est qu’on ne connaît pas les compétences ni la constitution de ce ministère… C’est difficile de se prononcer. Le concept d’identité nationale est ambigu. Cela repose sur quoi ? Pourquoi la lier à l’immigration ? Ce sont deux concepts qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre.
On revient à la première proposition de Nicolas Sarkozy sur l’immigration choisie, qu’il est en train de détailler. On se souvient que beaucoup de gens des banlieues avaient montré leur hostilité vis-à-vis de cette idée de séparer bons et mauvais migrants.
Ongouya Gislin Simplice, directeur de publication de L’Observateur, Congo Brazzaville
« C’est quoi cette identité nationale ? »
Nous partons du même point de vu que M. Villepin pour dire que l’intituler du ministère pose problème. On pourrait dire que c’est le style Sarkozy. Ca sent la provocation. On pourrait dire que c’est de bonne guerre car c’est la campagne électorale… Le message concerne le problème d’intégration des personnes qui émigrent vers la France : « aimez-la ou quittez-la », avait déjà dit M. Sarkozy. Il s’est adressé aux enfants qui naissent dans les banlieues, aux islamistes… Il ne sait pas faire les choses autrement. Mais les relations France-Afrique seront compliquées s’il arrive au pouvoir, car il flirt avec les thèmes de l’extrême droite. Il a déjà dit que la France n’avait pas besoin des tocards de l’Afrique et qu’il choisirait ses immigrés.
Dans le débat sémantique, je ne crois pas que les deux termes « immigration « et « identité nationale » soient antinomiques. Tout le monde doit tendre vers une identité nationale… Mais est-elle définie ? Etre Français, est-ce avoir des papiers français ? Manger avec du vin à table ? C’est quoi cette identité nationale, dès lors que l’on considère le passé de la France, fait de rencontres avec d’autre peuples, qui font aujourd’hui partie de la France, d’une manière ou d’une autre. La France a une partie de l’histoire du monde à assumer. Quel est le sens de l’identité nationale lorsque l’on considère les Dom-Tom, qui n’ont pas d’identité géographique… ou Brazzaville, qui a été un temps la capitale de la France libre… Ces exemples montrent l’absurdité de la création de ce ministère. La France n’a pas besoin de cela. Je ne pense pas qu’il arrivera à cela au final.
Valéry Foungbe, secrétaire général de la rédaction de L’Intelligent d’Abidjan, Côte d’Ivoire
« Vu d’Afrique, c’est une création qui fait peur… »
M. Sarkozy, en tant que fils d’immigré, veut montrer aux Français d’origine ancienne qu’il aime plus la France qu’eux. Vu d’Afrique, c’est une création qui fait peur à certaines personnes qui souhaiteraient émigrer vers la France. Ils retiennent de Sarkozy l’image d’un ministre qui a beaucoup expulsé, notamment des Maliens. Nous avons encore dans la tête l’image des expulsés maliens et ivoiriens de Cachan. Les médias français ont tendance à faire passer la crise ivoirienne comme une crise d’identité, et quand M. Sarkozy parle de Ministère de l’identité nationale, on se demande si ce n’est pas lui qui a peur de l’autre. Son discours rejoint celui de M. Le Pen.
Quand les gens discutent et se demandent “qu’est ce qu’il veut ?…”, ils se demandent si çe n’est pas encore une manière de jouer sur les peurs. Avec des visées électoralistes. La France n’a pas besoin d’un ministère de l’Identité nationale pour protéger sa culture. En a-t-elle eu besoin pour que les Thuram, Noah et Zidane brillent sous le maillot de la France ? Mais on ne peut être plus royaliste que le roi et nous savons que ce sont les Français qui choisiront le candidat qui leur plaira.