Merzac Bagtache est un grand écrivain algérien, traducteur, journaliste de renom, ayant débuté sa carrière journalistique en 1962. Il écrit dans plusieurs journaux en arabe et en français. Dans cette seconde partie d’un entretien qu’il a accordé exclusivement à Afrik.com, il revient sur la politique en Algérie, un pays qui dit-il, se cherche encore.
Merzac Bagtache écrit dans plusieurs journaux en arabe et en français, entre autres, El Watan, Al Chaab, El Moudjahid. Il a aussi travaillé à l’APS (Agence Presse Services). Membre du Haut conseil de la communication, membre du Haut conseil de la langue arabe, membre du Conseil supérieur de l’Education, membre du Conseil supérieur de l’Information, aussi membre au Conseil consultatif national fondé par le feu Président algérien Mohamed Boudiaf en 1992. Il s’est retiré suite à la tentative d’assassinat visant sa personne en 1993. En 1993, il a reçu une balle dans la tête et en est sorti miraculeusement. Le 7 juin 1994, il perd un collègue, un frère et un ami, Cherkit Ferhat qui était rédacteur en chef au quotidien El Moudjahid à l’époque. Il revient pour Afrik.com sur les années noires de l’Algérie.
Afrik.com : Vous êtes un grand défenseur de la langue arabe, vous adorez l’utilisation des métaphores, vous aimez jouer avec les mots. Quel est votre rapport avec le mot ?
Merzac Bagtache : Je dois dire que j’aime toutes les langues que je parle : le berbère, ma langue maternelle, l’arabe classique, le français et l’anglais. J’aime l’arabe en premier lieu, car elle est à la base de tout ce qui me rattache à la grande civilisation islamique, à la religion, à la littérature classique. Cela m’autorise à dire que le mot en tant que tel constitue le fond même, l’état d’âme de l’espace géographique au seuil duquel j’ai toujours évolué. Il me suffit d’un mot, de sa résonance, pour composer un poème en prose, une nouvelle et même un roman. Le mot c’est en même temps l’image, l’espace, la fuite dans le temps, passé et avenir. A la base, je suis quelqu’un qui a toujours donné la primauté au mot, d’où mon affection pour tout ce qui est calligraphié. En d’autres termes, je suis un enfant d’une civilisation spécifique, celle qui a fleuré durant plus de mille ans et qui a fait de la langue son premier et dernier support dans le domaine de l’expression artistique et littéraire.
Afrik.com : Vous avez reçu en décembre 2013 un prix de distinction en qualité de « Défenseur de la langue arabe », un prix que vous a discerné l’association El Kalima, quel est votre sentiment par rapport à cette distinction ?
Merzac Bagtache : Eh bien, j’ai été très heureux en recevant cette distinction, tout simplement, parce qu’elle s’inscrit, pour ainsi dire, dans ma trajectoire d’écrivain et de journaliste. La langue arabe fait effectivement partie de moi, de mon être. Je ne peux m’en séparer un seul instant. Certes oui, j’aurais pu faire usage du français, de l’anglais, comme cela est arrivé dans mon travail de journaliste, mais, sincèrement, je préfère la langue arabe, car, je veux rester moi-même. J’ouvre la parenthèse pour vous dire que je n’ai rien contre les autres langues qui sont en usage dans mon pays.
Afrik.com : Et que répondez-vous à ceux qui disent que les Algériens ne connaissent pas la langue arabe ?
Merzac Bagtache : S’agissant toujours de la langue arabe, du degré de son apprentissage parmi mes concitoyens, je vous dirai que tout reste à faire, dans tous les domaines. Il s’agit avant tout de créer, donc, de réfléchir dans cette langue. Une langue évolue en la mettant en confrontation avec le monde de la réalité, et je crois que c’est ce qui manque chez nous ainsi que dans tout le monde arabe.
Afrik.com : Toujours par rapport à cette distinction que vous avez reçu, ne pensez-vous pas que l’Etat, notamment le ministère de la Culture, est resté complètement indifférent à votre statut noble ?
Merzac Bagtache : L’essentiel pour moi c’est le fait de lire et d’écrire. Que l’Etat regarde de mon côté et du côté des intellectuels d’une manière générale importe peu à mes yeux. Il faut peut-être dire que l’Etat en tant que tel devrait se pencher sur la conception plutôt que sur l’animation tel qu’il l’a toujours fait depuis l’indépendance de l’Algérie. L’animation en matière de culture est donnée à tout le monde, alors que la conception se fait rare dans notre système politique. Pour concevoir, il faut être un André Malraux, or, celui-ci n’existe pas chez nous. Tenez, à titre d’exemple, existe-il un prix national pour récompenser les hommes de lettres chez nous ? Un tel prix donnerait un véritable élan au monde de l’édition, de l’écriture proprement dite, de la critique littéraire, de la promotion du livre. Bref, il permettrait, comme il est d’usage dans les pays occidentaux et autres, d’asseoir une tradition dans ce sens, surtout, à partir du mois de septembre : les rotatives tournent, les libraires sont bien achalandées en livres, les pages culturelles des journaux foisonnent de publicité et d’articles promotionnels, les plateaux de télévision deviennent des espèces de ruches, le monde du cinéma se met en mouvement etc. Tout cela c’est de la conception avant tout, et c’est ce qui n’existe pas chez nous encore. En d’autres termes, et en ce qui me concerne personnellement, ce qui est fondamental, essentiel, c’est de continuer à lire et à écrire. C’est là ma mission dans cette existence.
