L’Ensemble de Constantine a réchauffé de ses rythmes la magnifique salle de conférence de l’Unesco à l’occasion d’un concert de musique arabo-andalouse jeudi à Paris. El Hadj Mohamed Tahar Fergani en était la vedette.
Toute la salle de conférence de l’Unesco a résonné des rythmes enivrants de la musique arabo-andalouse, à l’occasion du premier spectacle de l’Année de l’Algérie en France donné dans l’honorable maison. L’Ensemble de Constantine était là pour accompagner les trois ténors algériens Hamdi Benani, Abdelmoumen Bentobal et surtout l’illustre El Hadj Mohamed Tahar Fergani, maître du malouf constantinois (style musical). Malgré son état de fatigue, le vieil artiste a su régaler le millier de mélomanes venu l’écouter.
Régal musical
Seuls quelques uns des 19 musiciens – 8 violons, 5 luths, 2 mandolines,1 flûte et 3 instruments de percussion – de l’Ensemble de Constantine ont pu prendre place sur le grand tapis que la production avait déroulé pour habiller une salle d’ordinaire peu chaleureuse. Leurs interprétations ont réussi à transporter les spectateurs présents dans la ville numide cinq fois millénaire. La musique arabo-andalouse se caractérise par l’alternance de rythmes, tantôt lents et solennels, tantôt rapides et gais, et de mouvements, ici joués en solo à la flûte, là chantés à l’unisson, qui constituent un véritable délice même pour l’oreille la moins avertie.
Le malouf, qui signifie « fidèle à la tradition » en arabe, qu’il soit de Constantine ou de Tunisie, veille à faire respecter le patrimoine d’une musique transmise de génération en génération sans partitions écrites. Un leg qui comporte bien des risques. Ainsi, des vingt-quatre noubat (séquences rythmiques) originelles, seules douze ont pu être conservées par l’Algérie. Une tradition toute acoustique qu’Hamdi Benani est venu quelque peu bousculer avec son violon électrique. La voix alto du jeune artiste s’est néanmoins chargée, en dirigeant l’orchestre, d’envoûter un public conquis. Tout comme celle de l’énergique Abdelmoumen Bentobal, quelques tons plus bas, dans un style plus classique.
Légende vivante
« El Hadj Mohamed Tahar El Fergani n’a eu de cesse de réclamer à son médecin l’autorisation de venir chanter pour vous ce soir », annonce au micro le speaker de la soirée. La fatigue se lit effectivement sur le visage du maître qui entre scène sur une standing ovation, aidé de deux assistants. Mais la joie l’emporte lorsque, le violon bloqué entre les cuisses, les musiciens entament la nouba. « Ô gens comprenez ma peine », « Le ciel pleure », « Pourquoi me fuit-elle » et « L’aumône est mon maître » sont les quatre morceaux – les premières phrases de chaque morceaux – qu’El Hadj Fergani a interprété ce jeudi. Avec sa voix nasale si caractéristique, le Maître a enchanté le millier de spectateurs présents. Assis, il s’est même essayé à un pas de danse et ses assistants ont éprouvé les plus grandes difficultés à lui faire quitter la scène tant son bonheur semblait immense de communier avec le public.
Né en 1929 à Constantine dans une famille de mélomanes, El Hadj Mohamed Tahar Fergani a pris la succession de son père, virtuose dans les années 1940. Depuis, il veille à garder intacte l’âme du malouf, style prompt à célébrer l’élan vers Dieu, mais aussi l’amour et le bon vin. Tirant les conséquences de la disparition d’une grande partie de ce patrimoine musical, le Maître a pris soin d’enregistrer la plupart des chefs d’oeuvre arabo-andalous. La Tunisie lui a ainsi remis la médaille du mérite pour sa « contribution à la sauvegarde du malouf ». D’autres ont prêté à l’artiste des visées plus commerciales que conservatrices. Quoi qu’il en soit, ses interprétations servent aujourd’hui de modèles à nombre de chanteurs constantinois et son fils Cheikh Salim est prêt à reprendre le flambeau.