Le démentiel électro-oudiste, Mehdi Haddab fait figure d’un ovni dans le monde de la musique orientale. Cet artiste aux allures de rockeur cultive à l’envi tradition et modernité. A découvrir sur scène jeudi avec ses acolytes de Speed Caravan. Portrait d’un musicien visionnaire qui inscrit l’oud dans une autre temporalité.
Seul sur la scène de l’Institut du Monde Arabe, Mehdi Haddab occupe l’espace. Il va et vient, règle un ampli, déplace ses pédales pour sampler des sons. L’heure du récital approche. Ce soir-là, jeudi 10 juin, il a l’honneur d’ouvrir le 11e festival de musique, Le luth dans tous ses éclats. Mehdi se saisit à présent de son oud, le luth arabe, et les premiers accents qui s’en échappent ont de quoi surprendre. Sans conteste, le franco-algérien n’est pas un joueur de oud classique. Son répertoire à lui est aux antipodes. Jambes écartées, visage tourné vers le ciel, cheveux au carré, cet artiste atypique ressemble à Jimmy Hendricks, il bat le rythme de mouvements de têtes comme un rockeur. Son oud, en arabe « bois », est customisé comme une guitare électrique.
D’ailleurs, ses premiers pas en musique, il les fait à 11 ans, guitare électrique, justement, en bandoulière. « A l’époque, cet instrument pour moi c’était une manière de pousser un cri de révolte contre l’autorité scolaire. » Dans les années quatre-vingt, à Alger, les groupes rocks fleurissent : Abranis, T34, Khindjar et Raïna Raï. Mehdi y voit une rage qui devait s’exprimer par un cri rock, bien avant que la situation de ce pays ne dérape dans la violence. D’un père algérien et d’une mère française, ce oudiste de 37 ans a passé trois ans de sa vie au Burundi. Là-bas, il a formé son oreille à d’autres sonorités, gammes et rythmes, une source d’inspiration supplémentaire pour cet enfant du désert qui a sillonné l’Afrique.
Il était une fois un oud
Comme souvent dans les belles histoires, c’est un peu par hasard que Mehdi Haddab commence à caresser un oud. Un jour, le guitariste du groupe hard rock Khindjar lui conseille d’acheter un oud et d’explorer toutes les gammes orientales qu’il offre. Cette initiation est une révélation. Dès à présent, plus aucun retour vers la guitare électrique n’est possible. Mehdi envisage alors de faire rencontrer deux espaces temps : la tradition, porteuse de tout selon lui et la modernité qui le fascine. L’oud de ses aïeux sera électrique entre ses mains. « Quand Picasso a découvert les arts primitifs, il a transformé sa manière de peindre et de voir le monde. » Il en est de même avec « l’émir des instruments » comme l’appellent les Arabes.
Sa formation classique au oud acoustique, dispensée par Mohamed Mejri du conservatoire de Tunis, Mehdi en fait une matière vivante, hurlante même quand il est sur scène. A ceux qui seraient tentés de penser que l’oud électrique n’est qu’une pâle déclinaison de la guitare électrique, Mehdi en rappelle, sourire aux lèvres, sa sonorité si précieuse. « C’est pour moi le plus bel instrument à corde, il est très profond, très scintillant et étonnamment rythmique. Sa forme aussi ! L’oud ressemble à une goutte d’eau et l’eau c’est ce qu’il y a de plus précieux dans le désert, tout comme la sonorité de mon instrument. »
« La culture reste un combat dans certains pays »
Ce fougueux chef de file de Speed Caravan, projet musical créé en 2005 et signé par Peter Gabriel, a déjà assuré les premières parties de Rodolphe Burger et accompagné des artistes comme Rachid Taha. Mais ce soir-là à L’Institut du Monde Arabe, Mehdi a de nouveau 11 ans, il trépigne comme un enfant. Sur scène, en fin de récital, Lotfi Attar, légende du rock algérien, guitariste de Raïna Raï, viendra le provoquer en duel. Une confrontation onirique pour cet oudiste qui joue plus vite que son ombre. « Lotfi est un défricheur, un avant-gardiste, il a une empreinte musicale reconnaissable entre toutes. Je tente de marcher sur la route qu’il a tracée. » Et quand on demande à ce révolté positif, comme il aime à se qualifier, quel est sa devise, il rétorque « La culture reste un combat dans certains pays, il ne faut pas se laisser endormir par le « ça ne se fait pas ». Il faut aller de l’avant. » Le téléphone portable retentit, la sonnerie est sans équivoque : Whole Lotta Rosie d’ACDC…