Même mort, Thomas Sankara « avait le poing fermé et levé »


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Thomas Sankara
Thomas Sankara

Thomas Sankara a vécu en révolutionnaire et est mort en révolutionnaire. Voilà l’un des éléments importants qu’on peut retenir de l’audition des témoins dans le cadre du procès de l’assassinat du père de la révolution burkinabè.

Neuf témoins sont passés à la barre, jeudi 16 décembre, dans le cadre du procès de l’assassinat du Président Thomas Sankara et de ses douze camarades.

La thèse du complot confirmée une fois de plus par des témoins

Le premier est le colonel à la retraite, Louis Johanny Yaméogo, à l’époque commandant de la quatrième région militaire basée à Bobo Dioulasso. Selon sa déposition – qui a commencé mercredi -, c’est à Koudougou, où il venait d’être affecté et où il s’était rendu dans la journée du 15 octobre 1987, qu’il apprit de Boukari Kaboré dit Le Lion que le capitaine Thomas Sankara était mort. Boukari Kaboré lui aurait demandé de se joindre à lui pour qu’ils marchent sur Ouagadougou, et il l’aurait dissuadé en ces termes : « Est-ce que c’est en attaquant Ouagadougou que tu vas réveiller Thomas Sankara ? »

Pour le colonel à la retraite, il ne fait pas de doute que la responsabilité du chef de corps du CNEC, Blaise Compaoré, et de son adjoint, Gilbert Diendéré, était pleinement engagée dans les événements du 15 octobre 1987 : « Le chef est responsable de ses éléments. Ce qui s’est passé le 15 octobre 1987, si les chefs prétendent ne pas être responsables, ils devraient au moins ouvrir une enquête, faire venir les services de santé pour prendre en charge les blessés et donner des certificats en bonne et due forme aux ayants droit de la famille des disparus. Rien qu’à constater l’organisation avant et après le 15 octobre, qui pouvait faire cela en dehors d’eux ? », s’interroge Louis Johanny Yaméogo.

Également invité à la barre, Fidèle Kientega, administrateur civil à la retraite et chef du cabinet des affaires politiques du Président Thomas Sankara au moment des faits, confirme la théorie du complot bien préparé. Il a déclaré à la barre qu’à une semaine du coup d’État, un parent à lui, qui s’est révélé être un proche de Gilbert Diendéré, lui a conseillé de ne plus se rendre au travail car, quelque chose allait se passer à la Présidence. Thomas Sankara, lui, n’avait pas peur de ce qui pouvait lui arriver. En témoignent ces propos de son chef de cabinet : « La seule fois où je me suis ouvert à Sankara (sur les rumeurs et les menaces, ndlr), il m’a demandé si j’avais peur (…) Il m’a demandé que qu’est-ce qu’on croyait quand on disait le poing fermé, la patrie ou la mort, nous vaincrons ? »

D’anciens détenus fossoyeurs parlent de la nuit du jeudi 15 octobre 1987

Parmi les témoins auditionnés, il y avait également Ilboudo Kouma. Détenu à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) à l’époque, il faisait partie de la vingtaine de prisonniers réquisitionnés pour creuser les tombes et enterrer Thomas Sankara et ses compagnons, dans la nuit du 15 octobre 1987. « Nous avons été pris autour de 21 heures pour creuser les tombes. C’est autour de 5 heures du matin qu’on a fini. Parmi les cadavres, j’ai reconnu le Président Thomas Sankara. Il était en survêtement rouge. J’ajoute également qu’il avait le poing fermé et levé. On a dû attacher son bras avec une ceinture pour pouvoir l’enterrer. Moi j’ai enlevé son alliance et un autre a enlevé ses chaussures. J’ai vendu la bague à un certain Diawara », à 50 000 F CFA, rapporte le témoin. Selon sa déposition, ayant appris que la bague a été vendue, le régisseur de la MACO l’aurait reprise à l’acheteur et aurait infligé une sanction aux détenus qui l’ont vendue.

Un autre détenu de la MACO ayant pris part à l’enterrement des corps a aussi donné sa version des faits. Il s’agit de Yamba Malick Sawadogo. À l’en croire, le régisseur de la prison l’a instruit pour désigner 20 détenus pour une corvée. Yamba Malick Sawadogo s’inclut lui-même dans le groupe de 20 personnes et ils ont été conduits au cimetière de Dagnoën où il leur a été demandé de creuser une dizaine de tombes, ce qu’ils firent. Une fois le travail achevé, l’un des deux véhicules qui les avaient convoyés au cimetière repartit pour ramener les corps. C’est en procédant à la mise en terre qu’ils remarquèrent qu’il y avait 13 corps, dont celui du Président Sankara – les corps étaient reconnaissables, avait précisé le témoin – . À la vue du corps de Thomas Sankara, « tout le monde était glacé », souligne le témoin. Ils ont alors creusé trois nouvelles tombes parmi lesquelles celle du père de la révolution.

Arrivés au cimetière aux environs de 20 heures, c’est vers 3 heures du matin qu’ils ont fini le travail, à en croire le témoin. Ce dernier a également confirmé la prise de certains effets personnels du Président assassiné : « Les effets, notamment la bague et les chaussures du Président, ont été effectivement enlevés par un prisonnier devant tout le monde et devant Karim Tapsoba (le régisseur de la MACO) ». Au total, ils étaient 23 personnes à avoir exécuté la mission : les 20 prisonniers, les deux militaires ayant conduit les véhicules et le régisseur de la prison.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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