Michel Rocard affirme que le pipe-line Tchad Cameroun est le meilleur projet pétrolier de ces 30 dernières années. Le Premier ministre de la France entre 88 et 91 considère que l’absence de démocratie ne doit pas interdire l’aide au développement.
L’ex-Premier ministre français a pris la plume pour défendre dans les colonnes du Monde, la nécessité de mener à bien le projet Doba-Kribi. Michel Rocard est l’ancien président de la commission développement du Parlement européen. Il préside également la société de conseil et d’expertise, Afrique-Initiatives qui compte comme partenaires – entre autres – le Groupe Bolloré, Vivendi et Total-Fina. Interviewé par l’équipe d’Afrik.com, il a expliqué les motifs de son appui au projet défendu par la banque mondiale.
Afrik : Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer personnellement dans le projet pétrolier Doba-Kribi, au point de le défendre publiquement ?
Michel Rocard : Parce que le projet était menacé. Et la thèse selon laquelle les Tchadiens doivent mourir de faim aussi longtemps qu’ils n’auront pas un régime démocratique, me paraît scandaleuse. Un projet n’est jamais parfait. Il y a cinq ans, je n’y étais pas favorable. Mais il a été surabondamment modifié depuis.
Les opposants au pipe-line agissent comme si le projet d’aujourd’hui était le même qu’il a cinq ans. Finalement on en arrive à des positions qui reviennent à dire : la démocratie est un luxe des seuls pays riches et interdisons-nous de commercer même avec des pays dont on n’est pas sûr que les fonds y seront bien utilisés.
Afrik : Quels sont les modifications apportées qui vous poussent aujourd’hui à soutenir ce projet ?
MR : Le tracé du pipe-line a été modifié de sorte que le nombre de familles qu’il va falloir déplacer est devenu inférieur à une centaine. Dans une première phase, on craignait le déplacement d’une dizaine de milliers de personnes. Je crois qu’on est tombé à 37.
Second point : en intégrant dans le calcul les investissements effectués par les compagnies pétrolières, le partage des revenus d’exploitation est de l’ordre de 50/50 entre les compagnies et les Etats, comme c’est de tradition. La Banque mondiale a fait en sorte que la part du Tchad et du Cameroun ira au delà de 50% des revenus à venir.
Troisième point : 80% de ces fonds récoltés par le Tchad seront destinés à financer les programmes de développement local, dans les domaines de l’éducation et de la santé, par exemple, sous contrôle international, sans transiter par les caisses de l’Etat. C’est une sérieuse garantie.
Afrik : Vous parlez de cet organe de surveillance qui a été crée à la suite de la loi sur le pétrole voté par le parlement tchadien ?
MR : Oui. Le conseil d’administration de la Banque mondiale, avec d’autres, fera partie de l’organe qui débloquera les fonds. 10% des revenus sont gelés pour une longue période, équivalente à 15 ans.
Afrik : Mais pensez-vous que ces revenus iront, effectivement, à des projets sociaux, sanitaires ou éducatifs, au vu de la corruption et de la mal gouvernance, caractéristiques du régime d’Idriss Déby ?
MR : J’espère bien. Toutes les signatures sont acquises. Les lois tchadiennes ont été votées dans ce but. La Banque mondiale a conditionné son appui à la création du comité de surveillance. Alors, il faudra surveiller, bien entendu.
De plus, je récuse le mot : » croire « . Le diagnostic sur l’Etat tchadien, tout le monde le partage. 80% des ressources seront gérées par un comité international qui les débloquera pour des programmes sociaux. De deux choses l’une : ou bien ce sera respecté ou bien ce ne le sera pas. Alors là, se posera un problème nouveau – terrible.
Il faut qu’il y ait la pression nécessaire pour que ce comité joue son rôle.
Afrik : Selon la Banque mondiale, la Fidh et es ONG, le régime a toute latitude de désigner des représentants de la société civile qui lui conviennent dans ce comité. Comment ne fonctionnerait-il pas ?
MR : Le régime tchadien est là, même si on ne le trouve pas sympathique, ni démocratique. Il est incontournable pour ce type de projet. N’en déplaise aux donneurs de leçons. Parmi la totalité des contrats pétroliers signés ces 30 dernières années, celui-ci est le moins pire. Autrement dit : le mieux négocié.
L’Afrique va très mal. Les écarts de revenus entre les nations riches et les pays pauvres ne cessent d’augmenter. Les investissements privés et publics sont constamment à la baisse. Les arguments qui consistent à ne rien faire, sont, selon moi, vains et en partie criminels. Or, l’Histoire prouve que c’est le progrès économique qui est facteur de démocratie et non l’inverse. Je n’ai pas d’autres arguments.
Afrik : Dans l’article que vous avez fait paraître au quotidien Le Monde, vous dites que ce projet est une » chance » pour les pays concernés. Or, selon les informations dont nous disposons il risque de provoquer une guerre civile dans la région de Doba.
MR : Je n’ai pas connaissance d’une information aussi forte. Des opposants à un projet public qui les gêne il y en a toujours. Comme en France il y a des opposants au tracé du TGV du Sud-Est, il y a au Tchad des adversaires du pipe-line.
Afrik : Il n’y pas d’études d’impact sur le » maillage » de tuyaux annexes à l’oléoduc.
MR : Je ne suis pas spécialiste, mais je ne crois pas à la réalité de cet argument. Ce que je sais c’est que c’est sur les questions d’environnement que le projet a été le plus amélioré : l’enterrement du pipe-line, la modification du tracé de manière à ce qu’il touche moins des zones sensibles et des concentrations de population…
Afrik : Avez-vous le sentiment que les populations locales ont été correctement associées à ce projet ?
MR : Quel mot bizarre, » le sentiment « . Je n’ai pas de sentiment, moi. J’essaie de m’informer. J’ai lu les rapports. Et j’ai l’impression que le niveau de prise de conscience d’associer les populations et pas seulement le gouvernement, a été plus important que dans tout autre projet pétrolier.
Afrik : Et quant aux accusations de grand banditisme à l’encontre du régime ?
MR : C’est bien à cause de votre question que le contrat contient des dispositions qui sont autant d’appuis pour une pression internationale permettant que les choses se déroulent mieux qu’ailleurs.
Afrik : Mais à peine l’accord de la Banque mondiale est-il annoncé qu’Idriss Deby évoque la souveraineté nationale pour avoir les coudées franches !
MR : Rien d’étonnant. On entre dans un rapport de force à long terme. C’est fini le temps où on envoyait les parachutistes rétablir la démocratie. J’espère que l’accord, précisément par les structures qu’il met en place, accompagnera le long processus de démocratisation.
Afrik : A moins qu’il ne consolide le régime…
MR : C’est tout l’enjeu. Vous êtes d’une partialité, réjouissante du point de vue des droits de l’Homme, mais par ailleurs, complètement destructrice.
Qu’allons nous faire en Sierra Leone où les vainqueurs ne sont pas beaucoup mieux que les vaincus ? Le Nigeria qui renoue avec la démocratie sous les ordres d’un général mérite-t-il qu’on se soucie de lui ? Ce type de questionnement peut contribuer à ce que des hommes responsables se désintéressent complètement de l’Afrique.