Afrik.com : Dans un article, vous avez déclaré que : « « L’écriture est une responsabilité morale » en premier lieu, je traite avec la langue et je me considère comme « responsable » de toute lettre écrite ». Comment considérez-vous vos écrits et dans quel répertoire vous les classez ?
Merzac Bagtache : Ce que j’écris, je le crois, sinon à quoi bon tenter l’impossible ? En littérature, et contrairement à mon travail de journaliste où j’étais obligé de me soumettre à une ligne éditoriale, je me suis toujours senti libre. Je suis ma propre armée, mon propre quartier général, je mène la guerre à ma façon à moi. S’agissant de l’écho reçu par mes écrits, eh bien, je vous laisse le soin de juger vous-mêmes. D’ailleurs, on me demande souvent : « Pourquoi, Merzac, tu n’accordes pas grande importance à la promotion de tes écrits ? ». Et je réponds par ceci : « Ce qui importe à mes yeux, c’est le voyage, non, l’arrivée ! ».
Afrik.com : Dans une des occasions vous avez déclaré ceci : « Il n’existe aucun écrivain qui n’a pas flirté avec la politique », comment vous qualifiez ou plutôt comment vous décrivez la situation actuelle que vit l’Algérie ?
Merzac Bagtache : Le propre de l’écrivain c’est de vivre au sein d’une société donnée, n’est-ce pas ? Vivre dans une société veut dire faire de la politique, directement ou indirectement, dès lors que le mot politique au départ, signifiait : aller vers la ville. Celle-ci est un type spécifique d’organisation sociale, et l’écrivain qui y vit ne peut échapper au fait de s’associer à ce travail d’organisation. Il y prend fait et cause à travers son travail d’écriture, c’est ce qui est de la politique, mais de la politique non politicienne.
S’agissant de la politique telle qu’elle se fait toujours dans mon pays, je crois que nous sommes encore au stade de la recherche, comme du reste, dans tout le monde arabe et africain. Il faut reconnaître tout de même que l’Algérie a vraiment réalisé des miracles dans ce domaine depuis les années 90. Le mérite revient au peuple parce que trop de sang a été versé. Il reste beaucoup de choses à faire pour atteindre un rythme de croisière dans la gestion de notre politique d’une manière générale.
Afrik.com : Dans votre roman Dam El Ghazelle (Un sang de gazelle), vous évoquez la violence politique, la mort de l’ancien Président assassiné Mohamed Boudiaf et l’épisode de la tentative d’assassinat sur votre personne. Vous dites dans un passage : « Moi Merzac Bagtache, je ne suis pas un politicien, je déteste la politique et les politiciens, je ne vois rien en eux de bien, même si certains sont de bonne foi », apparemment vous rejetez la politique algérienne…
Merzac Bagtache : Je rejette la politique politicienne, les politicards et consorts. L’Algérie se cherche encore. Le jour où il y aura un véritable échiquier politique, eh bien, j’y adhérerai corps et âme. En 1992, quand j’ai décidé de faire partie du Conseil consultatif national, je m’étais considéré comme un djoundi de novembre 1954, parce que le pays était sur le point de sombrer à tout jamais. Je ne m’étais pas considéré alors comme un politicien. Il fallait défendre mon pays, et je crois que je répondrai présent à tout appel qui mettrait mon pays au devant de l’histoire.
Afrik.com : Toujours dans le même roman, vous dites : « La balle m’a donné plus de foi, elle n’a pas atteint mon esprit, elle m’a évité la chute dans le non-esprit, elle m’a rendu une belle terre andalouse, la balle a resserré mes liens entre la lecture et l’écriture, elle m’a poussé à contempler la vie, à la renouveler, à prendre ma plume jour et nuit (…) j’ai décidé donc décrire (…). Est-ce que cet aveu pour vous est une façon d’évacuer votre colère par rapport à cet attentat ?
Merzac Bagtache : Il ne s’agit pas du tout d’une colère de quelque nature qu’elle soit, mais bien, un aveu fait pour pouvoir continuer mon chemin d’être vivant rompu à son travail d’écrivain. J’ai eu de la mort un avant goût, Dieu le tout puissant m’a redonné la vie, je dois donc le remercier en continuant sur ma lancée d’écrivain. Je ne veux point philosopher cette question. La vie est là, je continue à la prendre telle qu’elle est.
Afrik.com : Est-ce que M. Bagtache prépare actuellement un nouveau roman, si oui, pouvez-vous nous donner le titre provisoire ou plutôt nous donner une idée sur votre projet ?
Merzac Bagtache : Je n’aime pas tant parler de mes projets d’écriture. Mais pour cette fois-ci, je me contenterai de vous dire que mon prochain, que je fignole en arabe et en français, porte le titre de Nahawend, qui est le nom d’un mode musical oriental. L’action se déroule entre l’Andalousie, El-Djezaïr et la méditerranée du début du XVIIe siècle. C’est tout ce que je peux dire sur ce roman.