Les débuts de l’audiovisuel privé sont toujours sujets à des retours en arrière : c’est le cas au Kenya où le Président Moi a récemment demandé à son gouvernement d’interdire les radios émettant dans d’autres langues que l’anglais ou le kiswahili.
L’accusation officielle portée contre les radios concernées, qui se sont développées depuis la libéralisation des ondes, en 1995, est de saper l’unité nationale en favorisant le tribalisme. Pourtant on ne peut pas dire que leur succès reflète, jusque là, un quelconque engagement, ni une volonté de donner à une communauté donnée un média politiquement fédérateur.
Alors pourquoi cette demande adressée au ministre de l’information, Musalia Madavadi, et au Procureur général, Amos Wako, de déposer un projet de loi pour proscrire ces radios ? Il semble que les raisons soient plus complexes, et se fondent d’abord sur le succès remporté par la jeune radio en langue kikuyu Kameme FM, créée par l’entreprenante et habile Rose Kimotho, ancienne journaliste, dont la carrière a commencé à l’East African standart, avant de se poursuivre dans la publicité, dans la diffusion audiovisuelle (sa société, National Reach, financée par des annonceurs, distribuait des téléviseurs dans les régions les moins bien dotées du Kenya) et enfin dans la radio… Commerciale.
Car Kameme FM n’est pas seulement une radio qui émet en kikuyu : c’est surtout une radio commercialement redoutable : sa grille essentiellement musicale séduit la classe moyenne kenyane, et c’est aujourd’hui la radio la plus écoutée à Nairobi. Affaire fructueuse, où la bonne connaissance que Rose Kimotho possède du marché publicitaire lui a permis d’amortir très vite les 4 millions de francs qu’elle y avait investis.
Diversité du paysage
Le succès de cette chaîne musicale sur Nairobi et sa région, dans un rayon de 50 kilomètres (qui lui permet de toucher un bassin de population de près d’environ 8 millions d’auditeurs potentiels) a probablement fait des jaloux dans l’entourage du président Moi, où se recrutent souvent les dirigeants d’autres stations… De là à imaginer que la recommandation présidentielle reflèterait avant tout leurs intérêts bien compris, il n’y a qu’un pas, que certains commentateurs n’hésitaient pas à franchir en septembre dernier.
Le projet de loi réclamé n’a apparemment pas encore vu le jour : il faut souhaiter qu’il soit purement et simplement enterré… Car une telle exclusion constituerait à l’évidence un recul par rapport à la loi de libéralisation des ondes qui avait été adoptée en 1995, et elle ferait plusieurs victimes qui concourent à la diversité du paysage radiophonique kenyan, comme par exemple East FM, qui émet en anglais, mais aussi en hindi, depuis Nairobi, à destination de la communauté d’origine indienne, ou encore Rahema Radion, qui émet dans l’Ouest du pays depuis Eldoret, en kalenjin, en luo, en kisii et en kikuyu…
La diversité du paysage radiophonique est un des acquis des dernières années, et nombreux seraient les kenyans qui ressentiraient négativement un retour en arrière qu’aucune menace sociale ou démocratique ne paraît jusque là justifier.