« Mille Soleils » est la fable d’une fiction devenue réalité. Un film dans un film. Mati Diop est allée à la rencontre des acteurs du film « Touki Bouki », cette célèbre production sénégalaise réalisée par son oncle, Djibril Diop Mambéty, en 1973.
Que sont devenus Mory, le berger, et Anta, l’étudiante, de Touki Bouki ? A l’époque, ils chevauchaient une moto montée avec le crâne d’une vache et rêvaient de quitter Dakar pour la France. Le jour du départ, Anta traverse la passerelle, monte sur le bateau, mais Mory reste sur le quai et retourne à ses racines. Dans la réalité, Magaye Niang (Mory) n’a pas quitté Dakar, et son amour de jeunesse a bel et bien quitté l’Afrique comme le révèle Mille Soleils, un documentaire fiction signé Mati Diop.
« Le désir d’un film s’est précisément déclenché quand j’ai découvert l’incroyable destin des acteurs de Touki Bouki qui avaient poursuivi l’exacte trajectoire de leurs personnages fictifs », témoigne Mati Diop.
Mille Soleils offre à Magaye Niang son propre rôle. Il est l’incarnation du cowboy crépusculaire. Mais dans la rue, personne ne le reconnaît. Encore moins les enfants qui ne voient aucune ressemblance entre l’acteur aux cheveux gris et en haillons et l’élégant jeune homme du film culte Touki Bouki. « Réveillez-vous, ce n’est pas vous ! », clament les enfants face à l’écran de projection. C’est que le jeune homme a aujourd’hui soixante ans. Les galopins finiront par ouvrir les yeux lorsque Magaye est appelé sur la scène de la projection, en plein Dakar, pour exprimer quelques mots qui ne sortent pas, troublé d’être à nouveau l’acteur qu’il n’est pas devenu.
Mati Diop est une fille des arts plastiques, et elle le prouve par son travail de couleurs dans Mille Soleils. Du rouge sang des abattoirs au jaune rayonnant de la lumière dakaroise, en passant par le bleu numérique de l’écran de projection jusqu’au blanc de l’Alaska, ce film impose une magie multicolore. L’association des couleurs est aussi déconcertante que la symbiose entre documentaire et fiction. Tout au long du récit, la confusion est de mise. « L’entremêlement du réel et de la fiction est précisément le sujet du film », justifie Mati Diop.
Ce documentaire fiction esquisse par ailleurs le visage d’une jeunesse sénégalaise en rupture avec la génération précédente. On assiste à un débat, non sans une pointe d’humour, entre Magaye Niang et un chauffeur de taxi, dont le rôle a été confié à Djily Bagdad, l’un des membres du mouvement de contestation « Y’en a marre ». On découvre alors ce regard croisé entre nostalgie et satisfaction d’avoir mis fin au règne d’Abdoulaye Wade.
En quelques mots, Mille Soleils interroge le passé de Touki Bouki, tout en poursuivant ce qui a été interrompu…