Souvent rejetées par leur époux, les mères séropositives au Gabon se battent seules pour élever leur enfant et suivre leur traitement, tout en gérant les difficultés financières et le sentiment de culpabilité qu’elles éprouvent parfois vis-à-vis de leur enfant.
Il y a à peine deux ans, Marie (un nom d’emprunt) n’aurait jamais imaginé qu’elle partagerait bientôt sa vie avec un petit garçon, aujourd’hui blotti contre sa poitrine dans un porte-bébé. « Je voulais un enfant, mais j’avais trop de problèmes », avoue cette jeune femme de 29 ans, séropositive depuis sept ans. « Alors je me posais plein de questions : si je fais un enfant, est-ce que [c’est] normal ? Est-ce que les gens vont bien le prendre ?»
Et puis c’est arrivé, « un jour, comme ça, après une rupture de préservatif », a-t-elle raconté. « Mon médecin m’a dit : ‘vous êtes enceinte de deux mois’, je n’y ai pas cru… Il a fallu faire deux tests de grossesse et attendre le cinquième mois pour que j’en sois persuadée ».
Son bébé a aujourd’hui trois mois, il est né séronégatif et est en bonne santé, à la grande joie de Marie. « C’est mon trésor à moi », a-t-elle dit, en embrassant le nourrisson sur la tête. « Le fait de me sentir mère donne plus d’importance à ma vie, ça me donne plus de force pour lutter contre le VIH parce que je me dis que je dois faire grandir cet enfant, même si parfois c’est difficile ».
Ces difficultés, le docteur Isabelle Bongo en entend parler tous les jours. Psychologue au Centre de traitement ambulatoire du Centre hospitalier de Libreville, la capitale gabonaise, elle reçoit régulièrement en consultation des mères séropositives qui lui confient leur désarroi.
« Ce n’est pas évident d’être une mère séropositive au Gabon car il y a toutes sortes de stigmates autour de la maladie », a-t-elle souligné. « C’est tabou parce que ça touche au sexe. C’est assimilé à l’adultère, classé comme une maladie du déshonneur ».
Or ce sont souvent les femmes qui se font dépister en premier. Non seulement parce qu’elles sont plus responsables en ce qui concerne leur santé, selon la psychologue, mais aussi parce que dans le cadre du programme de prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant (PTME), mis en place en 2002, un dépistage du VIH/SIDA est proposé aux femmes enceintes lors de leur première consultation prénatale.
Accusées de tous les maux
Quand les femmes annoncent à leur conjoint qu’elles sont séropositives et enceintes, de nombreux problèmes émergent dans le couple. « Les femmes sont accusées de tous les maux, a dit le docteur Bongo « Elles deviennent coupables aux yeux des hommes et le couple se disloque peu à peu ».
Pour résoudre ces problèmes dans un pays où le taux de prévalence des femmes enceintes oscille entre huit et 10 pour cent, de petites unités de prise en charge psychosociale ont été mises en place dans certains centres de Suivi maternel infantile (SMI), où trois à quatre agents techniques d’action sociale (ATAS) font office de médiateurs entre les femmes et leurs entourages.
Malgré les efforts de ces agents, les complications surgissent rapidement. « Parfois c’est le mari qui ne veut rien entendre et qui quitte immédiatement sa femme, mais il y a aussi les femmes qui donnent des faux numéros car elles ne souhaitent pas qu’on les retrouve », a expliqué Josette Mengue Ndong, ATAS au SMI La Peyrie de Libreville. « Elles veulent à tout prix cacher leur séropositivité à leur famille car elles savent qu’elles seront rejetées ».
D’après Mme Mengue Ndong, beaucoup de ces mères finissent pourtant tôt ou tard par se retrouver seules. « Dans la mesure où elles sont dépendantes économiquement de leur mari, chaque dépense d’argent pour l’enfant devient l’objet de toutes les suspicions », a-t-elle dit. « Elles ne peuvent pas cacher la réalité bien longtemps et disparaissent dans la nature ».
Le conjoint de Marie est parti quand elle a décidé de garder le bébé. « Il savait que j’étais séropositive, mais quand je lui ai annoncé que j’étais enceinte, il a dit qu’il voulait de moi mais pas de l’enfant à cause du risque qu’il soit malade. Il voyait ça comme un fardeau », a-t-elle raconté.
Aujourd’hui, Marie doit donc s’occuper seule de la santé de son fils tout en gérant sa propre maladie. « Au début c’est un peu perturbant car on doit être strict avec son traitement, s’occuper de ses plaies et de ses douleurs. Les pleurs du bébé parfois ça vous donne des maux de tête, vous ne dormez pas bien et ça vous fragilise », a-t-elle reconnu. « Et puis en même temps il y a la santé du bébé, il faut pouvoir subvenir aux besoins de ses soins jusqu’au 18ème mois. Ça c’est compliqué ».
Faire face aux difficultés financières
Le programme PTME est gratuit au Gabon, mais les frais qui y sont associés sont souvent élevés, dans ce petit pays riche en pétrole mais où 78 pour cent de la population vivent avec moins de deux dollars par jour.
Outre l’examen qui permet de déterminer le statut sérologique de l’enfant, qui coûte 10 000 francs CFA (20 dollars), la mère doit se procurer chaque mois les boîtes de substitut de lait maternel nécessaires à l’alimentation de son enfant, des boîtes vendues 2 300 francs CFA (près de cinq dollars) pièce.
Marie, qui se dit privilégiée, a pourtant du mal à joindre les deux bouts avec ses 100 000 francs CFA par mois. Elle « joue la présentatrice vedette » dans un media local depuis cinq ans, mais n’y a jamais décroché d’emploi permanent, uniquement, selon elle, parce qu’elle est séropositive et que « les gens pensent que je vais mourir demain ».
Au-delà des difficultés matérielles, le poids de la stigmatisation liée au VIH cloître souvent les mères dans une solitude affective oppressante. « Beaucoup de mères vivent avec un sentiment de honte, ne serait-ce qu’à cause de la manière dont elles nourrissent leur enfant », a expliqué le docteur Bongo.
Pour réduire le risque de transmission du virus à l’enfant, il est recommandé aux femmes séropositives qui le peuvent d’éviter de nourrir leur enfant au sein, ou en tout cas pas au-delà de six mois, un renoncement qui donne souvent aux mères « l’impression qu’on les ampute de quelque chose », dans un contexte social où l’allaitement confère à la femme sa dignité de mère, a constaté la psychologue.
« Les mères séropositives se sentent aussi coupables à l’égard de leur enfant », poursuit-elle. « Et cette culpabilité est énorme. Elles vivent avec l’idée qu’elles peuvent transmettre la maladie à l’enfant, certaines ont l’impression de donner la mort à leur bébé ».
Toutes ces sensations, Marie les connaît bien, mais elle continue de se battre. Depuis la naissance de son fils elle suit son traitement à la lettre, envers et contre tout, malgré toutes les fois où elle a mal au ventre ou se sent affaiblie, car le jeu en vaut la chandelle.
« Je veux vivre pour le voir grandir, pour lui en parler », a-t-elle dit. « Et peut être qu’un jour quand je serai vieille, c’est lui qui me dira, ‘tiens maman, voilà tes médicaments’ ».
Photo: Giséle Wulfsohn/IRIN