Les Noirs enfin épargnés ! Dans son premier roman intitulé Mélanine, paru aux éditions Fayard, Daniel Carton réussit à faire de cette couleur de peau un avantage alors que la planète est sous l’emprise d’un fléau qui sème la mort, sauf en Afrique. Son héros dopé par l’amour, un immigré sénégalais en France et généticien aux compétences mondialement reconnues, tente de sauver la planète. Mélanine est un captivant roman d’anticipation.
Dans un futur proche, imaginez une maladie étrange qui fait des ravages sur la planète sauf en Afrique. Voilà le pitch insolite du premier roman de l’écrivain et journaliste français Daniel Carton. Avec Mélanine, publié chez Fayard, il livre une œuvre d’une acuité saisissante et à l’intrigue haletante. Il y est non seulement question de la relativité de la couleur de la peau, mais aussi, avec une vraisemblance inouïe, des menaces probables qui pèsent sur l’humanité. « Melanine est né de ma rencontre avec deux chercheurs de l’Institut Pasteur, André Choulika et David Sourdive, créateurs de la start-up scientifique Cellectis, explique Daniel Carton. Ils m’avaient, il y a 4 ou 5 ans, fait part de l’objet de leurs recherches. André et David, à qui j’ai dédié ce livre, sont les inventeurs des « ciseaux à ADN » qui sont en train d’être commercialisés. Ils m’ont expliqué que la couleur de la peau ne tenait à rien et que dans un avenir proche, on pourrait la changer en intervenant sur l’ADN, et par conséquent sur la mélanine. J’en suis donc venu à imaginer le monde sous la menace d’une pandémie liée à ce pigment qui détermine la couleur de la peau ». Résultat : un polar scientifique où « tout ce qui est décrit est du domaine du possible ».
Au cœur de cette intrigue, digne d’être portée sur les écrans, Julius Gueye, Saint-louisien, « un Africain miraculé, immigré choisi », très proche de ses racines, qui a quitté son Sénégal natal pour Paris. Après de brillantes études, il y devient un chercheur spécialisé en génétique. Avec ses « grands frères » de l’Institut Pasteur, Pierre et Yvan, Julius se retrouve malgré lui aux avant-postes de la lutte contre ce mal mystérieux venu des lointaines contrées chinoises. Dans un monde où Internet est devenu défaillant à cause du moteur de recherches planétaire Google, le chercheur mène de front son travail et sa relation amoureuse avec Louise, une Blanche. « « Je t’ai dans la peau » », déclare le Sénégalais à propos de Louise, relève Daniel Carton. Je voulais aussi une belle histoire d’amour ». Elle est poussée à son paroxysme par cette épidémie insidieuse. De Paris à Los Angeles, en passant par New Delhi, on navigue à la fois au cœur du génie et dans les recoins les plus sombres de l’esprit humain.
Planète au bord du chaos
L’intrigue futuriste de Mélanine démonte (scientifiquement) les préjugés qui planent sur les relations Noirs-Blancs et dont les problématiques de la diversité et de l’immigration sont les émanations les plus actuelles. D’ailleurs, cette «grippe» atypique qui enfièvre le monde devient le terreau des revendications des peuples noirs, disséminés sur la planète, qui aspirent à plus d’égalité. L’immigration choisie, elle aussi, se pratique désormais de l’Europe vers l’Afrique qui ferme ses frontières pour ne pas être contaminée. « Si ç’avait été le contraire, vous en auriez fait autant – voire pire, même ! Déjà que le Noirs bien portants, on les rejette à la mer, alors les vérolés, je ne vous dis pas !», s’indigne Julius devant ses amis. A propos de l’immigration clandestine, Daniel Carton note : « On ne se fait jamais la réflexion quand on est Blanc. Chez moi, elle est née alors que je regardais les jeunes partir quand j’étais à Saint-Louis. « Si c’était nos gamins ? », me suis-je alors demandé. Par un fait étrange, on se dit que les Noirs, les Africains ne souffrent pas comme nous. Leurs larmes paraissent moins salées, leur douleur intéresse si peu finalement. L’épidémie de choléra au Zimbabwe, c’est seulement 15 secondes dans un journal français. »
L’actualité chevillée au corps, le journaliste politique qui a pris ses distances avec les rédactions en 1997 et dénoncé les liaisons dangereuses entre politiques et journalistes, a d’abord fait de Mélanine un analyse pertinente d’une société dépendante des nouvelles technologiques et engluée dans les préjugés les plus archaïques en dépit de son évolution. Ensuite, le monde, tel que dépeint par Daniel Carton, doit faire face aux conséquences géopolitiques de son inexorable multipolarité. Un contexte dans lequel les puissances émergentes, comme la Chine ou l’Inde, sont prêtes à tous les compromis pour affirmer leur suprématie. Enfin, au moment où enseignants et chercheurs français se mobilisent pour réclamer plus de considération, la démarche de Mélanine ne saurait passer inaperçue. « Je souhaitais rendre hommage aux chercheurs, qui vivent chichement, surtout en s’efforçant de rester en France parce qu’on leur offre des ponts d’or à l’étranger. Une société, qui ne met pas en avant ses enseignants et ses chercheurs est défaillante. »
Un pigment salvateur
« Nous, les Blancs, nous avons le confort du corps, mais nos âmes souffrent, affirme le Colonel, le vieux médecin français à qui Julius doit son arrivée dans l’Hexagone. Vous, les Noirs, vous souffrez dans votre corps, mais vous avez le confort de l’âme ». « Nos sociétés sont complètement déstabilisées, renchérit Daniel Carton, nous sommes au bout d’un modèle basé sur la valeur argent. Il faut revenir à des valeurs de partage. Dans cette optique, l’Afrique peut nous enseigner des choses tant que ses jeunes ne partent pas à la dérive. Ils sont attirés par le miroir déformant de l’Europe qui leur fait perdre leurs repères. C’est la poignée de main et le regard qui m’interpellent surtout en Afrique. Aujourd’hui, on ne se regarde plus et on ne se salue plus. »
A l’instar du pigment dont elle porte le nom, la dernière œuvre de Daniel Carton apporte une nuance inédite et facilement perceptible pour le sujet, à la réflexion que l’on peut avoir sur les dérives possibles de l’humanité à l’aube du XXIe siècle. Une humanité livrée à la tare absolue : le racisme. « Avec Mélanine, je veux interpeler les gens, insiste l’auteur, montrer que le racisme est d’une bêtise sans nom et qu’elle ne repose sur rien ». La tentative est pour le moins magistrale.
Commander Mélanine de Daniel Carton, Fayard (octobre 2008), 328 p.